La loi immigration interpelle les consciences en France. Le président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) appelle, dans une lettre publiée mercredi, les députés à voter contre le projet de loi sur l’immigration dont certains points portent, selon lui, « gravement atteinte aux droits fondamentaux ».
L’instance consultative indépendante a été saisie en janvier par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour rendre un avis sur le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », examiné depuis lundi par la commission des lois de l’Assemblée nationale.
« L’Assemblée plénière de la CNCDH examinera le 12 décembre prochain un avis très complet sur le projet de loi. Mais il me revient d’ores et déjà de vous faire part des principales lignes rouges identifiées par les membres de l’institution, particulièrement attentifs à la question migratoire », écrit le président de la CNCDH, Jean-Marie Burguburu, dans une lettre publiée notamment sur le site X (ex-Twitter).
« A ce jour, confronté à ce que j’estime être des atteintes graves aux droits fondamentaux, et tenant compte du choix d’un cadre législatif contraint, je vous recommande de ne pas voter ce texte », ajoute-t-il.
La CNCDH inquiète
Parmi les lignes rouges identifiées par la Commission, l’introduction législative « d’une limite au renouvellement de la carte de séjour temporaire (valable un an) à trois renouvellements pour un même motif ».
La CNCDH s’inquiète également de l’introduction d’une « menace à l’ordre public » comme « nouveau motif de placement en rétention administrative. La « définition floue et subjective de la menace à l’ordre public soulève des inquiétudes quant à son interprétation potentiellement extensive par les autorités administratives », estime Jean-Marie Burguburu.
Le président de la CNCDH pointe aussi des « atteintes au droit à une vie privée et familiale », un « accès à la justice dégradé » et un « nouveau recul de l’accès à la demande d’asile ».
Le projet de loi « s’inscrit dans une réponse à des faits divers tragiques, là où une approche raisonnée, organisée et réfléchie, s’appuyant sur les retours de terrain et les données sociologiques, devrait commander toute réforme législative », déplore M. Burguburu. « En tout état de cause, il y a lieu de ne jamais céder aux amalgames qui associeraient insécurité et immigration, sous peine de renforcer les préjugés et discriminations racistes, comme d’aggraver la situation des personnes étrangères dans le pays ».
La Cimade dénonce aussi
Le nouveau projet de loi sur l’asile et l’immigration intitulé « projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » qui sera prochainement débattu à l’Assemblée nationale, a franchi, par la version adoptée au Sénat, un cap supplémentaire vers des régressions sans précédent des droits des personnes migrantes. Le texte initial présenté par le gouvernement s’inscrivait déjà la lignée d’une frénésie législative sur ce sujet, avec plus de 20 lois en près de 40 ans, et dans cette « loi des séries » que l’on peut ainsi résumer : à chaque nouveau gouvernement son projet de loi sur l’immigration, et à chaque nouveau projet de loi des restrictions de droits supplémentaires pour les personnes étrangères.
Car le texte initial, faussement présenté par le gouvernement comme « équilibré », reposait en réalité sur une philosophie marquée par l’idée qu’il faudrait à tout prix continuer à freiner les migrations des personnes exilées jugées indésirables, par un renforcement continu des mesures sécuritaires et répressives. Au mépris de la réalité de notre monde dans lequel les migrations vont continuer à occuper une place croissante. Au risque de nouveaux drames sur les routes de l’exil. À rebours d’une vision fondée sur la solidarité et l’hospitalité, qui ferait pourtant honneur à notre humanité commune.
Au lieu de cela, le texte était dès le début très centré sur les mesures d’expulsion du territoire, visant à criminaliser et à chasser celles qui, parmi les personnes étrangères, sont considérées comme indésirables par le gouvernement. La notion de menace à l’ordre public y est instrumentalisée pour faire tomber les maigres protections contre le prononcé d’une mesure d’expulsion.
Et lorsqu’elles ne sont pas expulsées, les personnes sont placées dans des situations de précarité administrative, avec l’ajout de conditions supplémentaires pour accéder à un titre de séjour plus stable ou pour le faire renouveler.
Sous couvert de simplification des règles du contentieux, les délais de recours sont raccourcis, les garanties procédurales amoindries. Et pour réduire la durée de la procédure d’asile, le fonctionnement de l’OFPRA et de la CNDA sont profondément modifiés, avec un risque d’affaiblissement de ces instances de protection.