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« Le pouvoir n’a pas la volonté de promouvoir tamazight »

Rachid Oulebsir

« Le pouvoir n’a pas la volonté de promouvoir tamazight »

Le Matin : Que pensez-vous de l’officialisation de tamazight en tant que telle décidée à la faveur de la réforme de la constitution en février 2016 ?

Rachid Oulebsir : L’officialisation de tamazight est un leurre, une diversion. C’est une étape dans le processus stratégique de momification de tamazight engagé par le pouvoir. Une lecture avisée du préambule de la constitution et des articles consacrés à Tamazight nous renseigne que tamazight est utilisée comme alibi pour renforcer la place de la langue arabe contre les langues étrangères, notamment le français. Chaque petite concession formelle en faveur de tamazight est accompagnée d’un renforcement du caractère hégémonique de la langue arabe. Le pouvoir gagne du temps, confiant dans les résultats à moyen terme du rouleau compresseur de l’arabisation et de l’islamisation de la Kabylie, dernière oasis culturelle amazighe, par l’école pour les enfants, par les médias arabo-islamistes pour la famille, par la mosquée pour les personnes âgées et la rue et par les institutions judiciaires qui appliquent la règle morale islamiste à la place de la règle juridique (la loi) sur tous les espaces publics.

Dans la logique du système politique algérien l’arabité est une civilisation donc à nourrir et promouvoir alors que l’amazighité est un patrimoine dont la place est au musée.

La loi n° 08-04 du 23 janvier 2008 portant orientation de l’éducation nationale le stipule expressément.

Le Matin : Justement, deux ans après cette officialisation, la rue commence à s’impatienter tant rien n’est fait pour son véritable essor. Plusieurs manifestations ont été organisées pour une réelle promotion de cette langue.

Rachid Oulebsir : Il faut rendre hommage à toute cette jeunesse qui, subissant le rouleau compresseur disqualifiant, répressif et liberticide de l’arabisation, trouve encore des ressorts pour rebondir et réaffirmer son identité amazighe et son attachement à la démocratie. Il ne faut cependant pas circonscrire les motivations juvéniles à la simple revendication amazighe ! C’est plus global. Le mal-être est mobilisateur. Tous ceux qui arrivent à fuir, partent en Occident. Ceux qui n’ont plus que le choix de se battre, voient en tamazight le dernier moteur du projet universaliste démocratique, respectueux de la diversité culturelle et politique initié par leurs aînés. C’est un projet de société démocratique et moderniste qui est revendiqué.

Le Matin : Suite aux dernières marches populaires pour la promotion de tamazight le Premier ministre a pointé des manipulations politiques et a souligné que l’enseignement de tamazight est fait dans 38 wilayas. Où est le vrai du faux dans cette réponse ?

Rachid Oulebsir : Peut-on raisonnablement parler d’enseignement quand dans une wilaya ayant 500 établissements scolaires, tous paliers confondus, il y a un seul professeur de tamazight ? On a injecté un à deux enseignants par wilaya pour claironner une généralisation factice. Entre les chiffres fournis par le ministère de l’Education et les données du terrain le fossé est trop grand. Le premier ministre dit 38 wilayas, les inspecteurs de tamazight disent au plus 30 wilayas. Le nombre de 38 correspond aux wilayas où tamazight est enseignée dans le palier secondaire. La généralisation dont parle le ministère inclut les wilayas ayant un ou deux enseignants (Annaba, Biskra, Chlef, Bechar, Tindouf, Mila, Tébessa, Ouargla…) et où le caractère facultatif de l’enseignement de tamazight permet aux élèves de quitter la classe à leur bon vouloir ? Peut-on parler de 38 wilayas quand parmi ces 38 wilayas, les lycéens font de l’initiation de tamazight, n’ayant pas connu cette langue dans les paliers inférieurs ? Le ministère doit parler de l’introduction de tamazight en dehors des wilayas de Kabylie, et de l’évaluation de cette expérience, c’est moins démagogique.

La réalité du terrain pondère fortement les chiffres du ministère. Le nombre d’élèves en 2017 qui étudient la langue amazighe dans le secondaire est de 68.436 au niveau des 38 wilayas déclarées ce qui représente un taux 5,42% dans le total de 1.261.198 élèves.

