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Le hammam, un espace féminin et lieu social par excellence

REGARD

Le hammam, un espace féminin et lieu social par excellence

Par sa chaude ambiance, par sa relaxation, sa sudation abondante qu’il provoque, le hammam est capable de guérir nombre de malaises et notamment les rhumatismes.

Les Maghrébins lui donnent le nom de «Médecin Muet». Mais la portée religieuse et sociale du bain maure, dépasse tout ce que nous venons de dire. L’utilisation rituelle du bain en vue de l’ablution majeure « Altahara el-koubra », fit de lui une annexe de la mosquée.

Ces hammams étaient généralement édifiés par les soins et aux frais du service des bains religieux « Awqafs » et affectés à qui moyennant une redevance annuelle, en assurait l’exploitation pour satisfaire la santé et l’hygiène des musulmans ; car dans la pratique de l’Islam, la propreté fait partie de la foi. Ainsi, se purifier et se laver est une obligation, et le hammam en est le lien privilégié.

Plus la vie urbaine, évoluait, plus le nombre de ces édifices augmentait. En effet, le hammam a évolué à partir des thermes Romains, des vestiges archéologiques attestent de leur existence dès les Omeyyades : le premier établissement public connu, est celui de « Bassora » en Irak, l’Egypte était réputé jadis pour ses 365 hammams, les plus beaux d’Orient.

Au XIIème siècle, Damas en comptait 57 d’après Ibn Assakir, au XIIIème, Alep en avait 70 d’après Ibn Chaddad  ; Cordoue en Andalousie sous Abderrahmane III, était fière de ses 300 bains maures, au XVIème siècle, Fès au Maroc, en avait 100 aux dires de Léon l’Africain, le fumier alimentait ces bains fassis.

Le propriétaire des hammams chargeait ses employés d’acheter un tas de fumier aux fermiers des environs puis le faire sécher, ce qui prenait un mois en été, trois en hiver, ainsi il demeurait après le séchage complet, dur comme
du bois et prêt à brûler : quand je pense que tous ces gens se lavent avec du fumier… !! racontait
Léon l’Africain.

Tlemcen » en Algérie, détient à ce jour, le plus antique des hammams nord-africains bain des teinturiers ou hammam Essebaghine. Ce bain comptait plus de 500 ans d’existence, aucun texte ne permet d’en préciser l’âge mais le style de l’édifice en atteste l’ancienneté, certains croient pouvoir le situer vers le XIème siècle par comparaison à un certain nombre de bains que garde l’Espagne et la Sicile ; certains, préfèrent l’appeler hammam Sidi Belhcène El Ghomari, nom d’un saint « mort en 1466 », cette faveur dont jouit le bain des teinturiers, est l’apanage de vieilles bâtisses au Maghreb, témoigne un habitant
de Tlemcen.

Si le progrès de l’urbanisme et de l’architecture moderne a fait que les bains de nos jours l’emportent en luxe, en confort et mieux spacieux que ceux d’autrefois, il faut reconnaître que les différentes parties de l’édifice n’a pas trop changé depuis les thermes romains qui comportaient :
– le frigidarium « pièce tempérée à 20° », salle de repos, de relaxation, de collation.
– le Tépidarium « pièce tiède à 32° », salle de massage, de soins…
– le Caldarium « petite pièce chaude à 42/48° ».

Entrons-y ! D’abord le vestiaire ou la salle de repos, c’est là qu’on se dépouille de nos vêtements dans un cadre plaisant : divans, glaces, vitres en couleurs… puis cintres de « foûta » pagne et traînement de « qabqab » patins de bois. Vous êtes conduits à une salle sans dispositif de chauffage mais tiède « Baît El bared » ; de là, vous entrez dans une salle chauffée « Baît Assekhoune » où le brouillard ténébreux de l’étuve. On vous étend sur une dalle de marbre, alors que deux robinets déversent l’eau chaude et froide dans un grand bassin.

Le hammam reste un espace de sensation, de liberté mais surtout le lien social et convivial incontesté chez les Maghrébins où les femmes viennent s’échanger les idées, « vider leurs sacs » mais aussi pour se divertir et s’instruire.

Le hammam occupe aussi une place de choix parmi les premiers lieux que découvre généralement l’enfant maghrébin après la maison et l’école, celui-ci accompagne la mère à toutes les entrées au bain avant sa puberté et c’est dans cet espace qu’il découvre la différence des sexes et contemple à loisir les sexes des autres… « la boîte à merveilles / chapitre 1 »

Le rapport de la nudité dans le hammam où les femmes laissent tomber les voiles et se dénudent dans la bonne humeur et sans la moindre gêne dans ce lieu de rencontre, de détente et de liberté. Elles se lavent aussi bien corporellement que spirituellement puisque le hammam reste une forte symbolique religieuse ; loin des chichis occidentaux par rapport à la nudité où l’on se frôle à peine et où l’on est presque gênée de croiser le regard de l’esthéticienne qui effectue le soin en institut.

