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« Le peuple est un éternel mineur » (*)  

Lait

Le peuple algérien est devenu un peuple nourrisson qui court derrière le sachet de lait importé.

Longtemps sevrés par la colonisation, les Algériens mettent désormais les bouchées doubles. « Un ventre rassasié demande à la tête de chanter » dit un adage algérien. Quand la tête chante, le corps danse, et les mains applaudissent. C’est le début de la récréation. Les élèves quittent leurs classes, les paysans leurs terres, les ouvriers leurs usines, les artisans leurs échoppes.

Les fonctionnaires leurs bureaux, les colons les terres, les moudjahidines se multiplient, les opportunistes foisonnent, les ambitions s’aiguisent, les luttes de pouvoir s’exacerbent, les discours claironnent. C’est l’indépendance. Les Algériens se sont débarrassés du bleu de travail de la colonisation pour enfiler la djellaba blanche de l’indépendance. Ils ont retiré les bottes de paysan pour porter les claquettes du citadin. Du silence religieux des campagnes au vacarme étourdissant des villes. Pour le défunt Président Boumediene « les hommes ne veulent pas aller au paradis le ventre creux, un peuple qui a faim n’a pas besoin d’écouter des versets, je le dis avec toute la considération que j’ai pour le coran que j’ai appris à l’âge de dix ans. Les peuples qui ont faim ont besoin de pain, les peuples ignorants de savoir, les peuples malades d’hôpitaux ». (**). Ce discours s’inscrivait dans le courant de pensée qui soutenait à l’époque que la modernité allait faire disparaître le religieux. Au cours des années 70, les idéologies matérialistes (marxisme, léninisme, maoïsme etc…) dominaient la pensée et les débats publics.

Pour les révolutionnaires du tiers monde, l’idée d’Etat national était plus importante que la religion. La philosophie du progrès qui garantissait le bonheur des peuples sur terre élaguant les problèmes existentiels à plus tard. Les révolutionnaires de la première heure, éduqués dans le culte des lumières de la révolution française se retrouvent plongés dans le culte des ténèbres de la révolution bolchévique dont ils ignoraient les tenants et aboutissants. Le silence religieux des campagnes contre le vacarme étourdissant des villes.

La boulimie des citadins pour des produits importés contre la frugalité des paysans (consommation des produits du terroir). Ce sont les tripes qui commandent et non pas les neurones. C’est la politique par le bas celle du ventre. Les  algériens tiennent plus à remplir leurs ventres à partir des importations qu’à sauver leur âme malgré leur fréquentation nombreuse et assidue à la mosquée.

Le pouvoir maîtrise parfaitement les ressorts de la société algérienne. Et il les manie avec brio. Déjà dans l’empire romain, un poète disait que « pour bien gouverner, il fallait au peuple du pain et des jeux ». Ainsi le peuple pouvait se nourrir et se divertir et laisser les gouvernants vaquer à leurs occupations.

En lui assurant de la nourriture et des jeux, on l’empêche de rentrer dans le jeu politique et ainsi on évite les révoltes, les émeutes, les contestations. En procédant à la redistribution de la manne pétrolière et gazière à des fins de légitimation, l’Etat naissant « dépolitise » la société en « l’infantilisant ». Infantiliser la société, cela consiste à agir envers la société comme si elle était un enfant.

L’enfant est celui qui n’a pas la capacité de parler ou d’agir, il doit obéir. L’infantilisation s’est développée avec l’Etat providence. L’Etat est là pour le protéger, le surprotéger, veiller sur son sommeil et sur sa nourriture. L’infantilisation touche tous les individus, se propage dans tous les domaines de la vie en société. Même si elle n’est pas consciente, elle aboutit à un déséquilibre psychique de l’individu difficile à stabiliser (une tête d’enfant dans un corps d’adulte).

Après 60 ans d’indépendance, le peuple algérien est devenu un peuple « nourrisson » qui court derrière le « sachet de lait » produit à partir de la poudre importée. Qui osera le « sevrer » ? Il sera aussitôt « mordu ».