Le caractère facultatif de l’enseignement de tamazight fait que le professeur se retrouve souvent avec une dizaine d’élèves dans des classes de 35. Le ministère avance le nombre théorique de 650 000 élèves qui suivent cet enseignement, les données les plus optimistes des inspecteurs et des enseignants aboutissent seulement à 343.725 élèves sur un total de 8.691.006 soit un taux de 3,95 %.

Les enseignants de tamazight sont au nombre 2.757 en 2017, ils ne représentent que 0,55 % du total national de 495.000 enseignants toutes matières confondues.

De nombreux marqueurs incontestables démontrent l’absence de volonté politique du pouvoir pour l’enseignement de tamazight:

  • Le caractère facultatif de son enseignement.
  • Le fait qu’elle est enseignée comme une langue étrangère à partir de la 4ème année primaire après quatre années d’arabisation (une année en préscolaire et trois en primaire), alors que le français est enseignée dès la troisième année primaire.
  • Le coefficient de 2, inferieur même à celui des langues étrangères qui est de 3, quand celui de l’arabe est de 5 et plus.
  • Le fait que tamazight ne soit pas matière d’examen en fin du cycle primaire
  • Le fait que la note de tamazight dans les évaluations pédagogiques ne soit comptabilisée que si elle est supérieure à la moyenne.
  • Le maintien de la polygraphie en Kabylie, alors que sur le terrain les enseignants ont tranché pour le caractère latin .

La différence qualitative entre les déclarations officielles et la réalité du terrain est trop grande pour qu’il y ait une bataille de chiffres. Au delà des statistiques, c’est le réflexe officiel inquisiteur et accusateur qui remonte comme un ressort chaque fois que la société par le biais de sa jeunesse revendique son identité amazighe, sa langue maternelle, et l’universalité des valeurs, et des repères de la culture des ancêtres. La rue est apparemment plus conciliante et plus intelligente que les tenants du vieux discours officiel de la « Division » et « de la main de l’étranger ». La jeunesse avance tamazight comme ciment de l’unité nationale et demande son enseignement sur toutes les wilayas du pays. Les jeunes pointent par cette attitude la mauvaise volonté manifeste du pouvoir et son enlisement dans l’idéologie arabo-islamiste amazighophobe.

Il faut noter que hors de Kabylie, les parents d’élèves demandent à ce que ce soit leur parler qui soit enseigné. A Ouargla, il s’agit de Tagregrent, à Tamanrasset, Tatargit, à Batna , Tacawit, … Certaines régions comme le Mzab ont tranché pour la graphie arabe. Le Hoggar pour le Tifinagh. La confusion entretenue par les tenants de l’idéologie arabo-islamiste , entre les caractères latins et la langue française d’une part, et l’amalgame entre taqvaylit et tamazight d’autre part constitue un des motifs du rejet de cette langue en dehors de la Kabylie.

Dans de nombreuses wilayas, des parents d’élèves de culture islamiste font pression sur les directions de l’éducation pour que tamazight soit écrite en caractères arabes, comme si la question de tamazight pouvait être réduite au problème de la graphie tranché par Mouloud Mammeri.

Le Matin : Le premier ministre Ahmed Ouyahia a évoqué, début décembre, la mise en place en 2018 d’une académie. Quel est votre avis sur cette structure ? Quelles compétences et prérogatives pour cette institution selon vous ?

Rachid Oulebsir : Le pouvoir a déjà gagné deux années depuis la constitution de 2016. Il a trouvé en ce projet d’institution académique un terrain de rivalité kabylo-kabyle. Les tenants de la graphie arabe sont encouragés et mis en scène sur les médias privés connus pour leur haine de tamazight alors que les tenants de la graphie latine n’ont pas la parole. La graphie en caractères latins a, depuis Bensedira et Boulifa, plus d’un siècle de production littéraire et que Mouloud Mammeri en a établi les règles grammaticales scientifiquement incontestables.

A mon sens les termes dans lesquels le problème de l’académie est posé lui donne une nature politique. Telle qu’elle est posée cette structure doit être refusée. Tamazight possède ses propres ressources humaines qualifiées qui ont donné leur vie, leur jeunesse pour cette langue depuis les classes pilotes de 1995. L’articulation des départements de langue et culture amazighe (DLCA) de Tizi Ouzou , Bgayet , Bouira et Batna devra construire une structure savante autonome du pouvoir exécutif dénommée Académie ou autre. C’est à ces hommes et femmes de terrain de constituer leur espace de concertation et lui donner les contours qu’ils considéreront comme les plus appropriés pour tamazight. Les linguistes et les pionniers dans le domaine de la réflexion scientifique comme Salem Chaker et de la création littéraire comme Amar Mezdad , sont des repères et des guides pour les futurs académiciens .

