Site icon Le Matin d'Algérie

« Le pouvoir c’est impuissance ! »

TRIBUNE

« Le pouvoir c’est impuissance ! »

« La vérité est comme une femme : nue, elle nous fait peur, elle révèle notre impuissance ; habillée, elle nous rassure, elle cache nos défauts ».

Nous fuyons la vérité et nous nous réfugions dans le mensonge Nous avons les gouvernants que nous méritons. Ils sont notre reflet, nous sommes leur produit. « On nous traite comme nous voulons être traités ; nous haïssons la vérité, on nous la cache ; nous voulons être flattés, on nous flatte ; nous aimons à être trompés, on nous trompe ». La pensée est de Blaise Pascal.. On dit ce que l’on ne fait pas et on fait ce que l’on ne dit pas. « Quand on a un marteau dans la tête, on voit tous les problèmes sous forme d’un clou ». Nous n’apportons pas de solutions à nos problèmes, nous en créons d’autres. « Tout clou qui dépasse interpelle le marteau ». Nous nous entêtons à reproduire à l’infini les schémas de pensée qui ont fait la preuve de leur inefficacité. Albert Einstein nous a pourtant appris qu’ « un problème créé ne peut être résolu en réfléchissant de la même manière qu’il a été créé ». Nous refaisons à l’infini les mêmes erreurs, De nos jours, c’est l’impuissance du pouvoir qui est le problème le plus angoissant et le plus inquiétant de notre jeune société.

Le verbe est devenu un refuge à l’impuissance d’agir. « L’incapacité est un crime aujourd’hui chez ceux qui consentent à se charger de diriger des peuples ; mais quand l’ineptie veut de plus s’arroger le monopole de la pensée ; on ne sait plus comment qualifier une telle monstruosité » écrivait le comte de Saint Simon au XVIII siècle et nous sommes au XXIème siècle sur une terre qui a été le berceau de l’humanité. Alors, à quoi bon la lumière du soleil si on garde les yeux fermés ? Le pétrole nous enivre, le gaz nous pollue, l’argent facile nous aveugle. C’est un argent sale. Un argent qui tue, qui corrompt, qui pourrit, qui détruit y compris les consciences. L’argent coule à flots. Le prix du brut grimpe, les coffres se remplissent, tout coffre a une serrure, toute serrure a une clé, l’argent devient roi, les années fric blanchissent les années noires. La femme investit l’espace public et l’homme s’enferme dans l’espace privé. Il se cache derrière les écrans.. La femme envahit la fonction publique, son mari bat en retraite, ses enfants se rebellent. Le père n’a plus d’autorité, le pouvoir n’a plus de prise sur la société. Les jeunes veulent prendre leur destin en mains. On ne vit pas pour ses parents. Le pouvoir ne répond plus, il est hors champ.. L’argent remplace le phallus au lit, castre l’homme et avilit la femme.  L’autorité et la responsabilité forment un couple séparé. Elles font chambre à part. Celui qui, décide n’est pas responsable et celui qui est responsable ne décide pas. Les jeunes couples se forment et se déforment à la vitesse de la lumière. L’argent facile va et vient et fait des enfants. Nous nous couchons à deux et nous nous retrouvons à trois, quatre puis à cinq. Qui assume la paternité ?

Evidemment personne. Les enfants n’ont pas demandé à venir au monde. Ils sont à leurs corps défendant livrés à eux-mêmes. Ils sont tombés du ciel, des enfants x en quelque sorte. De source très bien informée, on nous rapporte que le père se soûle, la mère se prostitue, les enfants se noient. La drogue fait des ravages. Les algériens sont sur un nuage. Avec le plein de kérosène et un ciel dégagé, l’avion Algérie poursuit son vol dans une ambiance bonne enfant. Le pilotage automatique est actionné. Soudain des perturbations atmosphériques font tanguer l’avion. Il faut reprendre le manche. C’est à ce moment-là que les passagers se demandent s’il y a un pilote dans l’avion ? L’avion a décollé avec un pilote militaire, qui va se charger de l’atterrissage ? Un message de la tour de contrôle s’affiche sur les écrans, « vous êtes en infraction avec la loi, un militaire ne doit pas piloter un avion civil ». Se trouvant à court de carburant et à basse altitude, l’avion se met à planer tous moteurs éteints. La catastrophe est inévitable. Ni les passagers ni l’équipage ne seront épargnés.

