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Le goût du pouvoir

REGARD

Le goût du pouvoir

«Ce qui est réel dans toute gouvernance, ce n’est pas le pouvoir, c’est l’après pouvoir ! » Don Ebert

Une question que se posent de nombreux chercheurs à travers le monde : pourquoi les sociétés arabes et musulmanes n’arrivent-elles pas à construire un Etat de droit fondé sur la séparation des pouvoirs tel que nous l’enseigne « l’esprit des lois » ?

Pourquoi les réformes échouent-elles, les unes après les autres, à changer certaines organisations ? Posée autrement, pourquoi l’Algérie n’arrive-t-elle pas à se doter d’un Etat moderne fondé sur des institutions pérennes régies par des règles appliquées à tous et respectées par tous ? Parce que nous disent les observateurs, ce que l’on analyse comme système politique laborieux se cache la réalité d’un système clanique rentier. Elaguer la réalité clanique et rentière de la société dans son ensemble nuit à la compréhension de certaines situations inextricables. Les institutions officielles peuvent présenter toutes les apparences d’un Etat de droit sans pour autant refléter sa nature véritable parce que travesties par des enjeux de pouvoirs claniques.

L’Algérie est tributaire d’un double passé colonial et précoloniale. Ces deux passés coexistent dans le présent préfigurant le futur immédiat. « Ils se mâchent sans s’avaler ». En terre chrétienne, la séparation des pouvoirs est un héritage de la culture gréco-romaine et des croyances religieuses. L’Etat s’est substitué à l’autorité de l’église et a remplacé les préceptes religieux par les lois de la République.

L’Administration fait office de médiateur. C’est l’église catholique qui a unifié les féodalités, c’est l’islam qui a unifié les tribus. L’une s’est appuyée sur la trinité, dieu est un en trois, l’autre repose sur l’unicité, dieu est un en un. La première a débouché sur la création d’un Etat nation fondé sur la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). La seconde sur la domination d’une tribu ou d’un clan sur un autre c’est-à-dire sur la soumission de tous à la loi du plus fort, (c’est le résultat d’un rapport de force).

Pour les uns seul le pouvoir arrête le pouvoir parce qu’il est de nature humaine, il est limité dans le temps. Pour les autres, le pouvoir n’a pas de limites, il est éternel puisqu’il est d’essence divine. La trinité du pouvoir en terre chrétienne est liée à la culture gréco-romaine et à des croyances religieuses.

« Tout serait perdu si le même homme ou le même corps exerçait ses trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différents de particuliers ». En d’autres termes, on ne peut être juge et partie, ordonnateur et liquidateur, gestionnaire et comptable, « décideur » et « exécutant » Il s’agit d’un pouvoir à trois visages : législatif, exécutif, judiciaire.

Ces trois pouvoirs sont confondus chez le prince qui cumule toutes les fonctions pour se perpétuer et se conserver dans la même lignée généalogique ou clanique. L’unicité du pouvoir en terre d’islam, est une résultante d’une trajectoire historique et culturelle spécifique.

L’Algérie contemporaine est tributaire d’un double passé précolonial et colonial. Les deux coexistent au présent. « Ils se mâchent sans s’avaler ». L’Etat est moins la résultante d’une contradiction interne que d’une contradiction externe. C’est le choc sur un même espace géographique de deux civilisations aux antipodes l’une de l’autre. En effet, l’Etat en Algérie n’est pas un Etat au sens moderne du terme car il n’a pas les caractéristiques. Pour la science politique, l’Etat est un système politique lié à un univers culturel et spirituel occidental : la religion catholique et l’histoire du Moyen Age.

L’Etat est né de la conjugaison de toutes ces variables qui ont abouti au milieu du XIIIème siècle à la formation d’un Etat embryonnaire centralisé par la confiscation des ressources politico-juridiques dispersées à la périphérie aux mains des seigneurs féodaux, de façon autoritaire. L’Etat va alors défendre  cet espace politique par un droit administratif, qui protège ses agents, lesquels sont recrutés sur des critères méritocratiques, formés dans des écoles spécifiques où ils intériorisent les valeurs de l’Etat : l’idéologie de l’intérêt général. Un Etat  omniprésent et omnipotent ; il  dirige par des lois et des décrets ; ’il s’impose à la société d’en haut. Il oriente la société avec un Droit dont il est le seul maître. Cette logique centralisatrice s’oppose à la logique clanique et tribale des pays arabes et africains.

En imposant donc au cours de la colonisation des institutions dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société arabe et africaine, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l’échec de la modernisation politique. D’autant plus qu’il manque aux institutions de cette dernière la dimension mythologique, très conscientisée en occident, qui sert à les faire fonctionner. C’est pourquoi, ces institutions ressemblent à des outils rouillés, abandonnés sur le chantier d’une exploitation minière à ciel ouvert, et qui s’avèrent inadaptées pour mettre en œuvre le développement et la démocratie en Afrique et dans le monde arabe. « Sire, il convient de réformer l’Etat pour préserver le royaume » Turgot à Louis XVI 1775 

Auteur
Dr A. Boumezrag

 




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