Mais encore une fois, gageons que le Pouvoir gagnera du temps en désignant un arabiste à la tête de cette institution pour paralyser encore la revendication pour quelques années.

Tamazight, en l’état actuel n’a pas besoin de l’Académie liée au pouvoir exécutif telle que prévue dans la constitution, elle a besoin de clarification politique, de mise en œuvre pratique des avancées formelles consacrées dans la constitution de 2002 et celle de 2016. Une structure de coordination des Départements de langue et culture amazighe, sera la bienvenue pour construire une future académie. C’est aux anciens pionniers de l’université de prendre l’initiative d’une coordination entre les Départements DLCA.

Signalons que le Pouvoir qui met toujours deux fers au feu, a initié le projet d’un Institut de recherche de langue et de culture amazighe, sorte d’antichambre d’une future académie, encore en ébauche. Djamal Ikhloufi, formateur d’enseignants en tamazight remarquera que « son conseil d’administration ne comprend ni scientifique ni homme de lettres. Par contre les ministères principaux du pouvoir exécutif (Justice, Religion, Intérieur, Défense nationale …) y ont leurs représentants. »

Le Matin : Si on devait sérier les priorités en la matière. Lesquelles voyez-vous ?

Rachid Oulebsir : Les priorités sont de trois niveaux, politique, éducatif et social

  1. Au niveau politique
  • Traduire dans les faits le caractère national de Tamazight et son officialisation, même formelle.
  • Réviser et mettre en conformité les lois organiques existant telle la loi n° 08-04 du 23 janvier 2008 portant Orientation de l’éducation nationale et d’autres textes priorisant la langue arabe exclusivement.
  • Donner les moyens humains, matériels et pédagogiques à l’enseignement généralisé de tamazight par un budget spécial de généralisation de Tamazight
  • Trancher par décret pour la graphie latine et mettre fin à la polygraphie contreproductive
  • Mettre fin aux décrets instituant l’arabe comme seule langue nationale et officielle à l’exclusion de tamazight
  1. Au niveau éducatif

Au niveau scolaire la cohérence de la prise en charge demande des actes suivants :

  • Le premier acte est de consacrer tamazight langue maternelle par son enseignement dans les crèches et le préscolaire en veillant sur la continuité de son enseignement progressif sur tous les paliers, du primaire à l’université.
  • Le second acte est de rendre obligatoire l’enseignement de Tamazight à tous les paliers et à toutes les wilayas.
  • Le troisième acte est de relever le coefficient actuellement de 2 au niveau de celui de la langue arabe qui est de 5 et 6 (le coefficient des langues étrangères est de 3).
  • Revoir les contenus des manuels scolaires et y porter les textes fondateurs de la culture amazighe de nos écrivains, nos essayistes, nos dramaturges, nos chanteurs …
  • Opter résolument pour la graphie latine
  1. Au niveau social
  • Utiliser tamazight comme langue dans la Formation professionnelle au moins dans les branches de sauvegarde du patrimoine amazighe ( savoir-faire de l’artisanat traditionnnel , Arts du spectacle, pratiques culturelles rituelles …)
  • Généraliser l’usage de Tamazight dans les institutions de l’Etat (Administrations et Institutions du pouvoir réel (Gendarmerie, Police, Justice …)
  • Généraliser tamazight dans l’environnement (toponymie, Enseignes commerciales, étiquetage des marchandises et produits
  • Lever l’interdiction des prénoms amazighs et promouvoir l’onomastique amazighe
  • Promouvoir l’alphabétisation en Tamazight pour les personnes âgées à la place de l’arabe
  • Amender tous les décrets qui font de la langue arabe la seule langue officielle des institutions

L’école n’est pas l’espace unique de promotion et de développement de tamazight et l’enseignement n’est pas le vecteur unique de généralisation de tamazight. Le travail d’identification, de sauvegarde et de transmission des contenus identitaires recensés dans le patrimoine culturel immatériel dans toutes ses dimensions vivaces est tout aussi primordial pour alimenter les espaces producteurs du savoir ( Formation, Ecole et Université). Les deux axes principaux, éducatif et social, doivent être actionnés simultanément, la généralisation de l’enseignement et la sauvegarde des contenus culturels et identitaires. Le premier devant aboutir à faire de tamazight une langue d’enseignement des sciences et des lettres et du savoir en général, le second axe devant faire de tamazight une langue du pain, des arts et de la création de richesse matérielle et intellectuelle.

