Préambule. Si le lecteur amoureux de la littérature ou voulant y adhérer veut bien partager avec moi un moment d’immersion dans le monde de l’écrivain américain John Steinbeck, allons-y pour une série de trois grands classiques, Des souris et des hommes, Les Raisins de la colère et La perle.
Pourquoi John Steinbeck ? Comme je reconsolide le fond de culture qu’on a tous bâti par notre parcours de vie, scolaire puis de maturité, l’idée m’est venue dans ce partage de prendre appui sur l’actualité américaine.
John Ernest Steinbeck est né en 1902 à Salinas (Californie) d’un père employé et d’une mère enseignante. Cela avait suffi à son intelligence pour pouvoir accéder à la prestigieuse université de Stanford. Mais il l’a quitté pour divers emplois très modestes comme reporter, apprenti peintre, maçon et pour un temps très bref au quotidien New York American avant de retourner en 1926 à Salinas.
Pour la suite, nous retiendrons de lui une carrière de journaliste engagé et écrivain de la grande dépression. Tout en étant issu de la classe moyenne, donc hors de la condition sociale de ses personnages, il était assez instruit et intelligent pour puiser dans l’univers qu’il a côtoyé ses opinions futures et les traduire dans des chefs-d’œuvre.
Les succès se succèdent avec des titres qui ont atteint une notoriété mondiale dont ceux que j’ai choisi de présenter. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1962 pour une œuvre qui allie humour et perception sociale. C’est paradoxal mais qui ne connaît pas les situations cocasses des personnages aux conditions sociales difficiles et à l’instruction inexistante ? Ce sont toujours des scènes tragi-comiques qui, comme la légende du clown triste, nous arrachent des larmes de tristesse que suivent celles du rire.
John Steinbeck est donc le grand écrivain de la fresque sociale de l’Amérique du début du 20 ème siècle lors de la grande dépression économique qui a vu s’abattre la misère sur la couche la plus défavorisée de la population américaine. Il est le peintre et le reporter de ce qu’on appelle partout dans le monde, le pays profond.
Et dans cette actualité de nos jours dont j’ai parlé, quelle autre source que les romans de Steinbeck pourrait mieux décrire la base électorale de Donald Trump ? Justement celle des déclassés, des gens généralement peu instruits pour les plus nombreux et vivant une crise de disparition des principales industries qui faisaient autrefois la puissance économique de l’Amérique. Nous revoilà au cœur du monde de Steinbeck.
Avec John Steinbeck nous avons la clé de compréhension d’un pays divisé en deux populations, au bord de la guerre civile et qui n’ont rien de commun. Une Amérique blanche, chrétienne, celle de ceux qui se sentent déclassés et qu’on appelle les « petits blancs ». Celle de l’enracinement profond dans la religion et des valeurs qu’ils puisent dans le mythe des pères fondateurs de la nation américaine. Puis à l’opposé celle des grandes villes côtières des deux océans totalement inscrite dans la modernité et la mondialisation.
La différence est l’époque mais les personnages et les circonstances restent parfaitement similaires dans leur description et leur analyse. Cependant les personnages de Steinbeck sont nourris de tendresse malgré leur rudesse, ceux de l’Amérique profonde actuelle sont dans un gouffre de racisme, de bêtise sectaire et de violence contre les valeurs de la démocratie. Les personnages de Steinbeck sont reclus dans leur condition et inexistants dans leur représentation politique, ceux qui suivent le gourou Donald Trump ont pris le pouvoir sur le pays et clament avec bruit et fureur leur domination.
Steinbeck n’est pas dans la description de l’opposition entre les populations locales et celle de l’immigration. Ni même dans la dimension de la fracture territoriale. Bien que tout cela ait toujours existé dans ce pays et que John Steinbeck l’évoque en toile de fond, sa fresque est inscrite dans l’actualité de sa période. Il est l’écrivain de la réalité sociale comme le furent en Europe, Emile Zola et certains autres.
Pourquoi le choix des trois romans annoncés au début alors que le romancier américain totalise un nombre de titres très important ?
Tout simplement parce que j’y vois trois situations essentielles décrivant le monde et les personnages de John Steinbeck qui sont un parfait résumé de toutes celles qui sont dispersées dans les autres romans.
Dans notre premier roman, Des souris et des hommes, un personnage central, Lennie Small, un faible d’esprit, tendre tout autant que dangereux par son inconscience à faire du mal. Nous le rencontrerons dans le premier article qui inaugure cette série qui suit ma présentation initiale.
Les Raisins de la colère, le plus connu des romans, un succès mondial boosté par une merveilleuse adaptation au cinéma que peu de gens de ma génération ont raté vu le nombre important de rediffusions.
Dans ce roman nous sommes dans une globalisation de personnages à travers une famille qui s’exile pour fuir l’extrême misère de la campagne. À l’intérieur de cette globalité, l’auteur la compose de plusieurs personnages qui reprennent en chacun une singularité comme celle de Lennie, avec chacun son propre désespoir, de soumission ou de révolte.
Avec La perle, si nous restons dans le cadre du milieu très modeste des écrits de Steinbeck, il s’agit cette fois-ci d’une histoire aux enseignements plus philosophiques. Que se passe-t-il lorsque la pauvreté rencontre subitement la richesse qui « lui tombe dessus » ? Dans les deux autres romans cette richesse est celle rêvée et fantasmée par des démunis. Qu’arriverait-il si le rêve se réalisait ?
Nous ferons donc ce voyage dans le monde de Steinbeck dans les trois parties qui suivent, dans l’ordre que j’ai dévoilé par deux fois dans ce préambule.
Boumediene Sid Lakhdar