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Le groupe touareg Tamikrest élargit son horizon

ENTRETIEN

Le groupe touareg Tamikrest élargit son horizon

Tamikrest est né dans les sables, entre le Mali et l’Algérie, en 2006. Aujourd’hui, le groupe se réinvente en exil avec deux nouveaux membres français. Sans renoncer à la défense de culture touarègue, son nouvel album, Tamotaït, élargit encore les horizons du désert en invitant Hindi Zahra et des musiciens japonais. En tamasheq, Tamikrest signifie autant « coalition » qu' »avenir »… Entretien téléphonique au temps de confinement avec le batteur parisien Nicolas Grupp.

RFI Musique : Tamikrest a été fondé au début des années 2000 dans les dunes par des jeunes musiciens touareg. Ils ont dû fuir Kidal depuis. Ousmane Ag Mohamedine, le chanteur et compositeur principal, vit en Algérie, le percussionniste aussi, trois autres musiciens sont en France. Comment travaillez-vous ?
Nicolas Grupp : Aujourd’hui, la situation est particulière, Ousmane Ag Mossa et Aghaly Ag Mohamedine sont dans le désert en Algérie. Donc, ils ne sont même joignables par téléphone. Habituellement, nous échangeons des fichiers par internet, mais pour ce disque, c’était complètement différent ! Il a été écrit en résidence en Belgique et en France. La création a été beaucoup moins virtuelle, ça nous a pris plus de deux ans ! La musique, ce sont aussi des moments de vie ensemble : manger, parler, ne rien faire, et jouer après.

Il y a aussi d’autres rencontres sur ce disque, Hindi Zahra et deux musiciens japonais, Atsushi Sakta et Oki Kano ?
Paul, le guitariste français du groupe, joue avec Hindi Zahra depuis quelques années. Pendant un concert, elle est montée sur scène avec nous, en impro. Quand on a enregistré en studio, c’était pareil. Il y a eu une espèce de magie très spontanée. On a enregistré notre première répétition, et cette prise est devenue le morceau, Timtarin, très live, très brut. On a essayé de faire mieux après, mais sans succès !
Au Japon, l’enregistrement a été très spontané aussi. La fin de notre tournée venait d’être annulée à cause d’un typhon qui a fait plus de 50 morts. On était dans un état un peu étrange, à la fois heureux d’être là et tristes. On s’est mis à jouer, et ce titre traduit cette atmosphère si particulière.

Vous êtes né loin des pistes, vous venez du jazz et de l’improvisation, comment avez-vous rejoint le groupe ?
J’ai fait beaucoup de voyages au nord du Mali. C’est là que j’ai rencontré les musiciens de Terakaft, Tinariwen et Tamikrest. J’ai fait quelques concerts avec Tinariwen au Mali.
J’y suis allé pour la première fois en 2005, avec le guitariste français de Tamikrest, Paul Salvagnac, pour un échange culturel avec un centre de loisirs de notre département, l’Hérault. On a débarqué à Aguel’Hoc, à 300 km environ de Kidal, et on a rencontré des musiciens dont Aghaly, le percussionniste de Tamikrest et Ibrahim Djo, un guitariste avec qui on a travaillé pendant des années. C’était fascinant ! On allait de village en village apprendre des rythmes différents. Les amitiés ont perduré et notre passion pour cette musique aussi. En 2008, nous sommes repartis avec une batterie et des amplis, et on a joué dans le désert non-stop. On faisait danser les gens. C’était fabuleux ! Quand un des musiciens de Tamikrest n’a pas pu avoir son visa, Paul est parti en tournée avec Tamikrest et il est resté. Moi, je suis arrivé en 2016 pour participer à l’album Kidal.

C’est facile de rejoindre un groupe connu si militant pour la culture touarègue ?
Le fait que le groupe nous accueille Paul et moi, c’est déjà une ouverture d’esprit et un engagement. On n’écrit pas les textes, en tamasheq, mais dans le processus de composition et d’arrangements, on doit comprendre de quoi parle le morceau pour trouver notre place. Pendant nos résidences, on a beaucoup parlé des thèmes des paroles, la jeunesse qui perd espoir, les anciens : tout ça influence beaucoup notre jeu.

Vous apportez un nouveau son au groupe sur ce disque …
Quand j’ai rejoint Tamikrest, je crois qu’il voulait changer leur son de batterie, amener quelque chose de plus… rock disons, même si moi, j’essaie justement de retrouver de ce que j’ai entendu dans le désert. Par exemple, le morceau Azawad est un mix entre un blues afro-américain et la marche du dromadaire.
Ce qui est dur, c’est de trouver le premier temps de rythmes qui ne sont pas pensés pour la batterie, puisque là-bas l’accompagnement se fait avec le tindé, une percussion qui est jouée par les femmes. Mais au-delà, c’est surtout l’intention qu’il faut ressentir et transmettre, alors je continue à apprendre tous les jours.

Cette expérience a changé votre façon de jouer dans d’autres groupes ?
Bien sûr ! Dans le désert, il n’y a pas un groupe qui joue et le public qui écoute. Un groupe ouvre la soirée, mais au bout du deuxième morceau, les musiciens changent au fur et à mesure… Comme il y a peu de batteurs dans le désert, parce les ressorts et les peaux fragiles des batteries ne tiennent pas. Moi, je jouais pendant des heures en regardant les étoiles ! C’est passionnant : il faut faire tout le temps la même chose et en même temps se renouveler en permanence, trouver le moyen de changer des petits détails imperceptibles ! Ça m’a beaucoup servi dans mes autres projets. Pour moi, chez John Coltrane, il y a aussi cette transe rythmique qui tourne. A Love Suprême c’est la même énergie que les fêtes en brousse : c’est cosmique, spirituel… Alors pour nous, c’est un coup dur de ne pas pouvoir jouer ce disque en live. Après ce qu’il s’est passé dans le monde, on a envie de jouer toute la nuit !

Tamikrest Tamotaït (Glitterbeat / Modulor) 2020
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Auteur
RFI

 




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