Le Matin : Le système éducatif travaille manifestement à la fabrication de croyants en lieu et place de citoyens. Ce qui de fait élimine les référents nationaux profonds, que sont surtout l’identité et la culture amazighes. Ne pensez-vous pas qu’en formant des croyants, le pouvoir vise surtout la disparition à terme de l’identité amazighe ?

Rachid Oulebsir : L’exercice du pouvoir s’exprime dans des processus d’élaboration de décisions auquel participent de nombreux acteurs et centres d’intérêts économiques, politiques, symboliques. Autrefois soudés par le nationalisme, ces segments décisionnels, obéissent de plus en plus à une idéologie commune, l’arabo islamisme, à mesure qu’ils sont pénétrés par les générations arabisées. Le partage des espaces d’expression des divers clans du pouvoir a vu les religieux s’emparer progressivement de la Justice, de l’Education nationale et de la Famille. Ces institutions sont actuellement de nature théocratique, elles produisent des croyants et non des citoyens. Les enfants qui, grâce à leur environnement familial immédiat échappent à cette islamisation par l’école, sont absorbés par le marché mondial. Les plus brillants des sortants de l’université algérienne s’exilent vers l’Europe, le Canada et les USA. Depuis l’éviction de Mustapha Lacheraf à la fin des années 70 de l’éducation, le pays n’a eu que des ministres islamisant à la tête de l’école. Le grand perdant de cette involution, de cette régression du caractère républicain de l’Etat est tamazight, identité et culture, notamment ses repères historiques, ses valeurs universelles, ses mythes fondateurs. Sans tamazight l’Algérien sera un arbre stérile sans racines.

Le Matin : Cependant, en dépit de tous les interdits, les blocages, la revendication amazighe est toujours aussi porteuse auprès des jeunes Kabyles. N’est-ce pas que ces milliers de manifestants qui lèvent le drapeau amazigh est un cinglant échec aux politiques répressives menées depuis l’indépendance contre l’identité amazighe ?

Rachid Oulebsir : L’école arabo-islamique organise la mort de l’amazighité. Elle en fait une priorité, un parachèvement des Foutouhates des Banou hilal ! Le citoyen amazigh est en voie d’extinction. Une double rupture est ressentie sur le terrain social : La règle morale islamiste se substitue de plus en plus à la règle juridique républicaine, d’une part, et d’autre part, les mosquées remplacent progressivement les espaces républicains institutionnels symboliques de régulation et de maintien de l’ordre. C’est contre ce projet mortifère ressenti confusément que se mobilise la jeunesse dans des marches de survie. L’étendard de tamazight résume tout ce que l’islamisme combat, l’africanité, la méditerranéité, et l’universalité. Les marches ne sont pas le fait de manipulations politiciennes ou autres poussées de mains invisibles.

Le Matin : La répression particulièrement brutale lors du printemps noir et ses effets désastreux sur l’imaginaire des militants de la cause amazighe ne semblent pas avoir été assez bien analysés. Cette séquence du long combat pour l’identité amazigh ne marque-t-elle pas une rupture de confiance entre une région et l’Etat central ?

Rachid Oulebsir : Depuis le printemps amazigh d’Avril 80, les militants de la cause amazighe ont investi d’indicibles efforts dans les contenants politiques, partis, associations, ligues et autres cercles fermés, négligeant le travail de préservation des contenus culturels et des repères identitaires, considérés sans doute comme immuables et inaltérables. Certaines tendances s’étaient même alliées à l’islamisme considéré comme allié inoffensif, qui aujourd’hui s’avère être le principal fossoyeur de tamazight. Les traumatismes du printemps noir de 2001, sont venus s’ajouter à d’autres indélébiles datant du mouvement national et des premières années de l’Indépendance et des années 80. Il est évident que la violence exercée au nom de l’Etat discrédite cet Etat et nourrit à terme des ruptures multiples sur le plan de la conscience individuelle et collective. Nous voyons de nos jours que ceux qui tentent de déconstruire les dépendances vis-à-vis du centralisme jacobin butent sur les contenus à opposer au projet islamiste qui, lui possède une pensée et un contenu idéologique et culturel pris en charge par l’Etat !

