La statue d’Aksil, signée Abderezak Bouzkar, aura eu une carrière courte mais intense. Inaugurée à Khenchela avec une certaine fierté, elle a rapidement été déboulonnée, victime de ce sport national qu’est le débat stérile.
En Algérie, même une statue peut provoquer un séisme. Non pas à cause de son esthétique ou de son message artistique, mais parce qu’elle devient instantanément un champ de bataille.
Ici, les fractures identitaires et historiques s’exposent sans filtre, et Aksil (Axel pour certains, Kousseila pour d’autres,) se retrouve au cœur d’un feu croisé : célébré par les uns, conspué par les autres, il devient le prétexte parfait pour enflammer les réseaux sociaux.
Mais au fait, qui était Aksil ? Selon Ibn Khaldoun, il s’agit d’un chef berbère qui, au 7ᵉ siècle, rencontre Abou al-Mouhajir Dinar, gouverneur d’Ifriqiya. Charmé par ce dernier, il se convertit à l’islam, rallie sa tribu, et participe même à quelques conquêtes contre les Byzantins. Tout semble aller pour le mieux jusqu’à ce que Ukba ibn Nafi revienne au pouvoir et décide, sans trop réfléchir, que les Awraba ne valent pas la peine qu’on les épargne. Aksil, pourtant loyal, devient une cible. Pas malin. Il feint la soumission, joue les alliés dociles, mais finit par le tuer à Thahouda en 683. Aksil prend alors les commandes de Kairouan.
Mais voilà, l’histoire a cette vilaine habitude de ne pas être tendre avec ceux qui gênent. Aksil, malgré ses talents et son courage, est tué par Zuhayr ibn Qays en 688. Les Omeyyades reprennent le contrôle de l’Ifriqiya et, dans la foulée, relèguent Aksil dans les marges des récits officiels. Comme d’autres figures nord-africaines avant lui, il est tour à tour admiré ou critiqué selon les idéologies du moment. Une habitude bien rodée, dirait Hannibal, un autre génie nord-africain que l’histoire a transformé en “monstre”
Et la statue, alors ? Pauvre statue. Pensée pour honorer Aksil, elle a fini au cœur d’une polémique. Les autorités, fidèles à leurs habitudes, n’ont offert aucune explication à un geste aussi absurde qu’incompréhensible.
Ont-elles reçu des ordres venus d’en haut ? Ou ont-elles tout simplement cédé à cette fameuse loi des réseaux sociaux où celui qui crie le plus fort finit par avoir gain de cause ? Mystère.
Ce qui est clair, c’est que les autorités, fidèle à leurs habitudes, n’ont offert aucune explication à un geste aussi imbécile qu’absurde. Pourquoi clarifier les choses quand on peut agir dans l’ombre ? Plutôt que de rassurer, on préfère éborgner ou, à défaut, aveugler. Une stratégie qui marche toujours… ou presque.
L’ironie de cette histoire ? Cette œuvre de Bouzkar, avec ses traits saisissants et son regard intense, est probablement l’une des meilleures statues que l’Algérie ait produites. Un mélange de Clint Eastwood et d’un guerrier antique, elle aurait pu être une fierté nationale. Mais non. Dans un pays où les atrocités sculpturales abondent et finissent souvent comme des blagues virales, il fallait bien que celle-ci disparaisse. Parce que pourquoi pas.
Ce qu’il faut retenir, ce n’est pas seulement que l’Algérie a un problème avec ses statues. Non, c’est bien plus profond. C’est que l’Algérie a un problème avec son histoire. Coincée entre une colonisation qui l’a racontée à sa manière et une orientalisation qui l’a déformée, elle peine à reconnaître ses figures locales pour ce qu’elles sont. Aksil est l’exemple parfait de ce vide culturel : une figure complexe qu’on réduit, instrumentalise ou enterre selon les intérêts du moment.
Et en attendant, on débat. On s’écharpe. Et cette statue d’Aksil, qui aurait pu servir de symbole pour réconcilier les Algériens avec leur passé, finit par devenir le miroir cruel de nos contradictions. Finalement, elle aura été un chef-d’œuvre d’ironie plus qu’un hommage.
Za3im.