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Le Kanem, pilier économique du Tchad : entre fidélité et marginalisation, l’urgence d’un réveil politique

Kanem

Le Tchad traverse une période cruciale de son histoire politique, avec un gouvernement censé marquer un tournant. Pourtant, les inégalités régionales persistent, accentuant une répartition déséquilibrée du pouvoir.

Si le Sud est notoirement sous-représenté malgré son poids démographique, le Kanem – berceau historique du pays – subit une marginalisation à la fois subtile et profonde.

Le Kanem : une région stratégique, mais écartée des décisions

Le Kanem a joué un rôle fondamental dans la formation du Tchad moderne. De ses dynasties historiques à ses engagements contemporains, il a toujours été un acteur majeur de la stabilité nationale. Pourtant, il demeure exclu des grandes décisions politiques.

Les Kanémis occupent une position dominante dans presque tous les secteurs du commerce tchadien. En effet, ils détiennent la majorité des établissements et magasins sur les grands marchés de la capitale et des principales villes du Tchad, exerçant ainsi un quasi-monopole sur le secteur commercial. Ils privilégient le travail acharné à l’intrigue politique, et ce, malgré une pression constante – sous forme de racket exercé par le fisc et par les douanes – qui profite ironiquement aux acteurs proches du système.

La loyauté historique du Kanem envers le pays et ses institutions est souvent perçue comme un acquiescement passif aux régimes en place. Cela a permis aux élites de divers gouvernements de l’écarter sans crainte de contestation, alors même que son engagement, bien que silencieux, aurait dû être reconnu compte tenu de sa position stratégique et de son poids économique.

Le régime actuel concentre le pouvoir dans un cercle restreint, marginalisant non seulement le Kanem, mais aussi d’autres régions et ressortissants du Tchad. Cette exclusion repose sur plusieurs stratégies :

Malgré sa position stratégique et sa contribution à l’échiquier économique (notamment via les taxes et les droits de douane), le Kanem n’est ni représenté ni valorisé à la hauteur de son importance.

En termes d’infrastructures, la région semble plongée dans le néant : ni hôpitaux, ni dispensaires, ni centres de soins adéquats ne sont disponibles. L’accès à l’éducation est quasiment inexistant, tout comme le réseau routier. Le marché central de Mao, par exemple, ressemble à un simple marché hebdomadaire, et les rares édifices publics – dont certains datent de la période coloniale – témoignent d’un développement largement laissé aux initiatives locales.

Comme dans d’autres régions, la politique du « diviser pour mieux régner » a fragmenté les élites du Kanem. Les rares personnalités politiques issues de cette région se retrouvent souvent isolées ou cooptées, limitant ainsi toute action collective.

Alors que des figures du Kanem ont marqué les luttes pour la justice et la démocratie, leur contribution est trop souvent ignorée.

Un héritage de résistance et d’engagement

Loin d’être une région effacée, le Kanem a toujours été un bastion de justice et de dignité.

La longévité de ces mouvements a elle seule reflète une lutte pour plus d’équité, non seulement pour le Kanem, mais pour l’ensemble des régions marginalisées. Et bien que certains mouvements aient été créés de toutes pièces pour discréditer ces luttes, la réalité ne se lit pas dans les journaux de tous les soirs.

Entre ces grandes périodes, le MDJT de Youssouf Togoïmi – auquel des ressortissants du Kanem ont également participé – a représenté une lutte pour l’égalité et la justice face au même régime et dans les groupes armés qui avaient opéré dans l’est du Tchad (comme le FUC, l’UFDD entre autres).

Tous les mouvements et aspirations pour un Tchad meilleur ont vu les Kanémis répondre présents, unissant leurs forces avec celles d’autres groupes ethniques – même dans le cas des FAN et FAP, qui se sont alliés pour écraser le MPLT. Ces luttes n’avaient pas pour but de revendiquer une place dans le pouvoir central ou d’occuper quelques postes, mais bien de combattre l’injustice et l’exclusion systématique du Kanem et d’autres régions.

Ainsi, l’implication politique des ressortissants du Kanem ne se limite pas au FACT.

