Nous avions rappelé dans le préambule la biographie de John Steinbeck, l’auteur américain le plus connu pour son tableau social de la période de la Grande dépression. Nul autre que lui ne pourrait être meilleur matériel pour la décrire pour les historiens futurs.
1. Des souris et des hommes
Tous les romans de Steinbeck nous entrainent dans le monde de l’impuissance face aux situations qui accablent les humbles par la misère et la discrimination. Inévitablement s’inscrit dans cette fatalité la dignité humaine mise à mal. John Steinbeck nous montre combien le rêve américain fut pendant cette période inaccessible aux exclus de la société.
Le roman Des souris et des hommes s’inscrit dans cette grande fresque. Publié en 1937, il est une œuvre majeure dans la liste des publications de l’écrivain. Je l’ai choisi parce qu’il représente l’une des trois entrées qui, à mon sens, déchiffrent l’œuvre globale.
Deux amis ouvriers agricoles sont en migration à la recherche de travail dans une Amérique dévastée. George Milton est intelligent, il sera le protecteur de son ami Lennie Small, un simple d’esprit grand et robuste qui rêve de caresser des choses douces comme les souris mais bien d’autres créatures ou objets.
Mais Lennie, si affectueux, finit toujours par leur faire du mal sans se rendre compte de ce qu’il fait. Le monde trouble de l’esprit inconscient est impénétrable. Ce qui est bouleversant chez Lennie est qu’il est d’une immense tendresse comme le sont très souvent les simples d’esprit.
C’est un personnage entier qui ne connaît pas le mal mais qui a besoin d’une protection et d’une affection que son ami George Milton lui donnera sans réserves.
Le simple d’esprit a toujours ému les sociétés qui voient en lui la naïveté du bien, lui promettant la certitude que son innocence est vouée à la protection du divin.
Nous avons tous connu un personnage identique dans notre quartier, dans notre ville ou pour certains, dans leur famille. La littérature n’a évidemment pas évité d’exploiter le caractère inépuisable du simple d’esprit dans la narration de l’âme humaine. Qui pourrait ne pas penser à Quasimodo, l’inoubliable bossu de Notre-Dame de Paris, le chef-d’œuvre de Victor Hugo inscrit dans la mémoire universelle ?
Mais si l’esprit fait spontanément le rapprochement, il faut le replacer dans sa vérité. Quasimodo n’est pas tout à fait Lennie car il se rend compte de sa marginalité et du traitement que lui fait subir la cruauté des hommes. Il a cru trouver son George dans l’archidiacre de la cathédrale qui le protège en l’abritant dans un lieu inviolable par les hommes. Mais s’il est vrai que le sentiment pieux n’est pas à remettre en cause, celui-ci est accompagné d’une personnalité trouble et dominatrice.
Si comme Lennie, Quasimodo utilise sa redoutable force pour repousser ceux qui lui veulent du mal, il est dans le sentiment de désespoir de la conscience de son sort. Quasimodo, faible d’esprit a aussi une autre conscience, celle de son amour pour Esméralda. Il ira jusqu’à la tuer pour l’extraire de la menace de mort qui pesait sur elle et sera enseveli dans ses bras pour l’entrée dans un monde éternel où les faibles d’esprit seront des princes.
La littérature et les scénarios de films ont créé bien d’autres personnages comme Lennie. Au moment où j’écris cet article vient spontanément à ma mémoire Candide de Voltaire même si sa faiblesse d’esprit nous plonge dans une réflexion philosophique. Ils sont de registres ou de notoriétés différentes mais toujours dans la même thématique.
Puis cette mémoire me fait également penser au roman de Jaroslav Hašek, Le Brave Soldat Švejk. Un simple d’esprit qui traverse la première guerre mondiale avec une inconscience qui le fait à chaque fois trouver des solutions improbables aux situations les plus dangereuses.
Enfin, dans un registre littéraire moins ambitieux, qui ne se souvient pas du très touchant Forrest Gump, un nom éponyme au titre du roman de Wiston Groom ?
Pour en revenir à notre roman, le rapport entre les deux personnages est celui de l’amitié et de la solitude dans un monde qui leur est si hostile. Lennie est un personnage qui se place au-dessus de la misère car il ne perçoit pas sa signification sinon par son envie de nourriture, une des scènes qui ouvrent le récit. Sa robustesse physique en est la cause sans qu’il y trouve une quelconque animosité envers ce monde si cruel dans lequel il vit.
George le protège en le rouspétant et en feignant sa colère d’être obligé de supporter et de traîner un « homme au cerveau débile » comme il le dit, sans vraiment le penser. Comme un père avec son enfant la tendresse est faite de remontrances alternées par une grande affection.
C’est que les deux hommes sont pourchassés de tous les emplois car Lennie, par son caractère imprévisible, ne peut retenir ses pulsions de violence qu’il ne peut maîtriser. Les deux hommes venaient de s’enfuir car Lennie avait eu le réflexe de toucher la robe de la fille du propriétaire par son envie de toucher tout ce qui est doux. La panique de la jeune fille engendra inévitablement celle du pauvre Lennie qui s’agrippa encore plus fort.
Pendant leur fuite Gorge a répété sans cesse à Lennie qu’il ne doit ni parler ni faire quoi que ce soit lors de la rencontre avec le nouveau propriétaire d’une ferme qui les attendait pour un travail.
Mais rien n’y a fait, Lennie ne pouvait pas s’empêcher d’être Lennie, recherchant des animaux que sa tendresse voulait caresser et protéger. Voilà qu’apparait la femme aguicheuse et fatale de l’horrible fils du patron,
La fatalité frappe encore, je laisse deviner le drame qui s’en est suivi. Lennie est l’ange de la pureté dans un monde de violence humaine, l’histoire ne pouvait se terminer que dans une tragédie nous arrache les larmes. Les larmes ne sont-elles pas aussi une conséquence de l’infinie tendresse ?
Il ne s’agit donc pas d’une fiche de lecture que je viens de proposer mais seulement d’un partage de ma vision personnelle de l’œuvre, très connue par la majorité des lecteurs, assez simplifiée mais très ressentie.
Dans le volet suivant je vous entraînerai vers une relecture d’un roman qu’il est impossible d’oublier tant il représente l’œuvre la plus connue de John Ernest Steinbeck. Un film en noir et blanc adapté du roman et gravé dans notre mémoire. Il avait un abonnement dans les programmes de la RTA et la certitude d’une audience captivée.
Boumediene Sid Lakhdar