Que faire ? Militaires et civils sont dans le même vaisseau. Leur sort est lié. Les passagers ne peuvent jeter l’équipage par-dessus bord ; l’équipage ne peut pas se débarrasser des passagers à bord. Sommes-nous en présence d’un consensus social pour un suicide collectif ? Une certitude, « Le suicide est la dernière crise d’une maladie morale » nous dit Honoré Balzac. L’Algérie est comme cette femelle en rut attendant un géniteur. Dans le règne animal, c’est au mâle de partir chasser, séduire et posséder la femelle. Il n’est pas seul à vouloir la conquérir. La femelle est convoitée par plusieurs mâles, elle accordera ses faveurs au mâle dominant. Ils se battent pour savoir qui est le plus fort. Ils ne font pas semblant.

La femelle est attirée par le gagnant. Ce qui fascine la femelle, c’est que le mâle a le pouvoir de tuer. Ce dont l’Algérie a besoin, c’est d’un pouvoir qui la féconde. Or le pouvoir n’a pas quitté son bas ventre (sous-sol saharien) depuis la nuit de noces (l’indépendance) et à ce jour, on ne voit rien venir. Alors, on se demande : qui est stérile l’homme ou la femme ? Le pouvoir ou la société ? C’est une situation pesante. Le pouvoir a les nerfs à fleur de peau, la folie le guette. La société est au bord de la dépression, la ménopause approche. Elle rêve de voir ses enfants gambader et retrouver la joie de vivre auprès d’un mari jeune et vigoureux et abandonner à son sort son vieux compagnon de route avec qui elle a eu de bons et de mauvais moments. C’est un mariage chrétien qui date du milieu des années cinquante. On se « marie pour le meilleur et pour le pire » jusqu’à la fin de ses jours. Dans la tradition arabo-musulmane, dominer c’est posséder. Posséder la femme, l’argent, le pouvoir.

Etre possédé, c’est le propre de chaque femme. Toutes les femmes sont belles n’est-ce pas ? Cette notion de possession est capitale chez l’homme. L’Algérie m’appartient, je la possède, je la domine, c’est mon territoire. Une fois, la femelle possédée, elle devient notre propriété. Elle ne sera léguée qu’à notre descendance pour perpétuer notre domination. Pouvoir et peuple se tournent le dos. C’est un couple en crise. Un désaccord profond les déchire. Des deux conjoints, qui doit quitter le lit ? Pour les islamistes, c’est la femme (la société doit changer) ; pour les démocrates, c’est le mari (le pouvoir doit changer) ; pour les modérés, « loin de toi j’ai froid, près de toi j’ai chaud » (statut quo). Ce qui se passe dans la chambre, les familles l’ignorent. On ne voit rien par le trou de la serrure et on n’entend rien en écoutant aux portes. Cela ne regarde que le couple à moins de vouloir « fantasmer ou participer ». C’est de l’indécence. C’est un manque d’éducation. Les familles peuvent toujours s’allier, cela n’empêche pas le couple de se quereller.

Deux femmes se plaignaient de leurs maris respectifs, l’une est vieille, et l’autre est jeune (la société française et la société algérienne à propos de leurs gouvernements), la vieille dit à la jeune, ton mari n’est pas comme toi, tu as par où le tenir. Les vieux parents ne peuvent se substituer à leurs enfants adultes. La société a mûri et le pouvoir a vieilli. Aujourd’hui, les hommes ne se battent plus avec des armes. Ils sont devenus  civilisés, ils ont inventé le sport. « Le sport, c’est la guerre, les fusils en moins » dira G. Orwell. La Coupe, symbole de la vulve féminine atteste de la victoire d’une équipe sur une autre. Une coupe que l’on veut garder au club. C’est l’ornement de la vie. Dans un match de foot le point fondamental c’est qu’une équipe gagne tandis que l’autre perd c’est l’essence même de la compétition. Au sein de chaque équipe règne une loyauté très forte et un sens de cohésion qui renforce l’esprit de compétition mais celui çi doit être canalisé et transformé en une volonté de coopération. Imaginez un joueur face à l’alternative suivante : tentez de tirer pour marquer un but ou faire une passe à un co-équipier mieux placé pour le faire. Marquez soi-même permet de retirer une gloire individuelle mais faire une passe est préférable pour le collectif .Les connaisseurs du foot savent que ce sont les équipes qui font le plus de passes qui gagnent le plus de matchs Les joueurs qui coopèrent le mieux sont les meilleurs joueurs.

