Avec le conflit en Ukraine et la décision de l’Europe de s’unir pour s’armer contre le danger russe, la France est en première ligne avec le Royaume-Uni, les deux seuls pays dotés de l’arme atomique.
Depuis quelques semaines, le nom du général de Gaulle n’a jamais été autant cité depuis si longtemps. Comme chacun le sait, c’est sa vision et son opiniâtreté qui ont permis à la France de se doter d’une puissance militaire dissuasive et indépendante du grand allié américain, ou supposé l’être.
Tous les journalistes et chroniqueurs ne cessent de le rappeler dans tous les médias tout autant à le glorifier pour cet héritage donné à la France.
Mais j’ai cette impression que la majorité des propos ne font pas état de la profonde cause psychologique qui a amené ce grand homme à avoir le destin qui ne lui était pas promis à priori. Tous les intervenants savent ce qui va être rappelé dans mon propos mais comme cela n’avait pas été mis en lumière je souhaitais le faire.
Le général de Gaulle avait eu un grand courage pour son célèbre appel du 18 juin 1040 à la BBC où il avait exhorté les Français de ne pas suivre la décision du général Pétain et de se soulever contre la capitulation. Tout cela est incontestablement héroïque.
Mais ce qu’on oublie trop souvent est que cet appel, s’il avait suscité beaucoup de curiosité, n’avait pas créé au départ une réaction aussi grande que ne le laisse croire la légende. C’était devenu un général sans armée qui n’emportait aucun sentiment de sérieux de la part de Winston Churchill.
Bien qu’il faille reconnaître que le Premier ministre britannique l’avait soutenu et financé (du bout des lèvres), il fut exaspéré par cet homme jugé assez farfelu qui insistait d’être reconnu à la hauteur de son ambitieux projet. Nous savons la détermination de l’homme mais surtout son caractère assez ferme.
De Gaulle n’oubliera jamais cette humiliation et le rendra plus tard par son opposition à l’entrée de la Grande Bretagne dans le marché commun, en tout cas durant de longues années. On dit souvent que « les grands hommes n’ont pas de rancune mais ils ont de la mémoire ». Voilà les premières explications de ses positions ultérieures.
Comme la Grande Bretagne était très proche des Etats-Unis, évidemment par sa longue histoire commune, le président Franklin Roosevelt adopte la même position par son agacement de voir ce trublion se mettre en travers de la tentative de rapprochement avec le gouvernement de Vichy. L’argument était de considérer le général comme un futur dictateur.
Même si cette opinion cachait la véritable stratégie de Roosevelt, on ne peut écarter que de Gaulle avait tout du caractère d’un futur dictateur par sa rigidité et son opinion tranchée. J’ai moi-même connu dans mes études le fameux et récurrent sujet « De Gaulle était-il un dictateur ? ». Après tout, les émeutiers de mai 1968 ne se sont pas privés de l’affirmer.
Puis en 1942 lorsque le général Pétain perdit l’Afrique du Nord, une bataille s’était déclarée entre le général de Gaulle et le général Giraud. Au-delà de l’affrontement des égos pour la place de leader de la France résistante, il y avait une profonde division sur la démarche opposée. L’un était pour la solution de guerre, l’autre pour la stratégie politique.
Encore une fois, le général de Gaulle avait dû affronter l’humiliation du soutien américano-britannique à son rival. Enfin « trois grandes claques ». La première fut celle de ne pas avoir informé le général de Gaulle du débarquement en Normandie, puis celle d’écarter le général de la conférence de Yalta. Enfin l’opposition des américains de laisser de Gaulle bénéficier de la très symbolique libération de Paris, ce que fera pourtant la division blindée du général Leclerc sous les ordres du dirigeant de la « France libre ».
Nous ne pouvons faire état de toutes les autres épreuves infligées au général comme la destruction de la flotte française à Mers-El Kebir par la Royal Navy. De Gaulle est furieux car la stupéfaction en France allait donner argument aux partisans du maréchal Pétain. Une semaine plus tard une écrasante majorité vote favorablement pour les pleins pouvoirs à Pétain à la Chambre des députés et au Sénat. Le sentiment anglophobe allait grandir et donc également le rejet du mouvement de la France libre.
Si avec tout cela, même après un rappel très court et simplifié de ma part, on ne comprend pas la hargne du général de Gaulle à bâtir une défense militaire autonome, on passe à côté d’un aspect fondamental de la raison de vouloir s’émanciper de la tutelle américaine tout en affirmant un rapport d’alliés.
Dans leur for intérieur, les grands hommes sont toujours motivés par l’orgueil personnel même si la cause qu’ils défendent les honore par l’acharnement de leur conviction réelle et sincère.
Boumediene Sid Lakhdar