Les gens à l’esprit « tiers-mondiste » veulent avoir tout sans sacrifices. Ils veulent être modernes, développés, riches, cultivés, mais sans consentir le moindre effort. Ils ne savent pas ou plutôt ne veulent pas reconnaître que la modernité est une douleur.
La modernité a un prix à payer. Les Français ont coupé la tête de leur roi et de leur reine , ils étaient les premiers à imposer l’impôt, ils ont mené leurs révolutions, ils étaient allés envahir le monde, devenant pendant des siècles « ce tyran de terres », pour reprendre le mot du diplomate américain Henri Kessinger, à la tête d’un grand empire colonial.
Ils ont fait des sacrifices, comme les Américains, les Anglais, les Allemands, et ils sont devenus les maîtres du monde. Grâce à quoi? Eh bien, le travail. Nous, on veut retranscrire les ordonnances médicales en arabe, alors qu’on n’a jamais fabriqué un médicament. On veut arabiser l’administration alors qu’on n’a jamais fabriqué un ordinateur.
On veut parler en arabe à l’ONU, alors qu’on n’a jamais réussi à constituer un Etat digne de ce nom. On veut être champion dans la construction des bâtiments, alors qu’on n’a jamais fabriqué un clou. On veut avoir des prix Nobel, alors qu’on ferme les librairies et les « journaux »!
On est des peuples complètement contradictoires, schizophréniques. Des peuples hors temps qui vivent dans le mythe de l’éternel vainqueur alors qu’ils sont des éternels vaincus. Des éternels assistés. Des fainéants, des bras cassés. On attend tout des autres et en même temps, on les accuse d’être responsables de nos maux.
Il n’y a qu’un bipolaire qui puisse penser de cette manière. Et les bipolaires sont malheureusement « nous ». Nous qui pensons souvent rendre les autres responsables de notre malheur. Jamais de notre bonheur.
La faute, pour nous, est toujours aux autres. On est dans la culpabilisation permanente des autres. Un pays corrompu, la faute aux autres. Des hôpitaux merdiques, la faute aux autres.
Des autoroutes abîmées, la faute aux autres. Pas de semoule ni de l’huile dans les magasins, la faute aux autres. Un avion, hors d’usage et manquant de maintenance qui fait un accident, la faute aux autres.
Une fraude généralisée aux baccalauréats, la faute aux autres. Une patera des harraga qui se noie en Méditerranée, la faute aux autres. Un détenu qui meurt en prison, la faute aux autres. Et nous, que faisons-nous pardi ? C’est ça la question qu’il va falloir poser. Ce sera, peut-être, le départ d’un grand progrès…
Kamal Guerroua