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Le Mouvement culturel berbère : 40 ans après, quel bilan ?

REGARD

Le Mouvement culturel berbère : 40 ans après, quel bilan ?

Les festivités du 20 avril approchent et comme à l’accoutumée tout le monde s’engouffre dans ce bal de conférences, débats, expositions, témoignages… Un décor déjà vu, revu et ressassé. 

Ce scénario répétitif et souvent identique est en train de prendre énormément de place, continuellement encombrant et particulièrement improductif. Le contenu des témoignages livrés par les acteurs de cette période sont souvent chronologiques. Ce qui amoindrit le débat et fait perduré l’idée idyllique d’un mouvement culturel berbère en recherche de rebond. 

Les acteurs de cet épisode historique sont-ils rentrés dans une spirale récurrente ? Ne parviennent-ils toujours pas à se projeter dans une perspective historique plus féconde ?

La signification sémantique du terme mouvement et a fortiori culturel et populaire indique qu’il y a eu effectivement l’action, la trajectoire, l’impulsion, la dynamique. Or, nous constatons qu’à travers les différents témoignages que nous entendons ici et là depuis 4 décennies, l’absence totale de ces éléments qui définissent et déterminent un mouvement en marche. Préparer un événement de cette dimension exige certainement de la rigueur dans l’organisation, de la conception, de la formation et surtout de l’anticipation. Des préceptes que nous ne retrouvons nulle part dans les déclarations des acteurs de l’époque.

Tout le monde s’accorde à dire que les événements les ont surpris, même s’ils se rejoignent sur le fait qu’ils suspectaient une imminente intervention musclée de la police. Ceci, à travers les informations-intimidations que les services de sécurité diffusaient un peu partout mais surtout les démonstrations de force des services de la répression dans la ville de Tizi Ouzou et alentours dès le début des hostilités entre les étudiants, l’administration et surtout avec les représentants du parti unique dans la région. Hormis, cette certitude d’une éventuelle intrusion, le devenir, l’identité, le calendrier, la tournure, le développement du mouvement… rare étés les acteurs ou témoins de cet épisode qui se projetaient pour la suite et sur l’avenir.  

Le principe d’anticipation afin de préparer la riposte et de donner la réplique chère à tout mouvement politique, culturel, syndical ou social d’envergure ne faisait pas partie de la vue de l’ensemble des acteurs car ils étaient plutôt pris par le quotidien et broyés par les réactions sporadiques. L’illustration de ce sentiment, nous l’avons vérifié après l’arrestation de quelques militants sommairement identifiés sous le nom des « 24 détenus ». Aucun comité de soutien n’a vu le jour en dehors de quelques milieux avertis et dans l’émigration, peu d’organisations crédibles n’ont repris le flambeau pour montrer la ligne et l’attitude à adopter. 

En revanche, quelques militants qui appartenaient aux partis politiques clandestins tels que le FFS, le PRS, le FUAA et des organisations de l’extrême gauche ont pu donner certaines consignes à leurs militants encore en liberté afin qu’ils fassent attention et qu’ils se préparent à une possible attaque répressive.  

A l’université de Tizi Ouzou, la peur, le doute, la désorientation et surtout la suspicion ont pris le dessus. Des étudiants désemparés, notamment après l’arrestation des leaders étudiants très actifs au sein des comités autonomes fraîchement élus. Il s’agit notamment d’Aziz Tari, Djamel Zenati, Rachid Aït Ouakli, Gérard Lamari. Les étudiants en liberté ont pu reconstruire timidement mais courageusement des ilots de résistances en s’appuyant notamment  sur le concours de quelques enseignants pour dénoncer les agissements scandaleux des forces de répressions et appeler à la libération de l’ensemble des détenus, dont quelques camarades étudiants. 

Pour maintenir la pression et surtout la survie de la contestation en dehors de l’enceinte universitaire bâillonnée par la police, les étudiants ont alerté les différents collèges et lycées de la Kabylie. Les lycéens ont repris le flambeau en apportant leurs soutien aux détenus, ils ont pu organiser à travers toute la Kabylie des manifestations, des grèves et des marches souvent réprimées par les forces de répression CRS. Ces derniers ont élu domicile dans les dortoirs des établissements scolaires à travers toute la région de la Kabylie pour atomiser les moindres réactions et expressions des lycéens et de la population locale principalement dans les villes moyennes, comme à Ain El Hammam, Larbaa Nath Irathen , Azazga, Draa El Mizan, Sidi Aich…concernées par l’agitation embryonnaire.

