Dimanche 29 juillet 2018
« Le système éducatif finlandais offre une bonne intégration aux immigrés »
C’est à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, qui a été célébrée par le grand journal finlandais Helsingin Sanomat, le 3 mai 2018, à Helsinki, que nous avons interviewé Kaius Niemi, rédacteur en chef de Helsingin Sanomat, et c’était l’occasion d’évoquer avec lui divers sujets à savoir l’Algérie, le ‘printemps arabe’, la crise migratoire en Europe et les mécanismes d’intégration des immigrés en Finlande.
Le Matin d’Algérie: Comment évaluez-vous les programmes d’intégration en Finlande notamment après la crise migratoire en Europe pendant l’automne 2015?
Kaius Niemi: Pendant la crise migratoire de 2015, la Finlande a pris un lot de réfugiés moins que les autres autres pays de l’Europe centrale. Cependant il faut dire que l’accueil des immigrés dans notre pays remonte à plusieurs dizaines d’années, et cela a créé un grand besoin de trouver par tous les moyens des mécanismes comment intégrer ces nouveaux arrivés. D’autant plus que la Finlande est un petit pays, nous vivons dans une petite société qui juge continuellement le sujet d’intégration très intéressant. Dans ce sens, permettez-moi d’évoquer aussi le rôle du système éducatif que possède la Finlande, qui, d’ailleurs, demeure important dans les études comparatives dans le monde entier. Par conséquent, j’estime que ce support qu’on essaye visiblement de transmettre aux autres, nous a permet d’offrir d’important accueil aux nouveaux arrivés, et de réfléchir particulièrement comment les intégrer d’une manière correcte dans la société finlandaise.
Le Matin d’Algérie: Êtes-vous d’accord sur le fait qu’il n’y avait pas une plateforme prête pour intégrer les milliers de réfugiés qui sont arrivés en Finlande vers la fin de 2015?
Kaius Niemi: Je crois que ces circonstances ont surpris la société finlandaise en général, et c’est vrai que le grand nombre de nouveaux arrivés a augmenté vers la fin de 2015, à cause de la situation sécuritaire dans le Moyen-Orient, en Syrie et dans quelques pays nord-africains qui ont également connu une situation d’instabilité à savoir la Libye et l’Egypte. En outre, je souligne que les nombreuses victimes de l’immigration clandestine dans la rive sud de la Méditerranée en plus de toutes les tragédies qui s’y passent à ce jour sont des indicateurs qui n’ont pas été pris en considération par les Européens, et c’était, pourtant, visible et à ne pas négliger. Cependant, après que l’Union européenne ait signé un traité à ce propos avec la Turquie, les choses ont par la suite commencé à changer.
Je reviens à votre question et j’avoue que le grand taux d’immigration en 2015 était surprenant pour la société finlandaise notamment par rapport aux capacités d’hébergement de nouveaux réfugiés. Cette contingence a vite mobilisé notre société pour trouver des solutions par certains organismes comme la Croix-Rouge finlandaise et tant d’autres. Dans des circonstances face à des contingences pareilles je pense qu’il faut d’abord considérer comment loger ces nouveaux arrivés. J’ajoute à ce propos que la crise migratoire fut surprenante, pas seulement pour notre gouvernement mais aussi pour les citoyens finlandais, et cela au vu le grand nombre de réfugiés qui étaient arrivés par nos frontières avec la Russie en dépit de la haute sécurisation et le contrôle d’accès entre les deux pays. Je peux comparer cette situation au jeu d’échecs de telle sorte que chaque mouvement et chaque pas est important pour le sort de toute partie.
Le Matin d’Algérie: Certains journalistes étrangers en Finlande remettent en cause la volonté des entreprises de presse pour intégrer des immigrés au seins de leur corporation. Qu’en pensez-vous?
Kaius Niemi: Je peux dire que dans le futur nous pouvons faire un bon travail dans ce sens, mais rien n’empêche de souligner que pendant les dernières années les grands médias ont survécu dans des circonstances difficiles à cause de la récession. Ce n’était vraiment pas facile de recruter de nouveaux journalistes, pas seulement au sein de notre journal mais aussi dans beaucoup d’autres entreprises. De plus, il y a des journaux en Finlande qui possèdent un grand nombre d’employés, et c’était d’ailleurs le cas pour notre journal, Helsingin Sanomat.