En voici une description du bain maure d’Afrique du nord à travers le regard innocent mais indiscret d’un petit enfant Sidi Mohamed dans l’œuvre d’Ahmed Sefrioui « la boîte à merveilles ».

« Cuisses humides, mamelles pendantes, ventres ballonnés, fesses grises… ». Ce passage dans l’œuvre de Sefrioui fait de l’enfant sidi Mohamed un espion qui guette le monde féminin en franchissant toutes les frontières de l’intimité féminine. «Dans les salles chaudes, l’atmosphère de vapeur, les personnages de cauchemar qui s’y
agitaient, la température finissent par m’anéantir… »

Les adolescents se vantent notamment de leurs exploits amoureux ; les adultes eux par contre, abordent des sujets plus sérieux, voire des propos tabou « la voix haute ou basse selon les opinions qu’ils professent !!! »
Retenons les propos du poète andalou Ibn Magalis. : « El Hammam est un lieu où les hommes rassemblés se ressemblent tous, qu’ils soient valets ou maîtres, l’homme y côtoie des gens qui sont des amis et son ennemi, peut-être son compagnon de bain »

Toutes les occasions sont bonnes pour les femmes de se rendre au bain. Au Maghreb, un certain nombre de hammams leurs sont entièrement réservés et restent des espaces féminins incontestés : ils accompagnent toutes les circonstances de la vie, la mariée s’y rend 15 jours après la fête du mariage et après avoir perdu sa virginité.

Cette occasion est bonne pour se parer devant sa belle-famille, de montrer son trousseau ses bijoux en or mais plus souvent en argent ; ce métal blanc pur symbole de grandeur et de richesse qui a toujours fait l’objet d’ornementations majestueuses qu’elle soit civilisation orientale ou occidentale…

En effet, la France au XVIIIe siècle comptait des centaines de millier de kilos d’objet, de meubles des pendules des montres en or et en argent et même les rampes des bassins de Versailles étaient en argent massif l’une d’entre elles pesait 2880 kilos…Notons que dans toutes les traditions, l’argent par son blanc éclatant atteint une grande symbolique.

Portant le nécessaire de bain : la brima « seau d’argent ou de cuivre », une tassa « cuvette en cuivre », des peignes carrés « en corne », le gant de friction « ou M’hakka », « le Ghassoul » parfumé à l’eau de rose « shampoing Maghrébin » fait à base d’argile noire.

La Mariée « l’Aroussa » entre dans la salle chaude entourée de femmes les plus proches tout en gardant ses bijoux dont le Brime ou khalkhal « bracelets en or environ 500g qui contournent les pieds » et qui avait pour forme la tête d’un serpent qui représente dans les vieux contes maghrébins la résurrection des morts, en Kabily, il protège les récipients des réservoirs de grains de blé !

Et la Khamsa ou la main de Fatma qui pend de son cou ! Cette amulette en forme de main est la simple matérialisation de ce geste, dont l’objet sans doute est de renvoyer à sa source le courant d’influence maligne émane de l’œil, on peut être faut-il simplement le rattacher à l’importance de la main comme partie du corps dans la vie de l’être humain.

A la Khamsa qu’elle porte accrochée à sa chaîne, la femme maghrébine, ajoutera autant de mains qui la protégeront peut être du mauvais œil mais capteront sûrement les regards sur elle. Retenons les propos d’une chanson populaire du M’zab :

1- Assoyez-vous dans le vestibule
2- Moi et lalla Nasria
3- un homme est venu et a crié : « sidi »
4- Je lui ai répondu : « il n’est pas là »
5- Alors, il jette les bracelets par sept
6- Et les mains par paquet
7- Et du corail affilé
8- Un bracelet de Laghouat, un autre de Boussaâda…
9- Tout cela, pour Lalla Nasria

Une grande ambiance règne dans le bain dont les chants, les youyous, les bavardages et du Hawfi se sont ces poèmes dialectaux et improvisés inspirés de tous les thèmes de la vie que chantaient les femmes tlemceniennes lors des occasions familiales dont le Hammam.

Et… la fête finit par une collation aux senteurs d’eau de fleur d’oranger, des gâteaux et des boissons à base d’agrumes sont servies, des friandises sont offertes et des parfums variés sont aspergés. Les chansons appellent les djinns à ne faire aucun mal à la belle ; on implore le Très Haut pour donner au couple la fertilité et beaucoup d’enfants notamment…

Le bain accompagne d’autres occasions similaires au Maghreb dont le bain de l’accouché et le nouveau-né ; celui de la fin d’un deuil et si les mobiles sont nombreux, le cérémonial ne change pas.

Les poètes ont chanté ces lieux privilégiés, leur décor, les sensations qu’ils provoquent, la délicieuse torpeur corporelle qui fait oublier les peines et les soucis.

Le hammam est également à l’origine des dictons, de légendes populaires et de chansons dont la plus célèbre est celle du Cheikh Hamada intitulée :

« Ö Hammam qui accueille les belles vierges,
 Les as-tu ensorcelées ou le succès est dû simplement à la chance ».

Auteur
Faïza Kaouadji

 




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