Site icon Le Matin d'Algérie

Le regroupement familial sur place : que dit la jurisprudence ?

Emigration

Le regroupement familial sur place : que dit la jurisprudence ?

Très souvent l’administration préfectorale refuse le regroupement familial sur place au seul motif que la famille réside sur le territoire français.

La procédure de droit commun en matière de regroupement familial, est l’introduction des membres de la famille à partir du pays d’origine, et après autorisation de l’administration.

Si la préfecture pouvait estimer que l’accord franco-algérien exclut la possibilité du regroupement familial sur place, cet argument est manifestement erroné au regard des différentes jurisprudences existantes en l’espèce et récemment réaffirmées.

La cour administrative de Douai a estimé que les dispositions de l’article 4 de l’accord susmentionné, équivalaient à la portée des articles L. 411-11 et L. 411-6 du CESEDA et qu’il était donc possible d’introduire l’époux concerné par le regroupement et ce même s’il réside déjà sur le territoire français (Cour administrative d’appel de Douai – 17 novembre 2009 – n° 09DA00922).

De plus, le préfet n’est pas en compétence liée lorsqu’il prend ce type de décision selon l’article 4 de l’accord franco-algérien puisque celui-ci prévoit « que peut être exclu […] ». L’emploi de ces termes induit donc, qu’une dérogation puisse être prévue et pour cela le préfet dispose d’un pouvoir d’appréciation large de la situation personnelle de l’intéressé.

Ainsi, déjà en 1998, le Conseil d’état a estimé que c’est à tort que le préfet a rejeté la demande de regroupement familial déposée pour la femme, déjà présente en France, d’un ressortissant algérien atteint d’affections médicales graves qui exigent l’assistance d’une tierce personne (Conseil d’état, 11 mars 1998, n° 168920).

Il a, aussi, été jugé par la cour administrative d’appel de Lyon en 2011, que le Préfet, en rejetant une demande de regroupement familiale sur le seul motif que l’époux concerné par le regroupement est déjà présente sur le territoire français, commettait une erreur de droit (CAA Lyon, 3ème ch., 15 septembre 2011, n° 10LY02636).

Cette position de la Cours administrative d’appel a constamment été réaffirmée depuis 2011 : par la Cour administrative d’appel Versailles, 1ère ch., 18 février 2014, n°13VE01719 et ainsi que celle de Marseille, 5ème ch., février 2016, n°12MA01398).

Sur l’intérêt supérieur de l’enfant

L’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant prévoit que :

« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

2. Les Etats parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.

3. Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. »

Rejeter le regroupement familial sur place reviendrait ainsi à imposer une séparation aux enfants des parents et la préfecture en ce sens commet une erreur de droit.

Vie privée et familiale

L’article 8 de la convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales dispose que :

  1. « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

  2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Ce texte protège le droit au respect de la vie familiale et vise à garantir la possibilité pour une famille de vivre sa vie familiale sans ingérence de l’Etat.

Ainsi, dès lors que l’existence d’une famille est reconnue (CEDH Marckx c. / Belgique, 13 juin 1979), l’article 8 §1 n’impose pas seulement à l’Etat l’obligation négative de s’abstenir d’une ingérence contraire à l’article 8 §2, mais également une obligation positive : il doit agir de manière à permettre aux intéressés de mener une vie familiale normale tout en développant des relations affectives, c’est-à-dire permettre le bon déroulement effectif de cette vie familiale, le développement et le maintien du lien parent-enfant (CEDH Gnahoré c./ France, 19 septembre 2000).

Ainsi, au regard de la jurisprudence citée, l’administration préfectorale commet, également, une erreur de droit en prenant une décision contraire au droit à une vie privée et familiale du demandeur du regroupement familial en refusant à ses membres de sa famille l’admission au séjour puisque cette décision ne permet pas à l’intéressé de vivre leur vie familiale de manière normale et entache gravement le développement et le maintien du lien des parents avec leurs enfants.

En conclusion, le regroupement familial sur place rejeté au seul motif que la personne concernée par le regroupement réside déjà sur le territoire français est finalement juridiquement illégal.

Auteur
Me Fayçal Megherbi, avocat au Barreau de Paris

 




Quitter la version mobile