Mardi 12 mars 2019
Le peuple s’est exprimé, il ne sert à rien de ruser encore !
Quand un peuple par millions et sur tout le territoire, semaine après semaine occupe l’espace public, quand la parole du président en personne devient inaudible, alors les qualificatifs qui collent le mieux à la réalité sont ceux de crise politique aiguë ou de situation révolutionnaire (*).
En dépit de cette fabuleuse entreprise initiée le 22 février, motivée et mue par une haute conscience historique, le pouvoir ne semble pas comprendre la nature de cette insurrection citoyenne et toute pacifique. Cette incapacité à ne pas saisir les contradictions qui traversent et agitent la société algérienne l’ont toujours poussé à faire appel aux recettes politiques engendrées par sa médiocre idéologie conservatrice. Hier, il utilisait la force brute pour arriver à ses fins.
Aujourd’hui l’Algérie de 40 millions d’habitants a engendré en marge du système des femmes et des hommes dont la culture et la conscience politique ne peuvent plus supporter d’être minorés par un pouvoir qui a étalé sa surdité à entendre et à comprendre les aspirations de la société.
Du reste tout le monde aujourd’hui sait que c’est son indigence politico-idéologique qui l’a empêché de former en son sein des hommes/femmes politiques de qualité pour le servir et le perpétuer. Et c’est ce manque de cadres politiques qui a incité le système à s’accrocher depuis vingt ans à un chef d’État qui plus est gravement malade. Il n’est pas nécessaire d’être un lecteur féru de Machiavel pour comprendre que la meilleure forteresse d’un pouvoir est le respect du peuple et non la protection de courtisans souvent incompétents techniquement et bornés politiquement. Jusqu’ici le pouvoir a perduré en maniant la carotte et le bâton, technique efficace quand on a affaire à une société atomisée où la peur et le scepticisme ont favorisé le fameux ‘’rhali rassi’’ (sauver ma tête).
Mais la ruse de la carotte et du bâton, ça eut marché hier mais aujourd’hui ça ne marche plus. Le pouvoir a en face de lui non des individus isolés mais tout un peuple tout heureux de découvrir sa force collective, heureux de se parler et d’enterrer les préjugés régionalistes et autres balivernes fruits de misères de toutes natures. En dépit donc de ce tsunami politique que vit le pays, le pouvoir sort de sa besace trouée, une petite ruse en proposant un 5e mandat et de faire ensuite des réformes ‘’historiques’’.
Pareille ruse induit que le candidat du pouvoir gagnera forcément l’élection (reconnaissance explicite de la fraude) et que le peuple toujours ‘’naïf’’ a oublié la promesse de 2012 à Sétif, (Tab jan’na), notre génération a fait son temps.
Ce petit détour par les ruses du système peut servir de leçons pour que la transition qui s’annonce ne tombe pas dans les travers de la politique sans principe mais au contraire se coltine avec la complexité du moment historique que nous vivons où le nombre des contradictions est à la fois important et dont la nature implique différents traitements. En un mot, on constate aujourd’hui l’opposition frontale entre le peuple et le pouvoir en place. Mais à côté de cette contradiction visible et crue, il y a de nombreuses autres contradictions, contradictions avec et entre les partis politiques, avec des institutions qui obéissaient au pouvoir en place et enfin les contradictions entre les catégories sociales qui continueront d’exister une fois le pouvoir détrôné. On le voit, la tâche est titanesque.
C’est pourquoi les différentes idées qui risquent de foisonner ici et là doivent se référer à mon humble avis à deux paramètres. Le premier est celui qui met au centre de la période de transition, la souveraineté du peuple qui a été le moteur et l’acteur de la future 2e république. Le second facteur est celui qui met au centre de la réflexion politique l’histoire du pays. Elle est suffisamment riche, connue et récente pour ne plus refaire les mêmes erreurs qui ont généré le présent dont nous souffrons encore. Rappelons-nous le mot d’ordre ‘’un seul héros le peuple’’, un cri venant des entrailles du pays quand le peuple a vu le rouleau compresseur se mettre en marche pour le déposséder de sa victoire.
Mettre l’Histoire nationale au centre des conquêtes d’aujourd’hui tout en évitant deux petits pièges. Celui d’une transposition mécanique de faits historiques nationaux en oubliant que l’histoire est mouvement. Il faut, pour reprendre une formule célèbre, quand l’histoire bégaie en faisant du surplace, elle engendre farce ou tragédie. Le 2e piège, c’est celui des expériences historiques étrangères et médiocrement appliquées. Les expériences historiques d’hier et d’aujourd’hui sont enrichissantes quand ou si elles permettent de gagner du temps mais pas au prix de gâcher l’issue du projet politique en cours. Le temps est un matériau rare et exigeant que la langue populaire traduit en une formule, ‘’il ne faut pas courir plus vite que la musique’’. En un mot, il faut s’ouvrir aux expériences printanières d’ailleurs mais en utilisant les matériaux localement disponibles. L’architecture belle, riche et diverse nous offre des exemples d’acclimatations aux époques historiques.
Ainsi la raison d’être d’une transition politique est d’ouvrir une dynamique au sein de la société qui permette à un processus politique de se mettre en branle pour atteindre les objectifs que s’est fixé un mouvement populaire (1). Et les deux outils nécessaires à cette stratégie ont pour nom l’intelligence historique du pays dont la maîtrise revient à une intelligence collective et non à quelque homme providentiel. Ce dont on est sûr et que l’on peut vérifier dans les grandes ruptures révolutionnaires, c’est la libération de la parole du peuple que les grandes œuvres artistiques ont relayé (littérature, peinture, musique, théâtre, cinéma).
A. A.
Notes
(1) Les mots d’ordre depuis le 22 février dans les manifestations sont nombreux et pertinents pour accoucher d’un projet et d’un programme politiques sans trahir les aspirations populaires. Quant aux œuvres artistiques tous genres confondus, elles rappellent qu’un peuple ne vit pas que de pain mais que les nourritures de l’esprit sont un rempart contre les charlatans qui ouvrent les chemins aux apprentis dictateurs.
(*) Cette chronique a été écrite avant l’annonce des décisions de lundi soir concernant l’annulation de la présidentielle.