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Le secret du Hirak (2), par Mohamed Benchicou

REGARD

Le secret du Hirak (2), par Mohamed Benchicou

Commençons par une nota bene : l’article « Le Hirak n’est pas une partie de belote » ne s’inscrivait nullement dans une polémique avec Kamel Daoud.

La polémique est un art délicat qu’il faut savoir laisser à quelques vieux briscards encore capables de se souvenir de l’anniversaire d’une dame mais pas de son âge.

Il en subsiste encore quelques-uns, des miraculés qui ont survécu à l’usure de l’âge, aux attentats contre la langue, aux leçons de journalisme du pouvoir et à Naïma Salhi.

Tout ça pour dire que l’écrit « Le Hirak n’est pas une partie de belote » n’est pas un écrit velléitaire à l’endroit de Kamel Daoud, mais une réponse à ce qui m’a paru être un enterrement trop hâtif du la révolte du peuple algérien.  

Étions-nous censé obtenir en quelques mois ce que le peuple français a mis deux siècles pour l’arracher ? Bien sûr que l’Algérien aurait aimé jouir, aujourd’hui et maintenant, de tous ces droits qui nourrissent l’imagination de nos jeunes et les poussent à traverser la mer sur un radeau, bien sûr qu’il serait enchanté de disposer de la justice sociale, de l’égalité devant la loi, d’une justice indépendante, au partage équitable de la prospérité, au statut de la femme, à l’accès juste aux soins de qualité,  à l’instruction,  à la liberté de s’exprimer, y compris celui de manifester…

Mais cette France-là n’a pu voir le jour qu’au prix d’une lutte patiente et obstinée de deux siècles contre les archaïsmes, les positions établies, la domination du clergé, la manipulation de la religion, les citadelles de la bourgeoisie, l’iniquité sociale …Deux siècles

La révolution, le hirak français si on peut s’exprimer ainsi, a, en effet, commencé en 1789, [« Une révolte ? », «Non sir, c’est une révolution ! »],  la première marche des femmes sur Versailles a eu lieu en octobre 1789, mais il a fallu attendre le milieu du 20e siècle pour que le droit de vote soit accordé aux femmes !

Tout le monde sait que la laïcité a été proclamée en France en 1905, quand fut arrêtée la décision de séparer l’Eglise de l’État, mais sait-on que la lutte contre l’hégémonie du clergé a duré 116 ans, la nationalisation des biens du clergé catholique remontant à octobre 1789 et la suppression des ordres monastiques et religieux à mars 1790.  

En 2020, les gilets jaunes réclament toujours l’égalité des droits pour les Français alors que la première Déclaration des droits de l’homme et du citoyen date du 26 août 1790. La France insoumise, le parti de Mélenchon,  exige aujourd’hui encore fin d’une France à deux vitesses bien que la suppression de la noblesse et l’abolition des privilèges et du système féodal, ont  eu lieu en 1790 !

La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, Kamel, c’était au milieu d’une manifestation du hirak. C’était l’été 2019. Des jeunes gens étaient venus nous saluer. Ils étaient gais et déterminés au milieu de tant d’Algériens et d’Algériennes revigorés. Le pouvoir les voulait dans l’inertie ; eux ont fait le choix d’être dans le mouvement !

Agir, se parler, bâtir, être de son temps… Ces jeunes, ils ont continué à venir aux rassemblements chaque semaine comme des centaines de milliers d’Algériens qui, dans leur pays, sont traqués, emprisonnés, harcelés…Pourquoi ? J’ai eu la réponse d’un Afghan, dans un documentaire sur une chaîne de télévision : « Nous faisons le même voyage, de père en fils, depuis des siècles, à la recherche d’une lumière improbable, mais c’est l’idée de la lumière qui nous est indispensable. Sans elle, les hommes vivraient avec l’inéluctabilité du désespoir. Alors, nous tous,  nous sommes comme les oiseaux de Farid al-Din Attar, un de nos grands poètes mystiques, nous sommes partis un jour à la recherche du Simorg, l’oiseau mythique, l’oiseau fabulé, si beau que nul ne peut le regarder.

Pour voir le Simorg, nous traversons le temps avec des élans fous, mais aussi avec des reculs épouvantés, dans les paysages redoutables et intimes de l’humanité.

Nous savons que nombre d’entre nous disparaîtront, comme les oiseaux de Farid al-Din Attar, submergés par les océans, anéantis par la soif et le soleil ou dévorés par les bêtes sauvages, certains s’entre-tuant tandis que d’autres abandonneront la route. Nous savons que nous ne survivrons ni à nos rêves ni à nos chimères, mais nous préférons cette défaite millénaire à l’insoutenable indifférence à la lumière. »

Je crois bien que cela, le secret du Hirak : ne plus pouvoir se passer de l’idée de la lumière, une fois qu’on l’a approchée de si près.

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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