Dans le sport comme dans la guerre, rien ne dure. Quand un devient puissant, il finit par être trop sûr de lui, la gangrène s’installe et fragilise sa cohésion interne. Les membres du groupe risquent de s’en rendre compte trop tard mais ils sont mûrs pour être conquis par une société plus efficace et mieux organisée. Nous sommes nos propres fossoyeurs. Pour sortir du trou dans lequel nous nous enfonçons, chaque jour davantage, nous devons commencer par s’arrêter de creuser car la solution se trouve sur terre ferme et non au fond d’un trou. Pour ce faire, il suffit de relever la tête, se tenir droit, et se regarder les yeux dans les yeux, en toute humilité, sans peur et sans reproche. Il faut s’armer de science et avoir foi en dieu. La science est la clé de nos problèmes, la religion notre but ultime de notre éphémère existence. Nous sommes habités par des démons. Pour les chasser, nous faisons appel à des charlatans d’un autre âge venus d’ailleurs. Nous devons cesser d’être des marteaux pour devenir des cerveaux. Les cerveaux débattent, les marteaux s’entrechoquent. Si notre tête est ronde comme la terre et non pas linéaire comme le marteau, c’est pour nous permettre de changer de direction. Dans le monde civilisé, la femme a le droit de choisir l’homme avec qui elle désire partager le lit. C’est ce que l’on désigne par démocratie.

Dans une société patriarcale, c’est le père qui décide de la famille avec laquelle il va s’allier, la fille n’a pas droit au chapitre. Elle se soumet à la décision du père. Chez nous, « les élus » ont la tête dans le douar et les pieds dans la cité. Leur cravate est en couleur, leur turban en noir et blanc. Le décor est planté, les rideaux se lèvent, le spectacle commence. Les prétendants à la magistrature suprême se présentent à tour de rôle pour passer un test de connaissance du peuple, il leur est demandé de tâter et de décrire un éléphant les yeux bandés. Le premier commence par tâter la queue, c’est une corde, le second touche une patte, c’est semblable à un arbre, le troisième s’appuie sur le flanc, il répond c’est un mur, le quatrième caresse la trompe et affirme c’est un serpent, le cinquième palpe l’oreille et dit cela ressemble à une feuille d’arbre et ainsi de suite jusqu’au dernier. Aucun n’a décrit l’animal. L’opposition se trompe de peuple. Le peuple demande du pain et des jeux. Le reste ne semble être de son âge. La démocratie est une affaire d’adulte et non un jeu d’enfants. Dans tout rapport, il faut montrer qui est le plus fort. « L’homme tue, la femme rend fou ». L’homme a une épée, la femme a une coupe (philtre). Le mal et le bien marchent côte à côte, la guerre et la paix cohabitent dans le même palais.