Dans un élan de solidarité authentique kabyle, notamment après la propagation de la désinformation par des officines, les services de sécurité, des organisations satellites du pouvoir (UNJA, UGTA, UNFA…), mais surtout des militants du parti unique à travers les cellules des Kasma ! Laissant entendre que des agressions et viols avaient été commis à l’encontre des jeunes étudiantes kabyles résidentes dans la cité universitaire de M’douha au chef lieu de la Wilaya. La population kabyle a réagi naturellement, d’une façon disparate mais déterminée pour faire face à cette énième injustice et agression que subissait de nouveau la Kabylie. Après les douloureux épisodes durant la guerre d’Algérie, les terribles événements de révolte du FFS en 1963, c’était  au tour de la jeunesse étudiante kabyle d’être agressée et injuriée !!! 


 

Des manifestations, des grèves ont éclatés aussi dans les rares zones industrielles, les commerces et l’administration. Des blocages de routes sont devenus le quotidien de toute la Kabylie. La population avait maintenu la pression sur les autorités locales, sans pour autant canaliser leurs efforts.

Par ailleurs, il faut mentionner et rendre hommage aux familles des détenus pour leur courage et leur détermination. Cependant, les familles et proches des détenus ont adopté une posture responsable et honorable. Elles sont restées mobilisés et solidaires avec les détenus tout au long de leurs détention jusqu’à leur libération au mois de juin 1980.

L’utilisation de la mémoire 

Le printemps berbère de 1980, date symbolique et de référence dans l’histoire contemporaine de la mouvance culturelle berbère, avait débuté suite à l’interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri et ensuite de l’intrusion violente des services de sécurité, de la police dans l’enceinte même de la cité universitaire Oued Aissi dans la wilaya  de Tizi Ouzou. Ils ont transgressés ainsi les franchises universitaires, statut chèrement acquis par les combats multiples des étudiants d’Algérie et du monde. 

Les quelques témoignages disponibles sur cette période évoquent un moment historique assez crucial. La plupart des acteurs ayant participé à ces événements portaient encore les stigmates de la guerre d’Algérie et de la dictature militaire post indépendance. A titre d’exemple le témoignage de M. About Arezki, dont le parcours politique fut assez versatile et mouvant. Certes son témoignage a le mérite d’exister car il fut le premier à être arrêté lors de ces événements. Mais  à le lire dans son livre-témoignage, nous assistions à un ensemble de récit et d’anecdotes. Il a livré indubitablement ses sentiments, ses ressentis, ses peurs, ses interrogations…

En revanche il n’évoque pas ou peu de noms, de camarades, il ne se réfère nullement à des réunions de travail organisées au sein de son organisation politique clandestine. Il ne cite pas de titres de revues publiés, n’évoque pas des rencontres clandestines ou politiques…Rien de tout cela, nous avons l’impression que M. About vivait sur une ile déserte, seul au monde!!! Ce qui complique la compréhension et conforte mes réserves sur la dimension qu’on veut donner au mouvement.

Par ailleurs, le Dr Saïd Sadi, autre détenu de 80, qui se présente comme étant la cheville ouvrière de ce mouvement ne nous renseigne pas sur grand-chose. Dans son livre réédité dernièrement « l’échec recommencée », nous nous retrouvons avec une cinquantaine de pages sur les événements de 80 qui débutent à partir de Mars, suite à l’interdiction de la tenue de la conférence-débat programmée à l’université. Son récit aborde les événements après l’annulation de ladite conférence que devrait animer l’écrivain Mouloud Mammeri, la prison, les différents tiraillements idéologiques, parfois politiques mais souvent personnels. Nous ressentons dans son témoignage une absence totale de stratégie et d’encadrement, ce qui a mis les acteurs de l’époque dans une posture de réaction et d’improvisation. 

