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Le testament d’Annie Steiner

REGARD

Le testament d’Annie Steiner

Peut-être nous pardonneras-tu d’avoir fait de ta vie un champ de bataille pour que la nôtre ne le soit pas. Tu es morte en femme magnifiquement incomprise. C’était le risque avec des personnages comme toi, ni Dieu ni maître.

Tu étais la combattante dans une guerre muette. Comment dire, et à qui le dire, qu’il ne suffit pas de se battre pour une patrie qui soit à soi, mais pour une cause qui soit aux hommes, à tous les hommes ? Nous n’avions pas su déchiffrer ton message, Annie. 

Notre regard ne portait pas aussi loin que l’immensité de tes amours. Alors, nous t’avons appelée Moudjahida Annie Steiner. Une façon d’être quitte avec l’histoire, mais tu n’étais pas une Moudjahida. Tu étais Annie Fiorio-Steiner, fille de Marengo, née en 1928 et tu ne supportais pas de vivre au milieu des déchéances imposées aux hommes.

Tu fus de ces créatures qui avaient révélé au monde l’universalité de la cause algérienne.  Et, dans la foulée, tu as enseigné à ceux qui t’entouraient qu’on peut vivre avec juste deux ou trois petits plaisirs, du jambon de Bayonne dont tu raffolais, du vin de Mascara, et de l’amour, beaucoup d’amour, l’amour des hommes et des femmes qui partagent avec nous cette époque brûlante pour leur éviter de vivre dans l’humiliation et dans la servitude. C’est cela, rien que cela, les terribles raisons qui poussent un homme à risquer l’agonie aux dépens de la vie. 

Longtemps, on parlera de cette femme qui avait choisi de se battre contre son propre État.

Elle aura été l’un de ces providentiels insouciants qui, devant l’événement, choisissent d’explorer le chemin inconnu que leur dicte leur conscience plutôt que d’arpenter les routes embouteillées des renoncements et des carrières. Elle fut de cette race d’humains nés pour faire l’histoire pas pour la subir.

Annie aura laissé aux vivants l’espoir d’un jour nouveau. C’est de ce message qu’ils s’alimentent. Sans cette salutaire obstination, de quoi vivraient-ils aujourd’hui ?

J’ai vu Annie, pour la dernière fois, à la mort de ma mère. Elle avait partagé la  douleur de la famille. En partant, elle m’avait adressé un regard si tendre que pendant quelques secondes, je crus que ma mère ressuscitait.

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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