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Le ras-le-bol algérien

COMMENTAIRE

Le ras-le-bol algérien

La chute des prix du pétrole peut priver l’Algérie de plus de la moitié de ses ressources financières, et ce serait inéluctablement, sans véritable reprise en main des choses, la principale cause d’instabilité dans les années à venir.

Bien entendu, la crise ne vient pas seulement de là, mais d’une accumulation de facteurs explosifs. Trop, c’est trop ! Corruption, mauvais fonctionnement d’une économie trop centralisée, trop rigide, tout entière entre les mains d’une nomenklatura dépassée par le temps, pseudo-réformettes imprudentes, mal coordonnées, mal appliquées et incomplètes, lesquelles n’ont fait qu’exacerber les colères de la rue sans qu’elles ne puissent relancer la machine de l’économie.

Paralysie

La dynamique du « décollage » est brisée et tous les défauts du système, longtemps camouflés, apparaissent au grand jour, de plus en plus insupportables : manque chronique d’infrastructures vitales (transport, logements, communications), paralysie partielle de secteurs d’activité névralgiques (agriculture et tourisme par exemple) à cause de la bureaucratie et le manque de flux d’argent (s’ajoutent ici les effets de la crise sanitaire du Covid-19), absence totale de système bancaire efficace et d’un tissu d’entreprises moyennes de sous-traitance dans le millénaire de high-tech et des nouvelles technologies du management organisationnel.

Ce qui accroît l’inefficacité des grands groupes nationaux créés, il y a des décennies, pour jeter et fructifier les bases d’une industrie lourde (pétrochimie, sidérurgie, ciments, etc).

En somme, notre système économique serait voué à la faillite, n’était l’économie informelle souterraine, qui seule, fait tourner la machine : travail clandestin, marché noir, marché parallèle des devises alimenté par la diaspora, fraude fiscale, etc.

Toutefois, toutes ces activités parasitaires, mais malheureusement vitales pour une économie « rentière » en plein naufrage, entretiennent une classe de privilégiés et de profiteurs du régime, à mesure que l’austérité s’aggrave.

En quelque sorte, les noyaux du système prévaricateur et prébendier se reproduisent si vite et se régénèrent dans ce fœtus-nid de la rente corruptrice, dont dépend hélas la survie du petit-peuple aujourd’hui.

Autrement dit, pour rapprocher un peu l’image : le fonctionnaire de PTT dans un centre à Bab El Oued a besoin du cambiste du Square Port-Saïd pour arrondir ses fins de mois, et vice-versa : le formel et informel sont si intimement liés dans la structure de l’économie rentière algérienne, que l’importe quel officiel, fût-il honnête, rigoureux et armé de la plus belle ambition de réforme, serait malheureusement dans l’incapacité de privatiser la moindre petite briqueterie publique! Voilà la réalité et elle est dure à avaler ! 

Or, « no taxation, no citizenship » (pas d’impôt, pas de citoyenneté), disent les Anglais. L’impôt, c’est la base de la machine. C’est d’abord une culture, avant qu’elle ne soit une pratique sociale et économique. 

Tout s’est mêlé chez nous, depuis des décennies, pour nourrir, avec la crise pétrolière, le ras-le-bol de la population. Un ras-le-bol qui devrait faire réfléchir le monde bancaire sur les risques sociaux et politiques d’une austérité prolongée, remède souvent imposé, en pareil cas, comme panacée universelle par les organismes monétaires internationaux tels que le FMI. 

Conséquences immédiates : l’Algérie est devenue à la fois un pays de corruption systématique et d’émeutes sporadiques, où les pénuries en ritournelle, les pannes économiques, les envolées des importations sauvages, du marché noir et des prix, réduisent en peau de chagrin tout espoir de redémarrage de la machine grippée de l’économie réelle, celle de la production.

Enfin, force est de constater que dans cette Algérie-là, du reste habituée depuis des lustres à vivre au rythme de « l’Etat-Providence », lequel décide des investissements, comme des prix, des salaires ou de la production, l’austérité budgétaire (la seule voie préconisée jusqu’ici par le staff du chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune), aura des effets immédiats et catastrophiques : elle stoppera brutalement la croissance et l’on se verrait probablement, qu’à Dieu ne plaise, dans des pics inflationnistes jamais vécus jusque-là par l’Algérie indépendante. 

Auteur
Kamal Guerroua

 




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