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Le migrant n’est pas un chiffre

La chronique Naufrage

Le migrant n’est pas un chiffre

Bateau de migrants traversant la Méditerranée. Photo HCR/Alfredo D’Amato

Les dernières statistiques de la migration ont été annoncées récemment. Plus de 2260 migrants sont morts ou portés disparus en traversant la Méditerranée.

Le monde a commencé ensuite à relire les chiffres et à faire la comparaison avec les années précédentes. On n’analyse pas les raisons du départ ou les conditions d’accueil. On ne parle pas de migrants en tant qu’humains, mais en tant que chiffres qui se déplacent d’une démographie à l’autre.  

Les pays du départ et d’accueil ont politisé la migration, ce qui a effacé l’humanité du migrant. Celui-ci est devenu un chiffre pour faire l’inventaire.

Les questions profondes ne sont jamais posées, pour occulter les hypocrisies des  pays des deux rives, l’ici et l’ailleurs. Pourquoi le migrant part d’ici en risquant sa vie ? Pourquoi est-il refusé ailleurs et ne jouit-il  pas de son droit d’hospitalité ? Les médias enterrent ces questions qui dérangent les Etats, et falsifient le phénomène migratoire par des délires et  des chiffres. Falsifier pour cacher l’échec des politiques.

Différentes raisons poussent le migrant à traverser la Méditerranée : chômage, bureaucratie, guerres, l’inutilité des hôpitaux locaux, la dictature des visas, le manque des loisirs et du beau… Quand un migrant part, cela veut dire que son pays ne l’a pas convaincu à rester. Que vivre dans cette géographie est un échec.

La question d’accueil est aussi passée sous silence. Le pays d’accueil prend le migrant pour une menace, un danger, pour la stabilité nationale. Il a pour devise cette phrase de Sartre faussement décontextualiée : «L’enfer c’est les autres ».

L’État fait donc tout pour refuser  l’Autre et le pousser à rentrer chez lui. Voici un exemple de politique anti-migratoire : changer les lois locales qui donnent raison aux migrants ; criminaliser l’aide aux migrants (affaire Cédric Herrou) ; pousser les bateaux des ONG à laisser les migrants crever en mer ; ne pas construire de nouveaux centres d’accueil et en même temps interdire les migrants de dormir dans la rue…

L’article trois (3) de la Charte des Droits de l’Homme déclare que « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. ». A quoi sert cette phrase face aux politiques anti-migratoires ?

Le visa n’est pas un document qui facilite le déplacement et les échanges entres les rives. Non. C’est un mur pour refuser l’Autre avec malice. Comment ? Durcir la procédure,  exiger des kilos de papiers, réduire le taux des visas accordés, refuser le document par des prétextes absurdes… La notification du refus de visa Schengen stipule dans le motif six (6) : « Un ou plusieurs Etats membres estiment que vous représentez une menace pour l’ordre public, la sécurité nationale ou la santé publique, (…) ou pour les relations internationales d’un ou plusieurs des Etats membres. ». Un motif qui donne le vertige.

Le demandeur de visa est un criminel pour menacer la sécurité nationale ? Est-il atteint de peste ou choléra pour menacer la santé publique ? Est-il espion pour menacer les relations internationales ?

L’article treize (13) de la Charte des Droits de l’Homme stipule que « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». Alors à quoi sert cet article face au mur des visas ?  Au départ, le migrant est empêché par la marine nationale. A l’arrivée, il est refoulé par les forces étrangères.

Les pays d’accueil croient que  la migration s’affaiblit quand les frontières sont fermées. C’est faux ! Plus les frontières sont fermées, plus les migrants s’acharnent pour relever le défi. L’inverse est vrai : plus la porte est ouverte, plus le nombre de  migrants baisse, convaincus qu’ils peuvent revenir une autre fois. Exemple réel : il y a des migrants qui ont traversé la Méditerranée à cause des refus injustes de visa.

La solution ?  Il y a même des solutions. Les experts, les militants et les chercheurs font des efforts énormes. Parmi les solutions : procéder à une analyse transversale qui inclut le départ, le périple en mer, et l’accueil ; traiter la question migratoire en tant que phénomène humain non un flux statistique ; détruire les murs et promouvoir un Tout-Monde (philosophie de Glissant) tissé par l’Altérité.

Aujourd’hui, le  monde est une mosaïque de murs, les uns en bétons et les autres invisibles. Les Etats préfèrent se replier sur leurs nationalismes égoïstes. Le repli est un appauvrissement, l’ouverture à l’Autre est une richesse.

Face aux solutions, les Etats se bouchent les oreilles parce que la question migratoire est moins importante que le pétrole, le commerce, ou  la vente des armes…Un baril de pétrole échoué en mer vaut mieux qu’un migrant qui crie au secours ; le monde récupère le baril et laisse le migrant crever. Une réalité amère ! Les deux rives, de départ et d’accueil voient le migrant comme chiffre.

Sincère hommage à ceux et celles qui ont péri en mer. Les politiques sont meurtrières, pas la mer.

T. B.

Auteur
Tawfiq Belfadel, écrivain-chroniqueur

 




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