D’autre part, il faut dire le recrutement des journalistes par les médias finlandais n’a jamais été associé au fait d’être Finlandais ou immigré, mais c’est juste dû aux circonstances économiques dans lesquelles avaient longtemps pataugé ces institutions. De plus, nous avons eu déjà des journalistes étrangers dans notre journal, et c’était dans le cadre d’un programme d’échange de journalistes avec l’Allemagne. De ma part, je rassure les immigrés de la corporation qu’il y a toujours des possibilités de recrutement, mais il faut rappeler que nous sommes un journal d’expression finnoise, et le nouveau recruté doit parler le finnois. Enfin, nous avons par exemples des employés d’origine étrangère, de l’Asie et d’autres coins du monde, et ceci explique clairement que la question n’est pas reliée aux origines du recruté, mais plutôt à sa formation et ses compétences qu’il peut montrer lors du travail.
Le Matin d’Algérie: Quelle est votre lecture par rapport au “printemps arabe” et les valeurs démocratiques dans la région ?
Kaius Niemi: Je crois que “le printemps arabe” est est un phénomène important à comprendre, et depuis qu’il a commencé en Tunisie, il a effectivement porté un certain optimisme dans la région, et c’était un signe que les choses ont commencé à bouger. De l’autre côté, l’évolution des événements et notamment ce qui se passe aujourd’hui dans certains pays comme la Syrie, est malheureusement très douloureux, et je ne trouve franchement pas de mot pour décrire une telle situation. Toutefois, ce qui est aussi important c’est de voir des pays comme l’Algérie et le Maroc demeurer toujours stables. D’un point de vue nordique, on apprécie beaucoup tous les efforts fournis pour les valeurs démocratiques, mais absolument sans interférer dans les affaires internes des autres pays.
En Finlande, nous ressentons profondément les pertes subies dans toute guerre civile, et d’ailleurs on est en train de commémorer cette année le centenaire de la guerre civile qui s’est déroulée en Finlande en 1918. Cette guerre nous a amèrement laissé de terribles souvenirs.
S’il faut donc ajouter un mot à ce propos, c’est que la Finlande partage énormément les souffrances des autres pays, car nous avons payé un lourd tribut pour la paix et la démocratie. C’est d’abord important pour un pays qui respecte ses minorités de restaurer d’abord la confiance dans la société pour commencer à reconstruire ses valeurs démocratiques. Un tel travail doit toujours être confié aux bons leaders qui dépendent émotionnellement de leurs peuples, mais pas à de petits groupes dans le pouvoir. Heureusement qu’en Finlande il existe l’héritage de longues traditions qui ont été exercées sous la domination suédoise pendant le 18e siècle, ce fut un héritage de traditions juridiques et de structures. Il est alors considérable de savoir par la suite comment survivre et rendre la société aussi forte qu’elle puisse être pour subir les pertes éventuelles.
Le Matin d’Algérie: En tant que journaliste finlandais, comment voyez-vous aujourd’hui l’Algérie et l’Afrique du Nord ?
Kaius Niemi: Je pense que l’indépendance de l’Algérie était difficilement arrachée, et c’était justement la fin de l’ère du colonialisme. D’ailleurs je pense aussi à la Finlande quand elle a arraché son indépendance en 1917, et c’est la raison pourquoi nous considérons tellement le prix de la liberté et de l’indépendance. Je me souviens quand j’ai visité le sud d’Algérie au milieu des années 1990, j’y suis allé en tant que journaliste et la situation sécuritaire n’était pas du tout stable.
Aujourd’hui, je pense que la stabilité de toute la région est très importante, et nous devons tous être optimistes et structurer ensemble la voie pour que les pays voisins d’Algérie trouvent leur stabilité et sécurité, à savoir la Libye et l’Egypte. De plus, j’estime qu’il faut être conscient face à des conjonctures pareilles qui frappent la région, car la question n’est pas qui va gagner la guerre ou la paix, mais il faut plutôt donner la parole au peuple pour qu’il s’exprime et soit un acteur actif dans les décisions de son pays. La société ne peut pas s’évoluer si le peuple est privé de son droit de participer aux décisions qui définissent son avenir. Ce qui se passe aujourd’hui dans certaines régions est dramatique, et pour cela, il faut penser à l’avenir et comment est-ce que la société pourra prendre soin de ses citoyens dans un Etat de droit. Je souhaite sérieusement que la paix s’installe dans toutes ces régions frappées.