Dimanche 23 juin 2019
Le racisme anti-Amazigh par le drapeau
Crédit photo : Zinedine Zebar.
Quand on raconte aux jeunes qu’il fût un temps – pas très loin – où le simple fait de parler kabyle pouvait vous exposer à des réprimandes policières et que l’écrire était passible de prison certaine, la chose leur paraît irréaliste, et si ce n’était pas le travail de conscientisation et de sauvegarde de la mémoire sur le cheminement de la revendication amazighe, beaucoup considéreraient, aujourd’hui, que ce n’est que des bobards de vieux qui veulent se placer dans une posture victimaire pour se légitimer.
Mais voilà ! Comme si l’histoire devait fatalement bégayer et se répéter, ils sont devenus, malgré eux, les témoins d’un fait discriminatoire et raciste qui n’est pas loin de ce qu’ont vécu leurs aînés. En 2019, le drapeau amazigh est interdit par le pouvoir algérien dans l’espace public et une chasse aux sorcières a été engagée contre les porteurs de cet étendard avec une violence physique et symbolique qui nous renvoient tristement et péniblement aux durs souvenirs de Djamila Bouhired au temps du Général Massu : la fouille corporelle.
Et parce que certains «Amazighs » ont osé défier l’ordre du chef d’Etat-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, ils ont été mis aux arrêts et risquent après leur présentation aujourd’hui devant le procureur de la république de se retrouver en prison alors qu’aucune loi n’interdit d’arborer le drapeau amazigh, et du reste n’importe quel drapeau, y compris celui de l’Etat qui est présenté officiellement comme l’ennemi numéro un de l’Algérie : celui de l’Israël.
L’article 59 de la Constitution énonce clairement que « nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les conditions déterminées par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites ». Ceci nous amène à faire quelques remarques en commençant par ce qui relève du droit, parce qu’aussi nous avons vu, ces derniers jours, certains acteurs politiques faire de l’Etat de droit leur mot d’ordre mais qui ont subitement trouvé des vertus au silence concernant cette affaire du drapeau amazigh.
La première question qui se pose est d’abord la légitimité institutionnelle que se donne Ahmed Gaïd Salah pour oser intervenir sur des questions qui ne relèvent pas du tout des prérogatives de l’institution militaire. L’armée est une institution que se donne une nation pour se protéger principalement, pour ne pas dire exclusivement, des agressions extérieures. Comme on n’est pas, Dieu nous en préserve, en situation de guerre (sauf pour N.S, celle qui fabule sur les réseaux sociaux et qui laisse entendre que des dizaines de régiments de zouaves, armés jusqu’au dents, sont stationnés au Camp du Maréchal pour venir à bout d’Alger la Blanche) ou dans l’état d’exception tel que celui qu’aurait envisagé Saïd Bouteflika, selon les sources toujours bien informées de Khaled Nezzar, rien n’autorise la grande muette à faire acte de promptitude et de retrouver la parole dans le champ politique.
Pour rappel, au temps de la grâce de Fakhamatouhou, ce n’est qu’à travers la revue El Djeich que les Tagarins s’exprimaient, et pour l’essentiel c’était pour honorer les exploits et les réalisations de l’homme providentiel, le grand moudjahed Abdelaziz Bouteflika ! Alors par respect à la constitution, sur laquelle on jure de s’accrocher fidèlement comme si elle était sérieusement le fil d’Ariane qui permettra aux Algériens de retrouver leur bonheur, qu’on laisse le chef de l’Etat assumer ce qui relève de ses missions constitutionnelles. Tout le monde sait qu’il ne décide sur rien, mais qu’importe !
Maintenant qu’il porte le costume, il peut bien faire office de porte-parole du système véreux qu’il n’a pas manqué de défendre et souvent avec un zèle que seuls les flagorneurs attitrés savent développer.
En second lieu, il faut revenir à la justice qui a retrouvé par enchantement, les vertus de l’indépendance, du jour au lendemain, comme si les donneurs d’ordre d’hier n’ont pas été seulement remplacés par les gens en uniforme vert-kaki.
Après les déclarations de Ahmed Gaïd Salah, nous attendions à ce que les hommes de loi réagissent et que les magistrats se prononcent sur cette affaire du drapeau car si aucune disposition pénale n’interdit de prendre un drapeau, par contre, il est interdit aux forces de police de saisir un bien d’un citoyen sans réquisition administrative ou judiciaire.