Enfin, les différents témoignages des acteurs du printemps berbère en 1980, réalisé par le militant, journaliste et éditeur Arezki Aït Larbi corroborent cette impression. Les témoins relatent seulement les conditions de l’arrestation et de la prison. En effet, peu de personnes ne parle de l’évènement en amont, tous les dires et redites se réfèrent au mieux à la journée fatidique du 10 mars, date qui coïncide avec l’annulation de la conférence que Mouloud Mammeri devait animer à l’université, puis de l’agression du campus de Oued Aissi puis l’escalade et l’enchaînement des événements.  

La Kabylie, terrain de lutte ou d’expérimentation ?

En allant dans une lecture historique rétrospective de ce qui s’est passé en Kabylie depuis les années 40, à l’époque du mouvement national, nous notons que la région de la Kabylie subissait continuellement des événements douloureux. Les époques sont certes différentes entre le colonialisme français et la dictature algérienne post indépendance. L’élément toujours présent est la façon dont la Kabylie est régulièrement  soumise au diktat des décideurs qui la plupart du temps tirent leurs épingles du jeu. Les exemples se suivent et se ressemblent. 

Durant les années 40 au sein du parti nationaliste algérien, beaucoup de militants de la Kabylie ont fait les frais d’un conflit intergénérationnel et surtout politique entre un Messali Lhadj leader incontesté du parti nationaliste et la jeune avant-garde majoritairement originaire de la Kabylie, regroupée autour du militant berbériste Bennai Ouali et se retrouvent dans la vision politique du Dr Liamine Debaghine. Ce conflit avait coïncidé comme par hasard avec la crise dite berbériste de 1949, une aubaine pour les gardiens du temple afin de mettre à exécution un plan d’épuration et de purge envers les militants soupçonnés de berbéristes. Rare furent les quelques militants qui ayant  survécus à cette purification et parviennent rester dans les rangs du parti. A partir de cette date la volonté de réformer les instances du parti en perspective d’un mouvement démocratique et de libération fut remise aux calendes grecques.

En 1963, la Kabylie a prit les armes contre la dictature en place représentée par un pouvoir illégitime. Ce dernier réussit à se maintenir en voulant braquer tout le pays contre la région de la Kabylie en diffusant tout genre de discours, le pouvoir en place présentai alors les militants du FFS de : séparatiste, sécessionniste et toutes autres sortes d’allégations….Cette crise a laissé des traces et des plaies ouvertes dans la mémoire collective en Kabylie. Elle a engendré une fracture et un morcellement dans la transmission des valeurs révolutionnaires entre la génération formée dans l’esprit du mouvement national puis de la guerre  d’Algérie et la génération post- indépendance.

Revenons maintenant au contexte politique et social de la fin des années 70. L’Algérie a souvent été présentée comme un chantre de la lutte révolutionnaire et un pays avant-gardiste dans le combat mené par le tiers monde. En décembre 1978, nous assistâmes à l’annonce officielle de la disparition du président Houari Boumediene, qui a succombé à une longue maladie tenue secrète.  Boumediene était connu pour son autoritarisme et sa violence authentique envers toute forme de contestation ou d’opposition politique qui remettrait en cause son pouvoir sans limites ou ses décisions et choix politiques. Un débat fut enclenché alors au sein du parti FLN et au sein de l’armée pour trouver un successeur à Boumediene.

Tiraillements au sommet

Le tiraillement était à son apogée entre un clan mené par l’ancien secrétaire général du FLN en la personne de Md Salah Yahiaoui, un personnage imbu de l’idéologie baathiste. Ce courant était majoritaire au sein du parti, y’avait la légitimité au sein de l’appareil, il était soutenu par les organisations de masses aux ordres  à l’instar de l’UNJA, UNFA, UGTA… qui soutenaient sa candidature pour aller dans la continuité d’une ligne ‘révolutionnaire’ du défunt Boumediene. En plus de tous ces soutiens, Mohand Salah Yahiaoui bénéficia aussi du soutien de la formation politique le PAGS, avec sa devise de soutien critique. Logiquement et naturellement comme cela se passait dans les pays anciennement communistes et staliniens, c’était le parti qui désignait le candidat et généralement le secrétaire général était promu au poste suprême des responsabilités du pays.