Les luttes des Kanémis ne relèvent pas uniquement de l’héritage du passé. Avec la montée du FACT, une nouvelle génération – inspirée par des figures telles qu’Ali Teguil, l’un des derniers commandants en chef du MDJT – a repris le flambeau, refusant de se soumettre à un pouvoir qui porte atteinte à leur dignité. Le FACT, bien que récent, bénéficie d’un soutien considérable de la part des Kanémis, soulignant l’engagement continu de la région dans la quête d’un Tchad démocratique.

Il convient également de rappeler l’implication des Kanémis dans la défense de la patrie, qu’il s’agisse des conflits pour récupérer la bande d’Aouzou aux Libyens ou des combats contre Boko Haram. Leur engagement, tant politique que militaire, témoigne d’une volonté inébranlable de défendre des idéaux de justice et de réformes.

Une région de paix et de travail, loin de toute victimisation

Contrairement à d’autres régions qui utilisent leurs souffrances comme levier politique, le Kanem refuse de se victimiser. Son peuple privilégie l’effort, la résilience et l’autosuffisance.
Pourtant, cette posture honorable a conduit à son exclusion des sphères du pouvoir, renforçant ainsi la nécessité d’un réveil collectif.

La lutte démocratique et l’implication politique

Le Kanem s’est illustré dans la lutte pour la démocratie, notamment par l’intermédiaire du Rassemblement pour la Démocratie et le Progrès (RDP), principal challenger du régime lors des premières élections démocratiques. Bien que sa victoire ait été entravée par un système politique autoritaire – contraignant ainsi le RDP à endosser, de facto, le rôle d’allié du régime – l’élection présidentielle de 1996 demeure un jalon déterminant dans l’histoire politique tchadienne.

Il est également important de rappeler le rôle fondamental joué par des figures emblématiques telles qu’ Allahou Tahir, premier président de l’Assemblée nationale tchadienne, Ali Kosso, sénateur, député et ministre, ainsi que Lol Mahamat Choua, ancien président de la République dans le cadre de la transition de 1979 et acteur majeur de la transition démocratique en tant que président du RDP. Leur engagement et leur leadership ont profondément marqué l’histoire du pays, en contribuant à l’accession du Tchad à l’indépendance, à la consolidation de l’État-nation et à l’essor des valeurs démocratiques.

Au-delà de cet engagement politique, les Kanémis ont également investi la société civile. En rejoignant diverses ONG et en participant activement aux mouvements de défense des droits humains, ils se sont positionnés comme des acteurs incontournables du changement. Leur implication s’étend même aux domaines de l’art et de la culture, illustrant ainsi une influence qui dépasse largement le cadre strictement économique et témoigne d’une volonté de transformation sociale globale.

Le soft power du Kanem : un leadership au service du Tchad

Dans un Tchad où les rapports de force dictent la politique, le Kanem doit désormais adopter une nouvelle stratégie :

Exiger qu’une partie des recettes fiscales soit utilisée pour construire des infrastructures modernes dans une région où les rares édifices actuels résultent soit d’initiatives locales, soit de vestiges coloniaux.
Revendiquer, par ailleurs, que le pétrole de Rig-Rig bénéficie directement au développement du Kanem.

L’heure du réveil a sonné

Rappeler l’engagement et les apports du Kanem à l’édification du Tchad n’est pas une démonstration de vantardise, mais la reconnaissance d’un rôle essentiel trop longtemps ignoré. Il est temps de se connaître suffisamment pour s’édifier mutuellement et rappeler à chacun le rôle vital à jouer.

Le Kanem ne doit plus être un simple spectateur de l’histoire du Tchad. Il doit reprendre son destin en main – non pas par la force, mais par l’intelligence, l’organisation et un leadership affirmé.

L’avenir du Tchad repose sur l’inclusion de toutes ses composantes. Un pays qui considère certaines régions comme acquises et invisibles se prive d’un avenir juste et stable.
Il est temps que les fils et filles du Kanem, ainsi que tous les Tchadiens marginalisés, réclament leur juste place dans la gestion nationale. Ceux qui n’ont pas voix au chapitre ne peuvent espérer en tirer des bénéfices.

Qui mieux que le Kanem pourrait incarner le rôle de trait d’union entre les multiples composantes du Tchad ?

Abdallah Saleh

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