Le Matin : Comment analysez-vous la naissance de mouvements indépendantistes et autonomistes ces dernières années en Kabylie sans que les autres régions ne soient impactées ?

Rachid Oulebsir : C’est une évolution politique naturelle. Le RPK et l’URK, les derniers partis politiques qui ont déclaré leur avènement sont nés du MAK, qui lui est issu du RCD, lequel parti est né des entrailles du FFS. Le Front des forces socialistes est sorti du FLN historique après la crise politique de l’été 62, (Tout comme le PRS de Boudiaf), le FLN est sorti du CRUA qui naquit des contradictions du MTLD fils du PPA . Le PPA étant lui-même issu de l’Etoile Nord Africaine (ENA) formée en France par des Syndicalistes kabyles du mouvement ouvrier international. C’est une sorte de retour aux sources. L’histoire politique algérienne moderne, depuis les années 20, est une affaire Kabylo-Kabyle. Chaque fois que dans un mouvement, le zaïmisme prend forme, il y a naturellement dissidence et formation d’une autre structure. L’histoire se répète. Le pluralisme et la diversité seront signe de bonne santé politique, s’il y a débat d’idées et consensus sur le minimum démocratique. Mais la persistance de la pensée unique et l’investissement dans les contenants politiques sans contenu culturel donnera dans le mur de l’idéologie arabo islamiste.

Le Matin : Quel est l’avis du chercheur que vous êtes sur les avancées enregistrées en matière de normalisation de la langue par exemple ?

Rachid Oulebsir : Quand une langue est fabriquée in vitro à l’université ou ailleurs, elle se coupe des langues du peuple, de ses parlers vernaculaires, sa symbolique langagière qui s’abreuvent du substrat culturel et symbolique ancien, des réalités socio économiques quotidiennes et de la mondialisation culturelle. Ces deux univers, école et société, ont besoin l’un de l’autre. L’université coupée du marché linguistique environnant tournera en vase clos et produira une langue morte, tandis que la société coupée de son élite est désarmée face à tous les travers réducteurs de la symbolique identitaire et face aux puissantes gommes des cultures soutenues par des Etats et des puissances de l’argent.

Tamazight se construira à partir de la diversité des parlers locaux ou disparaitra. Chaque région prendra en charge ses langages. Imposer une langue standardisée d’en haut est une erreur jacobine mortelle.

Le Matin : Finalement depuis la crise de 1949 au sein du MTLD et les différentes luttes menées en Algérie, au Maroc, en Libye… cette culture et identité a survécu aux différents pouvoirs autoritaires en Afrique du nord. Au grand désespoir de ses ennemis, on aura vu plusieurs générations reprendre à chaque fois le flambeau. Peut-on lui présager un avenir rassurant ou avancer que la lutte est encore longue ?

Rachid Oulebsir : Oui elle a survécu ! Elle est traitée comme telle, un espace de survivances vouées à la disparition. Son extinction est programmée en Algérie, et au Maroc, où les constitutionnalistes ont habilement déguisé avec des artifices juridiques sa momification comme une avancée, un acquis révolutionnaire ! Tamazight est attaquée dans sa vivacité, frelatée dans tout ce qui permet sa régénération et sa transmission. Elle est coupée du pain quotidien. C’est son âme qui est visée par l’islamisation !

Jamais le Pouvoir algérien n’a consenti le moindre acquis pour tamazight sans que la population de Kabylie ne paye le prix fort. Il faut cultiver la mémoire et rappeler, contre l’oubli, tous les morts par centaines, les handicapés par milliers, les torturés, les exilés, les emprisonnés …

Avec du recul, les observateurs analysent les dernières marches juvéniles de Kabylie pour tamazight comme un ultime sursaut de dignité. Le corps de l’amazighité est profondément blessé. Un conte amazighe parle d’un ogre qui tient la fontaine, et pour lâcher l’eau dont a besoin le village, exige le sacrifice rituel de la plus belle fille de Taddart ! Nous devons sortir de cette logique de l’Asfel, qui fait de la jeunesse kabyle le veau rituel du sacrifice. Le combat est encore très long. Les politiques et les culturels doivent se voir, se concerter et définir les rôles complémentaires des uns et des autres.

Entretien réalisé par Hamid Arab

Rachid Oulebsir est écrivain et éditeur. Il est également chercheur en Patrimoine culturel immatériel amazigh

Auteur
Entretien réalisé par Hamid Arab

 




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