L’amour et la haine couchent dans le même lit. Le lit est le lieu par excellence où s’exerce le pouvoir. Le pouvoir est un sexe en érection. Il est le mari de toutes les femmes et la femme de tous les maris. Dans un acte sexuel, il y a un pénétrant et un pénétré, un actif et un passif. L’actif est dominant et le passif est dominé. L’un est valorisé, l’autre est humilié. Le premier, c’est le maitre ; le second, c’est l’esclave. L’homme est en haut, la femme est en bas. L’homme est l’épée, la femme la coupe. Les deux ne sont pas égaux mais complémentaires. L’homme incarne le pouvoir, la femme symbolise la société. Le pouvoir ordonne, la société exécute. Le besoin de l’homme de dominer et de la femme d’être dominé est une loi de la nature y compris chez les animaux. Le pouvoir est dans la domination, la société est dans la soumission. L’ordre dans la vie doit respecter l’ordre dans le sexe. Le couple pouvoir et société a traversé trois étapes la fusion (la guerre de libération), le patriarcat (le socialisme), la révolte et le conflit (la guerre civile), l’apaisement (la conciliation) et s’apprête à inaugurer un nouveau cycle celui d’une prise de conscience, d’une remise en question, d’une lucidité retrouvée. L’homme a le  pouvoir de la mort et la femme celui de donner la vie. Durant la lutte de libération, Le FLN et le peuple n’ont fait qu’un. Une fois l’indépendance acquise, le FLN s’installe confortablement au pouvoir et ne le quitte plus. La libération de la population a été jugulée en 1962 et le Pouvoir est devenu son maître et son tyran. Elle a troqué son indépendance et sa liberté en échange d’une protection et d’une sécurité. C’est ainsi que le pouvoir s’est approprié le bas ventre (les richesses du sous-sol) pour remplir son ventre (nourriture). Il veut en faire sa demeure éternelle. C’est le repos du guerrier. Le peuple abusé se révolte contre les abus du FLN, l’islamisme surgit du néant, s’arme et se jette dans la bataille perdue d’avance, le heurt est violent. La société est traumatisée. Un miracle se produit, une pluie diluvienne de dollars va s’abattre sur une Algérie meurtrie nettoyant toute trace de son passage. L’argent providentiel panse les plaies, la blessure est profonde, elle nécessite une chirurgie. Le médecin refuse. La radio est en panne. La vie et la mort ne font un. Dieu est un et il est éternel. Les hommes sont mortels. Un pouvoir sans argent est comme un fusil sans munitions, il est impuissant. L’argent sans le pouvoir c’est comme une femme sans un mari, elle se donne au plus offrant. Le pouvoir en Algérie, c’est le couple l’armée et les hydrocarbures, le fusil et les munitions, il est invincible. La France n’est pas venue en Algérie pour la civiliser mais bien pour la militariser et en faire une armée de supplétifs prête à combattre à ses côtés le nazisme, le communisme, le terrorisme. Pour y parvenir, la France a pénétré l’intimité de la société algérienne afin d’en faire un levier puissant de domination et de dépendance. La France a perdu la guerre par l’épée, elle l’a gagné par l’esprit. Coloniser un pays c’est conquérir son territoire par la force, posséder son corps par la prostitution, occuper son esprit par l’école. La domination des terres s’accompagne de la domination des corps. Il s’agit de s’approprier les corps et les âmes. La colonisation est une histoire de fantasmes : le harem des sultans arabes, la poitrine nue de la sénégalaise, le pénis surdimensionné de l’homme noir. Posséder le corps de l’autre c’est nourrir son propre narcissisme. Ressembler à l’homme blanc c’est accepter de se mettre sous sa domination. Le colonialisme a atteint ses objectifs. Il nous a détournés de la voie de dieu. Nous suivons les pas de Satan. Il a fait de nous des êtres égarés. On rêve de l’ailleurs. 1830, les français débarquèrent en Algérie pour l’occuper. 2030, les algériens embarquèrent pour la retrouver. L’histoire est pleine de surprises. Hier envahisseurs, aujourd’hui envahis, les pays dits « d’accueil » ont essayé toutes les politiques que ce soit de cohabitation, d’assimilation ou d’intégration, aucune n’a réussie. Alors, ils se retournent vers les Etats post coloniaux pour leur ordonner de constituer une « ceinture de sécurité » de l’Europe menacée par un flux migratoire incontrôlé. Une émigration encouragée par une répression aveugle des autorités et l’absence de perspectives pour une jeunesse désœuvrée. Le mouvement migratoire des peuples est un phénomène marquant de ce XXIème siècle. C’est une revanche de l’histoire des africains dépouillés injustement de leurs richesses naturelles par l’occident triomphant en perte de vitesse vivant de son passé « glorieux », d’un présent tumultueux et pour un avenir incertain. Des populations à la recherche d’une liberté illusoire et d’un bonheur hypothétique fuyant les interdits de la religion, de la politique et de la pauvreté. Mais, une fois en contact avec la dure réalité de la société d’accueil et des valeurs qui la sous-tendent, ils deviennent nostalgiques en se chuchotant à l’oreille (pour que les compatriotes restés au bled ne les entendent pas) : « loin de toi je languis, près de toi je meurs ». La France est incrustée dans notre cerveau sclérosé, l’Algérie est vivante dans leur mémoire agitée.

