Mercredi 29 août 2018
Le scanner de Boumediene !
Avec nos tyrans, quarante-deux ans sont passés et on a l’impression de vivre la même histoire que celle de notre jeunesse. Quarante-deux ans qu’une drôle d’histoire de scanner avait fait la conversation de tout un peuple sans qu’il puisse avoir accès à la moindre information quant à la maladie de son tsar.
J’étais déjà étudiant en France lorsque la douce nouvelle nous est parvenue, celle de la mort d’un psychopathe qui avait condamné l’Algérie à la damnation éternelle. Mais à cette époque-là encore, je pouvais rentrer pendant certaines vacances scolaires. Et c’est comme cela que tout avait débuté.
C’est d’abord cette phrase que le souvenir retient. De celles qu’on prononce en chuchotant, après une rotation de l’œil afin de s’assurer que personne n’est présent à une distance d’écoute. La voix était tremblante car elle n’ignorait pas qu’elle portait des paroles dangereuses. Elle finit par sortir furtivement de la bouche « il paraît qu’ils ont ramené un scanner à Alger ».
Il faut bien comprendre que même si le mot était connu, il n’était franchement pas dans le vocabulaire courant, encore moins dans celui de la bureautique dont le nom n’existait pas plus que l’ordinateur individuel.
Ce mot étrange de «scanner » courait les rues, de bouche à oreille (de bouche à bouche dirions-nous dans la version arabe) toujours le dos courbé, l’œil attentif et la voix murmurée.
« Il est immense, presque tout l’étage » disait l’un. « Non, c’est pas plus grand qu’une valise » rétorquait l’autre. Mais c’est sûr que cette histoire de l’étrange venue du scanner pour tenter de diagnostiquer le grand Boumédiene, c’était du pain béni pour les conversations.
C’est qu’à cette époque les distractions n’étaient pas nombreuses, la RTA et sa chaîne unique, El Moudjahid et sa parole unique, le FLN, parti unique. Alors il fallait bien occuper le peuple qui se passionnait pour ce scanner mystérieux, une innovation à la pointe du miracle. La science au chevet de notre bien aimé dirigeant, une gloire de plus pour ce pays qui croyait avoir converti la planète à toutes les vertus.
Quarante-deux ans plus tard, ce n’est plus le scanner qui vient à Alger avec une armada de spécialistes étrangers, c’est notre président qui se déplace en Suisse, à Grenoble et ailleurs. C’est que la fierté nationaliste, c’est comme l’économie moderne, elle s’est mondialisée.
Nous n’en savons pas plus aujourd’hui qu’à l’époque de ce fameux scanner mais il y a trois constances que nous pouvons relever. La maladie du tyran n’est pas l’affaire du peuple. L’appel à l’étranger est toujours sur les finances de ce pauvre peuple. Et nos grands pontes de la médecine, fiers comme Artaban, qui ont fait fortune dans ce pays, n’ont pas plus la capacité de soigner un président. Même un homme grabataire, essoufflé par la vie trépidante du pouvoir arbitraire.
Au final, le scanner de Boumediene ou la visite à Genève de Bouteflika, ne prouvent qu’une chose, on est voué à la conversation, aux supputations et aux conjectures. La maladie des despotes n’est pas de l’ordre humain, elle nous échappe.
Pour l’anecdote, un jour, vers la fin des années soixante-dix en France, une infirmière m’avait dit que le bureau du médecin qui m’attendait était juste après la salle du scanner.
Ne le répétez à personne mais vous vous imaginez bien que j’ai attendu de très longues minutes devant la porte avant qu’elle ne s’ouvrît. Je voulais savoir ce qu’était ce grand mystère. J’avais enfin, en une seconde, aperçu la «chose», celle qu’on avait ramenée spécialement à mon homonyme, en avion cargo, en bateau ou démontée dans des caisses, pensions-nous à l’époque.
J’étais bien jeune et c’était bien la seule douceur qui me revient de cette époque dont on nous abreuve de mérites nationalistes et qui ne fut que l’horreur d’un tyran qui avait droit à l’importation d’un scanner, inconnu pour les mortels algériens qui pouvaient mourir d’une simple infection.