Tel un nourrisson, pour éviter qu’il crie, on lui présente le biberon ; pour l’empêcher de se mouvoir, on serre un peu plus la lange. L’Etat est là pour répondre aux besoins nutritionnels et non aux besoins relationnels de la population (besoins de se dire, d’être entendus, d’être reconnus, d’être valorisés, bref d’exister). Aujourd’hui la vérité saute aux yeux, L’Etat providence n’a plus les moyens de ses ambitions économiques et sociales du fait de la baisse des recettes d’exportation des hydrocarbures et la population se réfugie massivement cette fois çi dans « les certitudes de la foi musulmane et non dans l’idéologie islamiste ».

Le retour du religieux semble faire surface mais plus tempéré et moins fougueux, expérience aidante. «Chat échaudé craint l’eau froide ». La carotte s’est aminci et le partage difficile à faire, il ne reste plus que le bâton mais un bâton qui a perdu de sa « rigidité » et a gagné en « souplesse ».

 Du haut en bas de la pyramide, perdre le pouvoir, c’est perdre la propriété acquise et la seule possibilité de s’en protéger c’est de s’accrocher au pouvoir par tous les moyens. De nombreux « certitudes étatiques » vacillent (fascination de l’Occident) au profit « des certitudes religieuses » (Retour brutal du religieux).

Après soixante ans d’indépendance, l’Etat algérien postcolonial s’est avéré plus un Etat rentier qu’un Etat  laborieux. Un Etat qui repose sur la démobilisation de la société grâce à une manne pétrolière. D’un autre côté, un Etat qui n’a pas besoin de taxer sa population n’a pas de compte à lui rendre. 

Une société indigente qui dépend de l’étranger pour sa subsistance et qui ne réclame pas de travail pour produire sa propre nourriture est une société en voie d’être cédée au plus offrant. Ce sont les sources pétrolières et gazières qui alimentent le budget de l’Etat (75 %) et remplissent le couffin de la ménagère (98 %).

Au fur et à mesure que le pétrole devient la principale activité économique du pays et le premier secteur d’exportation, les gouvernements tendent à être de plus en plus dépendant des revenus pétroliers et gaziers. Ceux-ci deviennent la source majeure des revenus de l’Etat, l’unique source de devises étrangères et finalement la base économique du pouvoir en place. Cette dépendance accrue envers les revenus pétroliers et gaziers affecte négativement la capacité de l’Etat et l’aptitude du gouvernement à prendre a en charge les besoins des populations. 

L’Algérie s’est installée depuis de nombreuses années dans une position inconfortable d’un pays déficitaire et  gros importateur des denrées alimentaires dont l’éventail est très large (céréales, sucre, huile, lait, légumes secs, etc), entrant dans la consommation courante et quotidienne de la population quel que  soit le modèle de consommation considérée (rural ou urbain). La flambée des prix des denrées alimentaires a été un des facteurs déclenchants du printemps arabe. Les pays développés soutiennent la production, 

Les pays rentiers soutiennent les importations c’est-à-dire financent la dépendance du pays aux variations des prix vers la hausse sur le marché international. Ces importations jouent le rôle de soupape de sécurité parce que empêchant que la crise agricole ne traduise la faillite d’une économie largement dépendante de l’extérieure pour sa survie.

Et le cargo diabolique nous enchaîna tant par l’exportation de notre seule ressource nationale exportable (les hydrocarbures) que pour l’importation de notre nourriture et de nos médicaments. Mais l’horrible vérité, c’est que les gouvernants qui se sont succédé depuis l’indépendance à nos jours ont besoin des importations pour asservir leurs populations. 

Le pétrole enivre, le gaz pollue, l’argent facile aveugle. Pourtant, il a peut-être d’autres moyens moins contraignantes et plus motivante la mobilisation de la population à des fins productives. « Khedmni oukhout hakkab ». (fais-moi travailler et prend ton dû ». Cela nécessite un savoir-faire et un faire qui nous font cruellement défaut.  La politique tout comme la religion, ce n’est pas un « artichaut », on prend ce que l’on veut et on laisse le reste.

Dr A. Boumezrag

(*) Le titre est une citation de Gustav Flaubert

(**) Conférence islamique à Lahore au Pakistan en février 1974

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