Au débarquement des troupes françaises, les premières à s’habiller à la française sont des prostituées algériennes. Elles seront les premières indigènes à être infectées de la maladie de la syphilis transmise par les soldats français. Ironie de l’histoire, des familles entières envoûtées par l’image, se jettent à corps perdus dans la méditerranée en brûlant au passage leur « nationalité algérienne » pour rejoindre la France que leurs parents ont combattue. Les martyrs n’ont qu’à se retourner dans leurs tombes. Nous sommes en gare depuis 1962. Nous sommes dans l’attente du prochain train qui ne viendra pas. Il n’y a plus de voies ferrées ni de nouvelles gares. Entre temps, la locomotive rouille au soleil et les wagons-lits se transforment en basse-cour. « Le poulailler reste un palais doré pour le coq malgré la puanteur des lieux ». Quand la ruse plane au sommet, l’intelligence rase les murs. Pouvoir et responsabilité sont un couple séparé. Ils ne font pas chambre commune. La nuit ordonne, le jour exécute. Dans une société patriarcale, les relations humaines sont des rapports de force par conséquent très violents ; dans une société démocratique, elles sont le résultat de négociations devant déboucher sur un consensus.

Pour la science politique : autorité sans responsabilité se nomme dictature, responsabilité sans autorité c’est l’anarchie. Sur un autre registre, pain sans liberté, c’est la prison, liberté sans pain, c’est la jungle. Les enfants ont besoin qu’on leur raconte des histoires et qu’on leur achète des jouets. Seuls les parents peuvent remplir ce rôle. La mère nourricière étant le pétrole et le père protecteur est l’armée. Une fois que leurs enfants sont devenus adultes, ils doivent cesser de jouer ce rôle, ils doivent accepter qu’ils s’opposent à eux pour grandir. La société se retrouve avec une tête d’enfant dans un corps d’adulte. La conciliation des deux relève de la psychiatrie et non de la politique. Pour le gouvernement, le peuple est une dépense budgétaire (charge à supporter) et non une recette budgétaire (ressources à mobiliser) ; pour la masse, l’Etat est un entrepôt de marchandises importées (création de monnaie) et non une usine de production locale (création d’emplois). Une société où les hommes sont des enfants n’est pas à la recherche d’une économie productive et d’un Etat de droit mais d’une mère nourricière et d’un père protecteur. Un Etat de droit pré-suppose un peuple mature laborieux et un Etat sérieux régi par une morale. En terre chrétienne,  « tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » ; en terre d’islam, « soumets toi, dieu va pourvoir à tes besoins ». Dans un Etat de droit « nul n’est censé ignorer la loi » ; dans une société tribale, personne ne connaît la loi, tous se soumettent au clan dominant. Nous marchons sur notre ventre et nous réfléchissons avec nos pieds.

La misère rassemble, la richesse divise L’une purifie, l’autre corrompt. Au regard de dieu, l’encre du savant est aussi précieux que le sang du martyr. Quand le ventre est plein, la tête chante, les mains applaudissent, les pieds dansent, la terre tremble, l’âme se terre. A contrario, un ventre vide n’a point d’oreilles. Ni l’arabité, ni la berbérité, ni l’islamité, ni la laïcité ne remplissent le couffin de la ménagère. Que l’on soit berbérophone, arabophone ou francophone ; musulmans ou mécréants, militaire ou civil, en activité ou en retraite, de l’est, de l’ouest, du centre ou du sud, nous tendons tous la main à l’Etat providence (en direction de la « djefna » remplie de couscous par la grâce de dieu, où il faut jouer du coude pour avoir la meilleure place à proximité de la viande, des légumes, les faibles se contenteront de la semoule).

Un Etat, qui tire ses ressources budgétaires non pas du travail laborieux de ses habitants mais du sous-sol saharien. L’argent facile nous fascine. Nous achetons des biens que nos dirigeants importent pour nous donner l’illusion d’exister afin de se perpétuer au pouvoir. Les choses que l’on possède finissent par nous posséder : une société en voie de « chosification » dans son ensemble. Nous avons cessé d’être des humains pour devenir des objets manipulables et par conséquent « jetables » comme les marchandises que nous importons. L’indépendance est perçue par l’élite dirigeante comme un butin de guerre à partager et non comme une responsabilité à assume. Un régime fondé sur un double monopole ; celui de la violence légale et celui de l’argent facile. Des « pieds noirs » aux « pieds sales », de l’indigénat à l’indigence, le pas est vite franchi. Une indépendance à deux visages : celle des héritiers de l’Algérie de la France et celle des laissés pour compte de l’Algérie sans la France ? Si on remonte dans l’histoire l’Algérie ancestrale s’insère dans un ensemble géographiquement plus vaste plus prometteur qu’est le Maghreb qui s’étend du Maroc jusqu’en Lybie et historiquement plus lointain remontant aux phéniciens, aux romains, aux arabes et aux turcs. Après toutes ces invasions, sommes-nous des peuples « importés » ?