L’autre prétendant au trône n’était autre que l’actuel président ‘ Abdelaziz Bouteflika’. Sa proximité avec le colonel Boumediene, ils venaient du fait du même clan à savoir le clan d’Oujda depuis les années de la guerre de libération puisqu’ils étaient postés essentiellement au Maroc. Bouteflika jouissait d’une grande confiance de la part de Bomediene, et fut promu plusieurs fois ministre, notamment des affaires étrangères. Bouteflika était présenté comme un libéral et pour l’ouverture vers l’Occident.

Face à ce conflit de succession, un troisième homme surgit pour faire le ménage et installer le colonel Chadli Bendjedid sur le trône. Il s’agissait de l’homme fort de la redoutable sécurité militaire ‘SM’ en la personne de Kasdi Merbah. Ce dernier a pesé de tout son poids pour imposer le colonel Chadli comme seul et unique candidat du parti, puis président de la république. Ce nouveau président était inconnu et n’avait pas une grande envergure,  ni l’autorité du défunt Boumediene. Le peuple Algérien ignorait ce personnage étranger à leurs yeux puisqu’il ne faisait pas partie du sérail, ni de la classe politique agissante de l’époque. Il faudrait donc s’y’habituer.

La Kabylie comme d’habitude allait-elle servir de terrain propice pour les innombrables tergiversations du pouvoir en place ? Les événements du printemps berbère de 1980 ont-ils servi de tremplin pour faire connaitre ce nouveau venu sur la scène politique ? Le pouvoir en place, égal à ses pratiques à user de tout son poids pour discréditer les événements du 20 avril 1980 par des rumeurs et de la désinformation tels que « Atteinte aux drapeaux, incendier les mosquées, discours séparatiste… » Voulait braquer une fois de plus le pays contre la région de Kabylie. Alors les marches et les manifestations de la kasma de Tindouf à la kasma de Souk Ahras encadrées par le parti unique et les organisations satellites ont médiatisé, leurs soutiens au nouveau président, faisant de lui un illusoire rempart contre l’instabilité du pays.

Le conflit de pouvoir à la tête de l’Etat fut endigué définitivement par l’exil forcé de Bouteflika et la disparition politique de Md Salah Yahiaoui. Depuis lors on n’entendit plus parler de tous ces détracteurs au nouveau régime.

La Kabylie rentra ainsi dans un cycle de contestation pacifique contre le régime central durant toute la décennie 80, plusieurs événements ont pu ressurgir et marquer la région.

Mes suggestions

Si je pose ces questions, ce n’est pas pour amoindrir le parcours et l’apport des uns et des autres, ni pour polémiquer avec des aînés militants. Mon interrogation s’inscrit plutôt dans une démarche d’enclencher un débat et une critique constructive afin d’analyser sereinement et paisiblement le contexte de l’époque, déceler les insuffisances, les fragilités et les incohérences que nous endurons encore dans nos différentes actions militantes. La capitalisation des expériences nous fait encore et souvent défaut. En dépit des innombrables expériences, nous ne parvenons toujours pas à apprendre de nos erreurs.

Hélas, la liste de ces revers et défaites est très longue. L’instrumentalisation du mouvement et les dérives personnelles de corruption, l’aliénation et la servitude d’un certain nombre de membres de cette génération captés par la mangeoire tendu par le pouvoir… illustrent parfaitement cet état. Le constat que je dresse modestement est mitigé voire amère. Faire perdurer dans l’imaginaire collectif le spectre d’un mouvement idyllique, structuré, organisé, voire même hiérarchisé est une chimère. En effet, la présentation qu’on nous livre à tort et à travers concernant ce mouvement est biaisée.  Le printemps berbère est une belle idée en construction. 

Le droit d’inventaire est plus que nécessaire, nous ne pouvons pas admettre cette fuite en avant perpétuelle. Il faudrait à mon sens se poser, engager une réflexion apaisée et prendre le recul nécessaire avant de se lancer dans des actions sans maîtriser les tenants et les aboutissants, le calendrier, se fixer des objectifs réalistes et réalisables. L’impression que nous demeurons sur des acquis superficiels ne nous permet pas d’aller de l’avant et de proposer une perspective historique aux générations futures. 

Saddek Hadjou

Ancien militant du MCB 

Ancien animateur du collectif  culturel Tagherma de l’Université Mouloud Mammeri d’Alger.

 

Auteur
Saddek Hadjou

 




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