L’Etat français sait tout, peut tout, entend tout, voit tout, manipule tout mais fort heureusement, il ne comprend rien. Il n’apprend pas ses leçons d’histoire. C’est un très mauvais élève, dira Ho Chi Min. C’est vrai, l’Etat c’est vous, le système c’est nous. Un système « qui résiste aux évènements et aux hommes. Il est bâti sur des fondations antisismiques. C’est un produit du terroir. Vous défoncer une porte ouverte.
L’Etat en Algérie n’est pas un Etat au sens moderne car il n’a pas les caractéristiques. Pour la science politique, l’Etat est un système politique lié à un univers culturel et spirituel occidentale : la religion catholique et l’histoire du Moyen Age. L’Etat est né de la conjugaison de toutes ces variables qui ont abouti au milieu du XIIIe siècle à la formation d’un Etat embryonnaire centralisé par la confiscation des ressources politico-juridiques dispersées à la périphérie aux mains des seigneurs féodaux, de façon autoritaire.
L’Etat va alors défendre cet espace politique par un droit administratif, qui protège ses agents, lesquels sont recrutés sur des critères méritocratiques, formés dans des écoles spécifiques où ils intériorisent les valeurs de l’Etat : l’idéologie de l’intérêt général. Un Etat omniprésent et omnipotent ; il dirige par des lois et des décrets ; ’il s’impose à la société d’en haut. Il oriente la société avec un Droit dont il est le seul maître. Cette logique centralisatrice s’oppose à la logique clanique et tribale des pays arabes et africains. En imposant donc au cours de la colonisation des institutions dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société arabe et africaine, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l’échec de la modernisation politique. D’autant plus qu’il manque aux institutions de cette dernière la dimension mythologique, très conscientisée en occident, qui sert à les faire fonctionner. C’est pourquoi, ces institutions ressemblent à des outils rouillés, abandonnés sur le chantier d’une exploitation minière à ciel ouvert, et qui s’avèrent inadaptées pour mettre en œuvre le développement de l’Afrique et du monde arabe.
Dans les bouleversements qu’a connus la société algérienne colonisée puis décolonisée, on insiste toujours sur les conséquences de la colonisation, rarement sur la phase de décolonisation. Pour saisir cette réalité, il faut peut-être étudier le discours des élites qui sont détentrices de l’appareil de l’Etat par rapport à celui des élites qui ont contesté l’ordre colonial. Le départ des colons a créé un vide à tous les niveaux.
Devant le vide laissé par le colonisateur et le traumatisme du peuple algérien, l’Armée de l’extérieur va combler ce vide d’autorité en créant de toutes pièces l’Etat national en s’appuyant sur les résidus de l’administration coloniale. C’est pourquoi l’Etat est souvent présenté uniquement comme un organe au service d’une force sociale dominante dont il suivrait fidèlement les orientations.
Derrière le groupe social au pouvoir se constitue une sorte de bourgeoisie d’Etat qui valorise idéologiquement le secteur public et le prestige du grand commis de l’Etat. Le pouvoir a fondé la croissance économique et son dynamisme politique sur les formes d’un Etat autoritaire. Sous prétexte de la construction d’un Etat fort, l’Algérie a renforcé le pouvoir central, une concentration excessive, une bureaucratie pléthorique … Les dirigeants algériens appelaient à l’unité nationale.
L’option pour la centralisation était justifiée au nom de cet impératif suprême admis sans discussion. La concentration du pouvoir politique au profit du chef de l’Etat était présentée comme un moyen d’accélérer le processus étatique de développement économique. Le régime militaire issu du coup d’Etat du 19 juin 1965, loin de rompre avec cette conception, se présentait comme le garant le plus efficace de l’unité nationale, de la consolidation de l’Etat, et du développement économique et social du pays.
Sa conception hiérarchique s’accordait parfaitement avec le modèle de l’Etat totalitaire. En cumulant les techniques d’encadrement du parti unique et de la discipline des armées, l’Etat militaire devient l’Etat militant. Cet Etat qui veut tout faire, tout entreprendre, tient à tout diriger, à tout imposer d’en haut ; tout doit passer par l’Etat, tout doit converger vers lui, tous doivent agir avec lui et sous son contrôle.