Les pays de la région ont tourné le dos à leur passé ancestral commun et veille à l’intégrité géographique présente. Alors que le mur opposant des idéologies s’est effondré en 1989, de nombreux murs séparant des peuples se sont élevés depuis en Amérique, en Russie, au Moyen orient, ou au Maghreb Eternel dilemme : se combattre ou s’entre aider, se faire tuer par l’autre ou s’allier à l’autre ; échange de balles (la guerre) ou échange de sœurs (la paix) entre maghrébins de race berbère et de religion musulmane vivant sur un même espace géographique

depuis des millénaires envoûtés par le miroir aux alouettes que représente l’Europe. Toutes les religions nous enseignent que les peuples n’existent que pour se connaître les uns les autres. Nous sommes tous des descendants d’Adam et Eve. L’humanité est une, dieu est un. Le diable est partout. Il porte plusieurs masques. Chacun veille à sa petite épicerie en empêchant l’implantation d’un super marché salutaire pour l’ensemble des peuples de la région par l’ouverture des frontières, la diminution drastique des dépenses militaires, la construction d’une économie complémentaire, la constitution d’un front uni contre la politique de division des puissances étrangère qui a fait ses preuves depuis l’effondrement de l’empire ottoman. Le Maghreb des peuples renaîtra-t-il de ses cendres ? Nous en doutons, le Maghreb est historiquement une terre convoitée et des peuples à asservir par leurs propres élites pour la prospérité de l’occident triomphant.

Qui tient les cordons de la bourse tient le peuple : « Donnes lui le pain, tu en feras ton esclave, donnes lui la liberté, tu en feras ton maitre. Ne lui donnes ni pain, ni liberté, tu en feras ton bourreau ». le pain sans la liberté, c’est la prison, la liberté sans le pain, c’est la jungle trop de pain corrompt, trop de liberté divise. Qui tient le fusil, tient en respect le peuple. L’argent et le fusil sont les deux leviers du pouvoir. Pour s’en servir, la ruse ne suffit plus, il faut faire appel à l’intelligence. Un Etat militaro rentier se comporte à l’égard de la population comme ce père de famille, vis-à-vis de sa femme et de ses enfants. Un père riche d’un héritage qui ne lui appartient pas en propre menant un train de vie royal entouré de ses amis et de ses maîtresses laissant sa femme et ses enfants dans le dénuement le plus total. Nous manquons de maturité et de discernement.. Pris dans le tourbillon infernal de l’argent facile du pétrole et du gaz, nous sommes devenus ivres. Nous sommes un peuple puéril, nous attendons tout de l’Etat que nous savons entre des mains privées. Au lendemain de l’indépendance, le peuple algérien se retrouve comme un enfant livré à lui-même. Il ne s’était pas préparé à se prendre en charge. Une fois la souveraineté recouvrée, il devient la proie de tous les assoiffés de pouvoir qui en firent une bouchée de pain, Quand vous le nourrissez et le protégez, il a tendance à vous faire confiance et à vous obéir ; il a un attachement viscéral à la mère et une peur maladive du père. Une mère fragile qui n’ose pas le sevrer de peur d’être mordu et un père narcissique qui l’empêche de grandir de peur de perdre son ascendance. Or pour devenir adulte, il doit s’opposer au père. Un peuple émotif secrète naturellement un pouvoir narcissique c’est à dire un pouvoir égocentriste dépourvu de tout sentiment de culpabilité. Pour combler son vide existentiel, il a besoin de se nourrir des émotions et des peurs de la population L’Algérie a été conquise par les armes et libérée par les armes. C’est « la sacralisation des armes ». Les militaires français seront les premiers colons qui vont s’emparer des terres fertiles et soumettre les populations autochtones. Le départ des troupes françaises et l’exode des fonctionnaires vont créer un vide de la puissance publique et de l’administration. Comme la nature a horreur du vide ; il va être comblé par l’armée des frontières (le maquis intérieur étant décimé du moins épuisé) devenue l’armée nationale populaire et les résidus de l’administration coloniale. Ils seront l’ossature du nouvel Etat post colonial. L’Algérie souveraine sera finalement qu’un drapeau planté sur un puit de pétrole. La nationalisation des hydrocarbures est une volonté de l’armée. Les recettes pétrolières et gazières sont concentrées entre les mains du chef de l’Etat qui décidera de leur affectation et de leur utilisation (dynastie monarchique ou dictature militaire). Il n’y a pas de nation arabe mais des peuples spécifiques. Le peuple algérien est un peuple berbère que l’islam a arabisé. L’amalgame islam et identité a fait le jeu de division de la France coloniale. L’islam n’est plus arabe mais asiatique. Le coran est traduit dans toutes les langues y compris l’hébreu mais pas en langue amazigh. Qui relèvera le défi ? Ce n’est pas une question de budget mais d’intelligibilité ; C’est un peuple amazigh (« les hommes libres) que le pétrole va enchaînée et que l’argent facile va corrompre. Hier rebelle devant l’étranger; à présent domestiqué par les siens. C’est un peuple infantilisé nourri au biberon pétrolier et gazier. C’est le repos du guerrier. L’algérien s’est débarrassé du bleu de travail du colon  pour enfiler la djellaba blanche de l’indépendance. La femme a retiré sa robe pour mettre le pantalon. Elle est active, son mari est chômeur, ses enfants sont dans la rue. La rue est sale, les rats circulent, ils prennent du poids.