Les dispositions du chapitre-IV de la constitution, énonçant les droits et les devoirs des citoyens sont multiple pour rappeler que l’honneur d’un citoyen est inviolable et que la propriété privée est garantie. Donc c’est à juste titre qu’a réagi cette vieille femme kabyle que les policiers ont traîné par terre pour lui enlever son drapeau berbère devant sa fille en pleurs. En exigeant, avec la force du propos, la restitution de son drapeau, elle fait valoir un droit absolu.
Du reste, comme les marches populaires qui se déroulent depuis le 22 février à l’échelle nationale ne sont pas soumises à une autorisation administrative, il n’y a aucune restriction légale que l’autorité publique puisse faire valoir en dehors du respect de l’ordre public. Or si on doit s’intéresser à cet aspect, on peut relever que l’ordre public n’a été perturbé qu’après l’intervention des forces de sécurité.
Dans les villes de la Kabylie, où la police s’est éclipsée (d’ailleurs il faut bien expliquer pourquoi cette tolérance territoriale exclusive), les manifestations populaires se sont déroulées, comme d’habitude, dans le calme et la sérénité. Le seul fait marquant signalé dans cette région est la présence jamais égalée du drapeau amazigh. Acte de défi et d’affirmation identitaire comme réponse.
Il reste maintenant à aborder le sujet sous l’angle du droit public international car il faut bien amener les Etats à respecter leurs engagements internationaux, en matière de respect des droits de l’homme. L’Etat algérien est signataire de plusieurs déclarations, pactes, chartes et conventions internationales qui reviennent sur la nécessité de respecter les droits fondamentaux des minorités et des peuples autochtones.
Ahmed Gaïd Salah a, dans son dernier discours, expressément parlé de minorité amazighe, en s’en prenant et en interdisant, un élément identifiant cette minorité : le drapeau amazigh. Il rappelle l’attitude du dictateur espagnol, le Général Franco, qui allé jusqu’à interdire aux Catalans leur danse populaire, la Sardaigne. Bien des voix, qu’on ne peut pas cataloguer dans les milieux proches du berbérisme, se sont d’ailleurs élevées sur cette stigmatisation en voyant en elle les prémisses d’une fragmentation nationale. Une fois n’est pas coutume, mais même quelqu’un comme Ali Benhadj a tiré la sonnette d’alarme sur le sujet en demandant à l’armée de reconsidérer son appel.
Mais n’ayons pas peur des mots et allons jusqu’au bout du concept de minorité, parce que d’un point de vue linguistique on ne peut pas nier que les communautés amazighophones, même réunies sont minoritaires sur le plan linguistique. Cela est fait sociologique et culturel que personne ne peut nier.
Mais ce qui est nouveau c’est l’apparition de cette notion de minorité dans le jargon du pouvoir par son exclusion immédiat du champ politique. Ce qui est en contradiction et en violation de l’article 2 de la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU dans sa résolution du 18 décembre 1992 et qui stipule que : «Les personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques (ci-après dénommées personnes appartenant à des minorités) ont le droit de jouir de leur propre culture, de professer et de pratiquer leur propre religion et d’utiliser leur propre langue, en privé et en public, librement et sans ingérence ni discrimination quelconque.». On peut élargir le champ des références et revenir sur d’autres textes internationaux, à l’exemple du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que l’Algérie a ratifié le 12 décembre 1989.
Ceci étant dit, personne n’est dupe, tout le monde sait que les déclarations d’Ahmed Gaïd Salah ont pour objectif premier la fracture du mouvement de contestation, en partant du postulat que l’isolement de la Kabylie va déteindre sur la suite des événements. Sentant le danger, la réaction des populations a été édifiante en faisant échec à la politique « diviser pour régner ». La solidarité franche des arabophones laisse présager une capacité du peuple algérien à vivre sa diversité dans la tolérance.
Pour autant, rien n’est définitivement gagné, il faut travailler à faire de cette réponse spontanée une tradition dans le vivre-ensemble, en faisant de l’interculturalité la langue de dialogue de tous les Algériens, et reconsidérer la nation algérienne dans sa véritable dimension multiculturelle.
Le racisme d’Etat doit s’éteindre avec la disparition du système politique qui le porte : le système autoritaire militarisé qui s’est imposé depuis 1962 à ce jour.
Hamou Boumedine (*)
(*) Coordinateur du Rassemblement Pour la Kabylie