Lundi 22 avril 2019
Le financement non-conventionnel : entre l’insistance et le raisonnable
Dans une polémique stérile, que se livrent, d’un côté, certains experts de la Task force et de l’autre, M. Loukal, gouverneur de la Banque d’Algérie en juin 2017 mais actuel ministre des Finances et qui vire aux règlements de comptes, il y a un certain nombre d’informations, de part et d’autre, qui attirent notre attention, en tant qu’expert également.
Au-delà du fait, que les deux parties se rejettent la balle, s’accusant mutuellement d’être à l’origine des décisions catastrophiques des politiques monétaires, qu’ils ont prises ou ont fait prendre, ce qui n’apporte rien au débat et n’intéressent que les protagonistes, il demeure certain que ce débat clandestin au départ, entre initiés, avant sa divulgation, sur la scène publique, il y a quelques jours, aurait dû faire l’objet d’un débat contradictoire, le plus large possible, au sein des institutions de la république mais également entre experts, hors de la Task force et (on peut rêver), sur les chaînes de télévision publiques, de manière à informer la société, toute entière, des décisions prise et des conséquences induites.
Ce ne fut, malheureusement, pas le cas, la responsabilité, pleine et entière, en revient aux autorités de l’époque et non aux experts, me semble-t-il, la pilule étant assez grosse à faire avaler !
Il reste cependant, évident, que des initiés ont pu obtenir les éléments essentiels des propositions et des décisions, tant le consensus sur ce dossier n’était pas atteint. Dans ce cas précis, le pouvoir clanique a toujours demandé, dans la clandestinité la plus absolue et la confidentialité toute relative, d’autres « sons de cloche » à des experts, afin de permettre à un clan du pouvoir de mener des combats d’arrière-gardes contre les autres clans… C’est un classique, pour tous ceux qui connaissent les mœurs du système, de l’intérieur, la confiance réciproque ne régnant pas et les coups bas sont de rigueur (1) ! Je ne commenterais pas, également, les chiffres et statistiques erronés et souvent contradictoires, des uns et des autres car le débat n’est pas, à mon avis, à ce niveau.
La véritable question, qui mérite d’être examinée, c’est l’utilisation d’une Task force, en dehors des institutions d’analyses, de recherches et d’études qui existent à tous les niveaux des administrations centrales, des institutions économiques et financières, des entreprises et des banques, des universités et des centres de recherche.
De deux choses l’une ou bien toutes ces capacités sont incompétentes et il faut, dès lors, en tirer toutes les conséquences opérationnelles ou bien les pouvoirs, du moment, ont considéré que la mobilisation d’une Task force serait plus « proche » des décisions qu’ils voulaient mettre en œuvre, sans témoins gênants qui pourraient «ruer dans les brancards » le moment venu, s’agissant d’un personnel permanent et non occasionnel, comme la Task force.
A la rigueur, une mixité entre la Task force et des experts potentiels mobilisés dans les différentes institutions de l’Etat, citées plus haut, aurait été envisageable et même souhaitable, de manière à élargir le champ de la recherche de solutions idoines, aux problèmes posés. Ceux sont des situations fréquentes, qui se sont réalisées en de nombreuses occasions, y compris avec des experts et entreprises d’expertises étrangères, dans tous les domaines, j’en suis témoin moi-même, pour avoir participé à ce genre de travaux.
D’habitude, l’usage veut que lorsqu’on confie une étude à une ou plusieurs personnes physiques ou morales, on prend soin de définir strictement les termes de références, c’est d’ailleurs une condition sine qua non pour pouvoir en évaluer le contenu a posteriori et de payer la facture (2), éventuellement. C’est d’ailleurs à cet endroit précis que l’on peut définir la « responsabilité » des experts vis-à-vis des propositions retenues par l’étude et des conditions de leurs mises en œuvre.
Or, c’est justement à cet endroit que « le bât blesse », puisque la note clandestine (3) qui semble émaner de la Banque centrale, accuse les experts de la Task force, qui « dans un rapport daté, d’avril 2017 et intitulé « Le financement de l’économie : écueils et solutions possibles »… d’avoir recommandé, avec insistance, face à la détérioration de la liquidité bancaire et aux difficultés de financement de l’économie, le recours au financement dit non conventionnel (planche à billets) »… Elle ajoute « s’être élevée contre le recours à ce type de financement » et que « les instruments conventionnels de politique monétaire n’avaient pas atteint leurs limites ».