A la faveur d’une manne pétrolière et gazière providentielle, l’élite au pouvoir n’a pas hésité à caresser le peuple dans le sens du poil en lui chuchotant à l’oreille : « Dormez, dormez braves gens, l’Etat veille sur votre sommeil » et le peuple y a répondu massivement en poursuivant son sommeil jusqu’à ce que mort s’en suive. C’est le repos du guerrier. Comme le lit est « multiplicateur » en couchant à deux, on se retrouve à trois puis à quatre, à cinq souvent dans la même chambre. On pousse les murs, on cloisonne le salon, on déshabille la cuisine, on supprime le balcon, On dort à tour de rôle pour finir dans la rue sans toit et sans protection ; on fait du « chahut », la répression s’abat, l’islamisme politique fait son apparition, la violence aveugle voit le jour,, le terrorisme se mondialise le prix du baril grimpe, les pétrodollars affluent, les caisses de l’Etat débordent de monnaie. Des milliers de logements clés en mains sont importés de Chine implantés sur des terres fertiles livrant ses habitants à l’insalubrité et à l’insécurité. 90 % de la population se trouvant concentrée au nord du pays sur 10 % du territoire ressemble à cette barque des ha ragas qui chavire sur la méditerranée en quête du paradis perdu. L’objectif étant de faire de l’Algérie la nation la plus peuplées du monde dans un mouchoir de poche. C’est ainsi que la population a vu son nombre multipliée par cinq en suivant la consigne tacite « Faîtes des enfants que vous voulez mais surtout ne vous mêlez pas de politique, elle n’est pas faîte pour vous », c’est notre domaine de compétence exclusif. « Contentez-vous d’applaudir nos réalisations » Pour ce qui nous concerne, nous ne savons rien faire d’autres. Nous n’avons été ni paysans, ni bourgeois, ni ouvriers, ni entrepreneurs, ni industriels, ni enseignant, ni chercheur. Toute notre carrière professionnelle se résume à faire de la politique. Tout ce que nous avons à léguer à la génération montante, c’est l’art de mentir. La politique c’est notre raison de vivre. C’est notre « poule aux œufs d’or ».

C’est elle qui nous nourrit, nous enrichit et nous protège. Nous tenons à elle comme à la prunelle de nos yeux. Nous n’allons tout de même pas l’offrir sur un char fleuri ou dans une urne transparente à d’autres prétendants aussi voraces et aussi menteurs que nous. Une élite qui construit son propre pouvoir sur les perversions d’un peuple meurtri. Lorsqu’un certain type de stratégie de pouvoir s’identifie à une équipe dirigeante, il est peut être nécessaire de changer d’équipes pour parvenir à adapter le discours ; car le verbe peut servir de refuge à l’impuissance d’agir. Il y a une grande différence entre les hommes politiques et les hommes d’Etat, les uns pensent à la prochaine élection, les autres aux futures générations. S’il est possible que des dirigeants intelligents reconnaissent leurs erreurs et soient disposés à les corriger, il est également possible qu’un peuple qui s’est libéré du joug colonial accepte de se dire des vérités et décide dans sa grande majorité d’amorcer des changements indispensables à sa survie dans un monde sans état d’âme qui ne laisse aucune place aux nations faibles. Mais, « A quoi sert la lumière du soleil, si on garde les yeux fermés ? Malheureusement, « La soif de dominer est celle qui s’éteint la dernière dans le cœur de l’homme » écrit Machiavel. Plus loin, il déclare « Un prince qui peut faire ce qu’il veut est un fou ».

