Mercredi 19 décembre 2018
Le droit allemand inaugure le genre humain neutre
L’Allemagne vient de légaliser la mention « divers » pour le genre inscrit dans l’état civil. C’est loin d’être une nouvelle surprenante car la jurisprudence de la haute autorité judiciaire du pays avait déjà donné son feu vert légal pour ce bouleversement.
Les politiques ont donc suivi car ils n’avaient d’autre choix que de satisfaire une demande forte qui commençait à se faire ressentir, comme toutes les autres de ce type.
L’auteur du présent article n’a pas pour vocation de rédiger systématiquement, comme il l’a fait pendant des décennies, un article à chaque fois qu’une avancée qui peut choquer certains esprits est annoncée. On penserait que je me suis spécialisé dans tous les combats clivants de la société par esprit de provocation.
Il n’en est rien et, parfois, je suis moi-même un spectateur aussi surpris de ces avancées en face desquelles je ne sais pas trop comment réagir. Mais l’expérience du courant humaniste qui vient de très loin, dépassant ma propre personne, nous a appris que ce sont ces cas extrêmes qui fondent notre capacité à entrevoir l’humanité autrement qu’autocentrée sur des certitudes et des rectitudes totalitaires, dans le sens de la primauté absolue de la règle statistique et des dogmes.
Si nous ne savons pas tendre la main à ceux qui souffrent de leur « marginalité statistique », alors nous sommes incapables de penser l’humanité comme étant l’ensemble de nos prochains qui sont notre raison d’exister socialement, de penser et de faire avancer la fraternité.
Ainsi, même si je ne sais quoi penser de cette affaire qui n’est pas dans mon quotidien ni dans ma perception, je me dois de féliciter l’Allemagne. Elle vient de franchir un pas considérable dans l’ouverture d’esprit et la main tendue à ceux qui sont différents par certains aspects et qui sont néanmoins des êtres humains sensibles, dignes et respectables dans leur envie de liberté et de lois adaptées.
De quoi s’agit-il ? La loi vient tout simplement de légaliser une mention de neutralité sous le vocable « divers » pour ceux dont la nature hésite par une indétermination physique à la naissance. La personne pourra enfin vivre cette dualité en toute certitude de ne pas être considéré comme une anomalie et supporter douloureusement l’humiliation par le regard et les moqueries. Car les anomalies que vous font ressentir les autres, par leur propre définition de ce que serait une anomalie, brisent les vies. Et ce n’est pas à notre honneur de rajouter au malaise d’un être humain une terrible douleur ressentie par la persistance du rejet de la société.
Sur le registre d’état civil comme sur les documents d’identité ainsi que dans tous les dossiers administratifs ou autres, la mention « divers » figurera, à la place de « masculin » ou « féminin ». L’identité d’un être humain va bien au-delà de son genre et de ses orientations de toutes sortes. Sa richesse d’être humain ne saurait être dépendante d’une caractéristique physiologique. Les femmes en souffrent tellement avec le code de la famille qu’il n’est pas la peine de décrire ce qu’est une discrimination du seul fait de son anatomie et/ou de ses ressentis.
Et, franchement, le nombre de cas éligible à cette mention, entre 0,05% et 1,7% selon l’ONU, n’est absolument pas de nature à bouleverser l’avancée de l’humanité pour ce qui est la loi du genre, des hommes et des femmes. La nature hésite parfois à confirmer une stricte dichotomie. Alors, que fait-on de ceux qui ne sont ni d’un côté ni de l’autre, on les brûle, on les noie, on les incarcère ou on les torture car ils seraient habités par le diable ?
Je propose qu’on les respecte et leur donne toute leur place légitime dans le royaume des êtres humains dignes et intelligents.
Cependant, concernant la nouvelle loi allemande, il y a quelques réserves qui s’expriment déjà dans le camp de ceux qui sont pourtant favorables à la décision. Ils estiment que la loi oblige les individus à une consultation médicale, barbare et humiliante, en préalable du droit à l’inscription en « divers ». Ils auraient souhaité que l’on fasse un pas plus tranché et légitime, donner la possibilité en fonction d’un choix intime, libre et sans conditions.
L’athée que je suis a toujours cru lire ou entendre un point de vue tout à fait ouvert de la part des religions. Il serait temps que leurs adeptes reviennent aux textes, c’est à dire à la mansuétude et aux bras tendus envers l’autre, le différent. Surtout si on nous affirme que la décision n’appartient pas à l’Homme en ce qui concerne sa physiologie. On ne peut pas dire le tout et son contraire dans l’interprétation du message que certains placent comme norme juridique suprême.
En France, une demande similaire avait été soumise à la justice. Un premier jugement, en première instance, avait accordé au demandeur le droit à la mention « neutre » sur ses documents officiels puisqu’il faisait partie de cette catégorie d’êtres humains où la nature hésite dans la détermination du genre à travers les organes génitaux.
La Cour d’appel avait contredit les juges de premier niveau en arguant que l’individu, même s’il avait été déclaré « intersexuel » à la naissance, avait lui-même choisi le genre masculin par ses choix, notamment en se mariant et en acceptant la paternité. En 2017, la Cour de cassation a définitivement rejeté le pourvoi en expliquant que cette modification heurterait considérablement le code civil. En langage clair, les juges de l’institution judiciaire suprême ont renvoyé la responsabilité de cette lourde décision aux politiques dont c’était le rôle d’assumer de telles modifications si exceptionnelles.
Nul doute que l’affaire est à suivre et ne sera réellement tranchée que lorsque la Cour européenne des droits de l’Homme donnera son verdict ou que, auparavant, les législations nationales s’aligneront sur ce choix légal d’admettre un troisième genre humain.
Moi, mon opinion est faite, j’ai choisi le camp de l’humanisme. Je ne suis pas né sur cette terre pour empêcher quiconque de vivre sa vie en harmonie avec ce qu’il est et non avec ce qu’on pense qu’il devrait être. Et surtout, qu’il puisse souffrir de mon opinion et de ma position, cela me serait insupportable.
Quant à l’Algérie, à côté du « féminin » et du « masculin » a cohabité de longue date un troisième genre, très visible, très revendicatif et très dangereux, soit « l’abruti(e) ».
Alors, de quoi aurait-on peur ?
S. L B.
Note
La terminologie choisie par le législateur allemand, soit le mot « divers », est souvent différente dans les débats juridiques des autres pays. C’est ainsi qu’en France, dans le cas judiciaire cité dans le texte, on parle de genre « neutre ».