Cette note enfonce le clou, en insistant sur le fait que « le ministre des Finances (H. Baba Ami) comme le Gouverneur (M. Laksaci), se sont farouchement opposés à cette démarche non obligatoire et avaient proposé d’autres alternatives moins dangereuses pour l’économie nationale. Mais la décision finale avait opté pour le financement non conventionnel, imposée sous l’instigation de la Task force.
Enfin, sans le dire explicitement, cette note suggère que le ministre et le gouverneur, ont été démis de leur fonction, à cause de leur refus d’accepter le recours au financement non conventionnel (4).
Dans une lettre du 18 avril 2019, intitulée « Enfumages et petites vengeances », R. Boucekkine et N. Meddahi réagissent violemment, à l’encontre de M. Loukal, cité une vingtaine de fois nommément qui, visiblement, semble vouloir leur faire porter l’entière responsabilité de cette politique et de ses effets (5). Les deux experts assument le bien-fondé de leur proposition de recourir au financement non conventionnel, comme « solution partielle » à la crise de liquidités que vivait notre économie, d’une part mais, ajoutent-ils, que « le recours à ce financement doit être fait sous des conditions drastiques et surtout dans le cadre d’une politique macroéconomique globale reposant sur l’ajustement budgétaire graduel et la diversification des sources de financement de l’économie ».
Ils se démarquent de « l’analyse scolaire de l’impact du financement monétaire », dont ils sont pourtant les représentants, pour se fourvoyer, faute d’arguments scientifiques, dans le maraboutisme, avec moult « boukhour et djaoui », en nous sortant du chapeau du prestidigitateur, cette formule abracadabrante « les risques inflationnistes de court terme sont modérés si le montant de l’injection monétaire est raisonnable » ! On perd son latin en lisant cet épithète « raisonnable », qui n’existe pas en économie, à ma connaissance, pour qualifier une décision hautement toxique et éliminer une des sciences de l’économie, que semblent ignorer ces experts et qui s’appelle l’économétrie.
Je tiens à rappeler qu’en économie, que je sache, lorsqu’on prétend être expert, on mesure, on évalue, on compte, on projette, on diagnostique, on vérifie mais on ne dit pas la « bonne aventure » !
De même que, les différentes autorités monétaires, qui ont décidé de mettre en œuvre cette politique et ses effets pervers futurs certains, doivent les assumer, elles ne peuvent se cacher dernière l’« insistance » (6) d’experts pour les justifier. L’« insistance » des experts ne peut, en aucun cas, constituer un argumentaire, pour une décision éminemment politique, qui dépasse très largement le statut d’une expertise. « Insistance et raisonnable » sont les deux faces d’une même médaille, qui se nomment l’irresponsabilité et qui ont conduit nécessairement au Hirak, qui lui, exige des comptes à toutes les parties impliquées, dans ce dossier, sans exception aucune.
M.G.
Notes
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A titre d’exemple, le même procédé a été mis en œuvre, lors de la présentation de la loi sur les hydrocarbures, entre autres, il y a plusieurs années.
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Son caractère clandestin est lié au fait, qu’aucune signature ne vient personnaliser cette note.
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La Banque d’Algérie, avait proposé d’autres « démarches alternatives et notamment l’instrumentation, dans la phase intermédiaire, de l’article 53 de l’Ordonnance relative à la monnaie et au crédit, prévoyant la possibilité de placer une partie de ses fonds propres, en titres émis ou garantis par l’Etat ». Cette possibilité pouvait être mis en œuvre grâce « au versement de dividendes substantiels et prévisibles, au profit du Trésor public (610 milliards de DA en 2016 ; 920 milliards de DA en 2017 et 1.000 milliards de DA en 2018) ».
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« Non seulement nous sommes les auteurs de la note classée, dévoilée sans vergogne, par M. Loukal mais nous revendiquons encore aujourd’hui que dans les circonstances de cette sombre période, le financement monétaire était indispensable ».
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Nul ne sait, saufs les protagonistes, si ce travail a été rémunéré et à quel niveau ?
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On rapporte que Molotov avait dit à Staline, que le Pape désapprouvait sa politique, en matière religieuse et sa réponse fut cinglante : « De combien de divisions blindées, dispose-t-il ? ».