Et au fou, on répond par le silence. Nous avons les dirigeants que nous méritons car nous sommes un peuple dont on peut acheter la conscience et que l’on peut tromper indéfiniment. Si le gouvernement est la source de tous les problèmes, il est aussi la source de toutes les solutions. Si l’on veut réaliser la possibilité de l’Algérie de rompre avec le syndrome autoritaire, une analyse en profondeur des rapports entre les élites et le peuple est indispensable. Rare sont les dirigeants qui disent la vérité parce que faire de la politique c’est mentir. Qui va abandonner la douceur de vie de la vallée pour emprunter les chemins tortueux de la montagne ? Dans ce contexte, aucune force politique ou économique ne peut s’opposer au règne sans partage des hydrocarbures à l’abri de l’armée sur une longue période. C’est une question de sécurité et d’unité nationale laquelle est au-dessus de toute considération politique ou économique pour reprendre le discours phare des militaires.

Toute opposition partisane ou affairiste, affichée ou cachée, réelle ou supposée, ne rêve que d’accéder au reste du gâteau ou à une parcelle de pouvoir. Dans ce bas monde dominé par l’argent, la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit même si elle est pourrie. C’est l’homme qui donne et c’est la femme qui reçoit. L’homme est l’épée et la femme en est le fourreau. Le ciel irrigue, la terre féconde L’homme laboure, la terre produit. L’homme est porteur de violence et la femme porteuse de vie. La femme est la coupe qui enivre, l’homme est son protecteur. L’homme propose et la femme dispose. Aujourd’hui, le pouvoir est en panne d’érection et la société juvénile en manque de désirs. Le peuple ne fait que tendre la main sans produire et le pouvoir ne fait que réprimer sans créer d’emplois. Les deux ne font que se donner l’illusion d’exister. Un peuple oisif est comme une femme stérile.

Elle est bonne à rien. Un mari pervers ne sait que violenter sa femme pour cacher son impuissance ou dans le meilleur des cas la corrompre avec des cadeaux pour acheter son silence pour ne pas dire sa complicité. Tôt ou tard, elle ne tardera pas à lui être infidèle avec le premier venu disposant d’un tison pouvant allumer un volcan éteint. Et il sera le dernier à le savoir. Un Etat impuissant face à une société improductive. Le verbe est devenu un refuge à l’impuissance d’agir. « Le pouvoir est dangereux, il attire le pire et corrompt le meilleur ». Il utilise les hommes comme préservatifs, une fois servis, il les jette dans la poubelle de l’histoire. Pour les animaux de la savane  « mieux vaut un vieux lion rassasié au pouvoir, qu’un jeune lion affamé ». Pour les humains qui peuplent la terre « les cimetières sont remplis de gens qui se croyaient indispensables ». Pour les monarques et autres dictateurs arabes, la vie s’achève mais le pouvoir jamais. Ne reste de l’homme que ses propres œuvres (bonnes ou mauvaises). Napoléon Bonaparte disait «  ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles, Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires ; ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement c’est mon code civil ». Les dirigeants arabes de culture française devraient méditer cette pensée de Voltaire qui écrivit, il y a de cela trois siècles « un seul mauvais exemple une fois donné, est capable de corrompre toute une nation et l’habitude devient une tyrannie ».

Notes

(1) A.BOUMEZRAG – Les dysfonctionnements d’un système – El  Watan du 16 septembre 1991

(2) A.BOUMEZRAG – Société sans élite ou élite sans dignité ? – El Watan du 24 février 2004

(3)  A.BOUMEZRAG ; le pétrole, président à vie de l’Algérie indépendante ; el watan du 25 février 2018

(4) A.BOUMEZRAG ; les draps blancs de la démocratie ; « vivre dans la modernité et mourir dans l’islam ? » el watan du 24 mars 2018

(*) Le titre est une citation de Charles de Gaulle

 

Auteur
Dr A. Boumezrag

 




Quitter la version mobile