Quel sinistre lieu qu’un cimetière? Mais quel lieu de recueillement aussi qu’un cimetière? Le dilemme est d’autant plus crucial qu’il suscite toute la curiosité du lecteur à s’engager résolument dans le corps de l’ouvrage.
En effet, Idir Amara qui venait de signer son premier livre-autobiographique, en l’intitulant Le Rescapé du cimetière, nous fait un peu pénétrer dans son monde fait d’incertitudes et de nostalgies. Un monde où les vieux souvenirs n’hésitent pas à occuper le devant de la scène et à valser comme autant de météores dans la galaxie de la fiction.
Fiction ? Le mot semble de trop à vrai dire ! Car, l’auteur, ingénieur d’application en bâtiment de son état et ayant pris depuis longtemps la casquette du journaliste dans divers organes de la presse tels que Le Courrier d’Algérie, Le Matin, Soummam News, Le Jeune indépendant, etc., semble comme submergé par le passé, le sien bien entendu, où tradition, us, coutumes et authenticité furent le socle de la société paysanne des années 1960-1980 qu’il décrit, par ailleurs, élogieusement dans son texte. Fine, élégante, bien roulée dans le dialectal local de son village-Aghbalou-(Bouira), la langue de l’auteur-journaliste restitue dans un français doux et succulent, plein d’expressions locales, presque passées à la trappe. Edité en 2021 par les éditions Tira de Béjaïa, le Rescapé du cimetière est, au fond, une sorte de recherche anthropologique faite à la manière d’un récit.
D’ailleurs, par moments, on sent comme une touche feraounienne dans certains passages où la dureté de la condition sociale est dépeinte avec réalisme.
Sans l’ombre d’un doute, à travers Le Rescapé du cimetière, Idir Amara ne fait que narrer son propre vécu. Un vécu dur d’un enfant de campagne qui, par le miracle de la Providence, avait réussi le pari de l’espérance, de l’humanité et de l’existence. Idir, c’est le vivant, le garçon « unique » qui porte la chance au foyer, l’enfant béni au destin extraordinaire, le petit chouchou de la mère qui survit après la cascade des décès ayant emporté d’autres frères et sœurs, nés avant lui.
Et c’est là que gît le secret de la force du texte qui rappelle, par des étincelles, tous les rituels en cours en Kabylie, et notamment le fameux « Fouroulou » (l’enfant caché) de Mouloud Feraoun que les parents faisaient fuir aux regards jaloux et aux âmes perverties, par peur de malheur.
Un garçon, en pareille circonstance, est un trésor à ne jamais exposer aux regards. Somme toute, ce récit, mené de bout en bout avec perfection, peut se lire comme un éloge ou plutôt un hommage à la mère-courage de l’auteur, mais à travers elle, à toutes les mères résistantes de l’Algérie profonde.
Idir Amara, affirme, lui-même avec toute la modestie paysanne qui le caractérise, avoir vécu caché par sa mère, jusqu’à l’âge de trois ans et que ce n’est qu’au moment des sorties dans les champs et les fontaines que d’autres femmes de l’entourage l’avaient découvert pour la première fois.
Le Rescapé de la famille, c’est cet enfant qu’on voyait grandir et pour qui l’on priait le bon Dieu de le garder vivant. Ainsi ce récit romanesque nous amène à nous plonger dans l’ambiance des rites familiaux, des coutumes, des marchés hebdomadaires de la Kabylie d’autrefois, des anciennes maisons bercées par les contes qu’écoutent les enfants, des vacances d’été avec leurs odeurs et leurs embruns, de l’éternel retour des émigrés, etc. Et au milieu, comme une pièce maîtresse du récit, le Rescapé de la mort, Idir en l’occurrence, paraît comme le plus chanceux de la famille, l’adorable de la mère et le pilier de sa future descendance. Un beau récit à découvrir…
Kamal Guerroua
Idir Amar, Tira éditions, Béjaia, mai 2021, prix 300 DA