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Le testament posthume de Taos Amrouche ! 

REGARD

Le testament posthume de Taos Amrouche ! 

On sait tous que, de par son statut de cantatrice de renom et d’écrivaine, Taos Amrouche est l’une des icônes de la littérature du Maghreb contemporain. Dans son oeuvre romanesque « Jacinthe noire » (1947), « Rue des Tambourins » (1960), « L’amant imaginaire » (1975) et « Solitude ma mère » (roman posthume publié en 1995), intitulée « Moissons d’exil », elle raconte par le biais de la fiction le parcours atypique d’une famille, la sienne, mettant en relief sa singularité culturelle de chrétienne de Kabylie.

Les mêmes thématiques d’exil intérieur et du sentiment de mal-être identitaire y sont, au demeurant, fortement évoqués, comme dans « Les chants berbères de Kabylie » (1967) et « Les Chants de l’Atlas » (1971). Le déracinement (géographique et spirituel) est au coeur du chant et de l’écrit de cette rebelle au verbe acerbe qui, dans sa quête incessante de ses origines, célèbre par les contes « Le Grain magique » (1966), l’enracinement millénaire de sa culture ancestrale. Taos, la native de la Tunisie où se sont exilés ses parents, revendique haut et fort son amazighité ainsi que son africanité, dans un pays, l’Algérie, qu’elle considère, tout autant que le Maghreb, pluriel. Elle assume, dans l’inquiétude, son histoire et ses déchirements entre deux cultures (orientale et occidentale), mais ne nie jamais qu’elle est le produit d’une mère unique, l’Afrique, symbole de l’amazighité, qui, même mille fois conquise, reste éternellement elle-même.

Néanmoins, si elle avait porté dans ses tripes tout l’héritage berbère de ses ancêtres, elle semblait s’efforcer de vivre son « occidentalité » et de s’y fondre. Ce dilemme intérieur, ou plutôt cette ambivalence entre deux univers n’était, à proprement parler, que le reflet de l’angoisse existentielle pouvant toucher tous ceux qui aspirent à vivre la pluralité culturelle, non comme une menace à leur matrice identitaire originelle, mais comme un rajout positif à leur personnalité. Le message de la fille de Fathma Ait-Mansour, première écrivaine maghrébine, est, sans doute, celui de l’obligation du retour à l’authenticité, sans s’embarrasser des différences culturelles, aussi complexes soient-elles, parce qu’elles sont la source de toute richesse civilisationnelle. « Je ne ressemble à personne, je suis de l’Afrique », dit Aména, la principale protagoniste de son roman posthume  » Solitude ma mère ». 

En effet, la dimension de l’Africanité que Taos Amrouche a défendu bec et ongles lui a, d’ailleurs, attiré les louanges et la reconnaissance de deux sommités africaines, en l’occurrence, Cheikh Anta Diop et Léopold Sédar Senghor, qui l’ont considérée, en 1966, à l’occasion du Festival des Arts Nègres de Dakar, comme « l’une des expressions les plus authentiques de l’Afrique du Nord ».

La même année, d’ailleurs, cette étoile filante de la Kabylie a participé à la fondation de l’Académie berbère de Paris, premier jalon pour la diffusion de la culture des ancêtres.

Etrange destin pour cette grande dame, au répertoire bien rempli, qui se voyait, déjà en 1969, « persona non grata » au Festival panafricain d’Alger! « Nul n’est prophète dans son pays », dit le proverbe. Se sachant indésirable, Taos a vécu, à cette époque-là, une sorte de blessure dans son amour-propre, une blessure, à nulle autre pareille, qui a lacéré son coeur, en la jetant, comme son frère le poète Jean Amrouche, sur la piste d’une hybridité, pourtant féconde, mais frappée d’un fort relent d’ostracisme. Un affreux mépris qui ne favorise aucunement la fusion dans le moule de cette « culture de la différence », chère à l’écrivain Gilles Deleuze. Mais comment était-il possible d’échapper à son destin de paria, dans une société qui se sclérosait sous les coups de la pensée monolithique et le conformisme culturel ?

« Nos racines, écrit Taos dans son roman « Solitude ma mère » étaient à nu; c’étaient elles qui demandaient à s’enraciner[…] qui me reviennent l’équivalent du pays à jamais perdu et me fassent oublier le sentiment d’exil atroce que nous traînions partout « .Taos, la lionne d’Ighil Ali, la lointaine héritière de la résistante Fatma N’Soumer, celle que le général Randon aurait appelé un jour « La Jeanne d’Arc de la Kabylie », n’oubliera certainement jamais, même dans sa tombe, que les siens l’ont reniée, mais reste de par son combat de femme libre pour une Algérie plurielle, le porte-drapeau de la liberté et de la modernité. 

 

Auteur
Kamal Guerroua

 




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