Le 4 août 1914 à 4h 30 du matin, lumières et radio éteintes deux navires allemands avancèrent face aux villes d’Annaba et de Skikda. Les habitants musulmans étaient en pleine veillée du shour du ramadan au moment où ils entendirent l’éclat des feux d’enfer touchant plusieurs coins de leurs cités.
A Annaba, « en moins de quelques minutes : l’usine à gaz en parti effondrée. L’immeuble de la Manufacture militaire subissait de grands dégâts. Le palais Calvin au bas du Cour de la Révolution (ex-Bertagna) gravement endommagé ».
Les habitants, non moins affolés avaient quitté leur domicile, emplissaient les rues et ruelles à la recherche d’un spectacle éblouissant et inattendu, écrivait feu H’Sen Derdour, musicologue et historien de la ville dans son tome 2 de Annaba : 25 siècles de vie quotidienne et de luttes (SNED, 1983).
Au mois d’août, les deux villes commémorent les 110 années passées de l’attaque surprise de la marine allemande sur un territoire considéré département français et le déclenchement des premières hostilités militaires entre les deux empires coloniaux d’Europe. Ce fut une réelle débâcle bien française en terre coloniale. Entre 140 et 165 obus venaient d’être tirer sur Annaba par le seul croiseur léger le Breslau depuis ses 12 canons de 150 mm. à la même heure et en parfaite synchronie, le cuirassé Goeben était en face de Stora (une station balnéaire construite par Napoléon III pour recevoir sa « dame de joie ») lançant ses obus depuis les 12 canons de 150 mm, une soixantaine sur des cibles permettant le ralentissement des regroupements de compagnies de zouaves et de spahis en partance pour Belfort sur le front d’Alsace et de Lorraine.
Les deux navires battant pavillon turc ont réussi à déjouer toute la puissance de feu et la surveillance des 02 escadres navales britanniques présente en Méditerranée. La veille de cette attaque surprise, les 03 escadres navales françaises bien vieillissantes venaient de quitter le port de Toulon en direction des ports d’Alger, d’Annaba et d’Oran dans le but d’appuyer les navires de transport des troupes de la 19e région militaire d’Algérie. La lenteur des déplacements de ces navires et le manque de coordination entre l’état-major de la métropole et celui d’Alger se sont ajoutés à l’inattendue attaque qui fut un pure produit d’un long et mur travail d’espionnage de la part des services secrets du kaiser allemand en Algérie.
La présence du consulat général d’Allemagne installé jadis à la Villa Susini permettait aux vice-consuls de Constantine, M. Pflumm et celui de Bône M. Ludwig Seyffardt de mener à bien leurs actions de recueillir et au moindre détail, toutes les infos sur les deux villes côtières défendues par la 12e Batterie bis commandée par le lieutenant Couillaud et qu’en ce jour du 4 août, aucun ouvrage de la défense côtière à Annaba n’était occupé.
En effet, les artilleurs mobilisés de la région ont dû rejoindre la portion centrale de la 12e Batterie bis le 3 août 1914, « pour être habillés et équipés » laissant un seul gardien au niveau de la batterie du Fort-Gênois qui n’a rien pu faire. Lors de l’attaque du Goeben sur Skikda la batterie du fort d’El-Kentara était constituée de 04 canons modèles G de 1878, dont deux pièces seulement étaient fonctionnelles répondant aux tirs du navire allemand dans une dureté de manœuvre inouïe et que l’une des deux pièces lui manquait un guidon d’orientation.
Après une demi-heure de bombardement sur les deux « villes ouvertes », les deux navires du kaiser germain se retirent en direction des Dardanelles (Turquie) via Messine (Italie) et enfin le port du Pirée où ils seront ravitaillés en charbon, malgré la neutralité de la Grèce face à l’engagement ottoman au côté des forces de l’Entente. C’est une fuite qui laissa derrière elle, une opinion française en totale déroute.
Le 1er août 1914, on proclama en France et dans ses colonies l’ordre de mobilisation générale. Six jours après, une dépêche de Rome à l’agence d’info Fournier annonce que le Breslau et le Goeben se sont « refugiés » dans le port sicilien de Messine. A paris, on ignore totalement l’existence d’une telle opération et on continue à espérer que la raison pacifique l’emporterait sur l’esprit guerrier germanique et c’est l’Algérie du gouvernement général qui endossera toute la responsabilité historique de ce premier acte d’hostilité inter-impérialiste.
Le gouverneur colonial, Charles Lutaud lançait son communiqué officiel sous l’appel de « L’heure décisive a sonné » et que l’Allemagne a déclaré la guerre « à la noble et pacifique France » demandant aux « Algériens » d’enregistrer avec « honneur d’avoir reçu le premier choc ». Le mouton a craint le loup toute sa vie, c’est le berger qui l’a mangé, disait un dicton populaire géorgien.
Après l’occupation de la Lorraine et de l’Alsace, voici que l’impérialisme allemand frappe à la porte africaine de la République de France et de Navarre. A Alger, le sentiment de défaite est total et « le navire allemand était certain de ces deux villes, on ne lui répondrait pas par des envois de mitraille ».
Jusqu’à l’heure de la publication dudit communiqué du proconsul colonial, la France ignorait qu’il s’agissait de deux navires de guerre allemands et non d’un seul. A l’instant où les assaillants filaient à l’est de la Méditerranée, Alger et Paris croyaient que les navires se déplaçaient vers l’ouest en direction d’Alger et d’Oran.
Le quotidien L’Humanité du 5 août 1914, encore socialiste à l’époque, assurait que « la flotte française a réussi à couler le croiseur allemand le Panther » et que d’après certaines informations reçues à Alger « la flotte aurait fait prisonnier les croiseurs allemands Breslau et Goeben, qui bombardèrent ce matin les ports de Bône et de Philippeville ».
Tout juste préoccupé par les funérailles de Jean Jaurès fondateur aussi du même quotidien, reprendra le message qu’avait adressé le président du Conseil aux sénateurs et députés de France en notant que « la France vient d’être l’objet d’une agression brutale et préméditée. Avant qu’une déclaration de guerre nous eût encore été adressée, avant même que l’ambassadeur d’Allemagne eût demandé ses passeports, notre territoire a été violé ».
De son côté, le quotidien Akhbar du 4 décembre, 1914 publication coloniale, algéroise, évoque les propos du gouverneur de la colonie Algérie où il est question de « piège tenu à l’Islam » et demande aux musulmans algériens « d’écouter ma parole qui ne vous a jamais menti ! » en précisant que face à ces bateaux arborant les couleurs d’un pays ami qui affirme avoir acheter ces navires « les Français s’inclinant devant cette assurance, se retirent, par respect pour de pavillon turc ».
C’est bien cette France qui a réussi à transformer tout un peuple en cher à canon durant plus d’un siècle, qui n’arrive pas aujourd’hui à accepter que l’Allemagne du kaiser germanique lui a déclaré la guerre en Algérie et non dans une Belgique dont la géomorphologie est en forme de cerveau !
Mohamed-Karim Assouane, universitaire.