La construction d’un Etat fort, fort par sa capacité à contraindre que par sa volonté à convaincre, se fondant sur la loyauté des hommes que sur la qualité des programmes, se servant de la ruse et non de l’intelligence comme mode de gouvernance. Les fondements de ce système ne résident-ils pas dans l’incontestabilité des hommes au pouvoir et l’impérativité de leurs décisions ? C’est dire l’importance du choix des alternatives et de la libre alternance ? Parce que à la fois propriétaire et bailleur de fonds, le rôle omniprésent et omnipotent de l’Etat ne se trouve-t-il pas privilégié ? Plus encore, un tel système n’avait-il pas la prétention de tout régir, tout entreprendre, sans encourir le moindre risque, la moindre sanction ? « Quand on a un marteau dans la tête, on voit tous les problèmes sous forme de clous. Un système de gouvernance pathologique dans lequel personne n’est responsable de rien et tout le monde supposé coupable de tout.
Un système conçu à l’ombre de la révolution et mis en œuvre par les hommes sortis de l’ombre pour mettre de l’ombre à la démocratie et au développement. là. Du fait de l’origine sociale des « décideurs », l’acte premier a été la nationalisation, pour asseoir une logique du pouvoir fondée sur l’Etat Propriétaire des terres avant de s’étendre aux mines et aux hydrocarbures. Le pouvoir a fondé la croissance économique et son dynamisme sur un large secteur public dominant. Celui-ci a sollicité la rente toutes les fois où il fallait reporter à plus tard les contradictions sociales et il a empêché ces dernières de s’exprimer dans la sphère politique et d’être actives, en ne tolérant ni la critique, ni l’opposition.
Pourtant l’Etat moderne ne peut exister sans une économie de marché et sans une société démocratique. La question est de savoir si l’Etat providence, en tant que forme sociale et politique peut continuer à rester le seul support des progrès sociaux et l’unique agent de solidarité sociale. L’histoire ne peut se faire que par une alternance de sagesse et de brutalité, puisque les régimes déclinants résistent à la critique verbale.
La question centrale : » Y a-t-il une limite sociologique au développement de l’Etat providence et au degré de redistribution que son financement implique ? La crise de l’Etat providence est liée au rythme de la croissance des dépenses publiques liées aux politiques et aux mécanismes de redistribution qui est beaucoup plus rapide.
La crise actuelle de l’Etat providence est une crise financière doublée d’une crise de légitimité. La légitimité, par contre, est le fait pour les institutions publiques d’être acceptées par les populations concernées comme conforme à leurs vœux. Elles seront disposées à leur prêter leur concours.
L’Etat aura tout naturellement une certaine efficacité. A l’opposé, un pouvoir sera dit illégitime, si le groupe social concerné refuse de se reconnaître dans ce pouvoir et refuse de suivre ses initiatives. L’Etat sera alors très inefficace et tente de recourir à la force pour remplacer une acceptation spontanée par une acceptation forcée. Un Etat peut-être à la fois légal et légitime. C’est la situation la plus favorable mais elle est assez rare. Il peut être aussi légal mais illégitime. Il s’est mis en place et fonctionne dans le respect du Droit mais sa politique déplaît à la population qui manifeste son désintérêt, son repli, proteste de diverses manières.
L’option libérale n’a réussi à se développer et à exercer une certaine force de séduction intellectuelle que parce qu’il n’y a aucune alternative crédible aux forces traditionnelles de l’Etat providence. La vraie question concerne le rôle de l’Etat en Algérie. Comment peut-il générer le développement d’en haut ? Comment peut-on privilégier l’Etat sans être victime de son pouvoir et de sa bureaucratie ?
Dr A. Boumezrag
(*) « Le Mal algérien », de Jean-Louis Levet et Paul Tolila : dans le labyrinthe de l’Algérie contemporaine