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Le tissu associatif algérien a-t-il encore un avenir en Algérie ?

Clientélisé, neutralisé et avachi

Le tissu associatif algérien a-t-il encore un avenir en Algérie ?

Sous les coups de boutoir d’une gestion rentière de l’économie, d’un patrimonialisme débridé, voire de néo-patrimonialisme politiquement sophistiqué, cher à Shmuel Eisenstadt; sous le règne du divorce consommé avec les valeurs de la culture et dans un contexte de chute vertigineuse du niveau scolaire et universitaire, le corps social algérien évolue dans une espèce de patente anomie, où se perdent jusqu’aux derniers réflexes de défense et de solidarité, renvoyant la vitesse et la l’intensité de la réactivité des personnes et des groupes à leurs valeurs les plus basses.

Une sorte de « métabolisme basal » porteur de grosses interrogations et d’énormes doutes sur ce qui est supposé être transmis aux générations montantes comme capital de combativité et d’autonomisation et d’idéal d’émancipation citoyenne.

Signe des temps, les partis politiques créés depuis 1990 – agréés ou « semi-clandestins »- sont réduits à des corps squelettiques, voire à de simples initiales dont- à de rares exceptions-on peine à se souvenir. Le chroniqueur de la page 24 du Soir d’Algérie (édition du 20 juin) n’a pas tort, dans l’ambiance présente de la Coupe du Monde en Russie, de vouloir congédier toutes ces initiales au profit de la seule…ZDF, chaîne de télévision allemande qui satisfait, au moins partiellement par la transmission en clair de certains matchs, les foyers algériens qui n’ont pas les moyens de s’offrir le décodeur de beIN Sport. Autrement dit, les partis politiques et les associations, que l’on a tenté de présenter un certain moment comme une sorte d' »alibi démocratique », répondent aux abonnés absents.

Sans doute que la plus dommageable perte, est celle de cet embryon de société civile qui avait commencé à prendre laborieusement forme au lendemain de la révolte d’octobre 1988 autour des thèmes des droits de l’homme, de la liberté d’expression et de la promotion des valeurs de la culture. Au bout de trois décennies, le constat est des plus affligeants. La descente aux enfers sur le plan de l’organisation de la société est telle que l’on ne devrait plus être étonnés par toute la gadoue qui recouvre les réseaux sociaux, les déchirements et tiraillements qui affectent les corps les plus solidement constitués (villages, hameaux, syndicats, associations,…) et le vide sidéral dans lequel évoluent les partis politiques, majoritairement incapables de renouveler et de promouvoir leurs ressources humaines.

Incontestablement, le monde associatif vit actuellement en Algérie ses moments les plus incertains, et ce, aussi bien en raison des restrictions imposées par le législateur dans le cadre de la loi n°12-06 du 12 janvier 2012 relative aux associations, que de l’environnement général sur le plan culturel et social.

Au moment où se poursuit l’opération de la « mise en conformité » des associations, agréées sous le régime de la loi de 1990, et au vu des contestations et réserves dont la nouvelle loi, celle de 2012, a fait l’objet de la part de plusieurs acteurs associatifs et analystes politiques, se dessine une transition aux contours flous. La nouvelle législation- qui a quand même « âgée de six ans- est si décriée qu’elle ne peut plus avoir les suffrages des jeunes, dissuadés par la bureaucratie de pouvoir se regrouper autour d’intérêts et de projets communs au profit de la société tout entière.

Une loi restrictive contestée par les animateurs associatifs

Le gouvernement ne l’a pas encore enrôlée dans son agenda, mais, indéniablement, elle est appelée à subir des changements qui devront la mettre au diapason des aspirations et des ambitions de la jeunesse algérienne d’aujourd’hui. Si des milliers d’associations, qui se sont constituées sur la base de l’ancienne législation se sont conformées, en matière de statut, à la nouvelle réglementation, c’est surtout pour se conformer à une formalité, afin de continuer à activer sur le terrain, avec, bien entendu, les limites fixées par cette même réglementation. Les analystes y relèvent des restrictions au champ des libertés, des limites aux ambitions d’épanouissement du mouvement associatif.

D’après des statistiques officielles, le mouvement associatif algérien est constitué de quelque 90 000 organisations. Ce chiffre, qui peut donner l’illusion d’une fourmilière animant le corps social algérien, est diligemment suivi d’un regard « suspect » et d’une appréciation très circonspecte de la part des observateurs avertis, lorsqu’il s’agit de son efficacité sur le terrain et de son degré d’intégration dans le mouvement général de la société.

On a même eu à entendre, à demi-mot, des officiels reconnaître que beaucoup d’entre les associations sont inutilement budgétivores. Elles se comportent en satellites de l’administration et des établissements publics, profitant de subventions et autres avantages qu’avait permis la rente pétrolière. Les subventions reçues, théoriquement soumises à l’examen d’un commissaire aux comptes, sont généralement plus incontrôlables qu’on ne le pense

Selon l’inventaire du ministère de l’Intérieur effectué il y a quelques années, il existe près de 800 associations à caractère national, et environ 80 000 associations dont les agréments ont été délivrés par les services de wilaya. « Sur l’ensemble des associations, il n’y a probablement que le tiers qui fonctionne plus ou moins valablement », reconnaissait Ould Kablia, ancien ministre de l’Intérieur.

À l’exception de rares organisations, qui ont tenu à continuer à diffuser et appliquer plus ou moins correctement le message originel qui est à la base de la fondation de ces entités, le reste, c’est-à-dire la majorité des associations, s’est englué dans des luttes intestines pour se rapprocher au maximum du lieu de distribution de prébendes et autres privilèges. Le leadership et l’appât du gain finissant par neutraliser les forces internes des associations; ces dernières voient un grand nombre d’entre elles s’auto-dissoudre de facto, avant de passer à la dernière étape, la dissolution sur les papiers.

Des initiales et des acronymes oubliés

Le nombre d’associations, d’organisations de la jeunesse et de la société civile, est si étendu que les initiales de leurs noms finissement par être oubliés des gens, d’autant plus que, sur le terrain, ces organisations sont souvent absentes. En dehors d’un tissu associatif solide, solidaire, maillant densément le territoire national, comment espérer réaliser ce vœu mille fois exprimé par le ministère de l’Intérieur consistant à asseoir une démocratie participative?

Dans la conjoncture financière et économique d’aujourd’hui, c’est pourtant là une des brèches qui s’offrent aux autorités municipales et aux élus afin d’amortir le choc de la crise par le dialogue et la concertation, faisant participer les représentants des quartiers et des immeubles, des sportifs, des clubs culturels,…etc. Cette forme d’initiation de la société civile, en dehors du cadre étroit des partis politiques, est censée être le premier déclic devant préluder à une gestion rationnelle et participative des affaires publiques.

En insistant sur ce volet important de la vie politique, sociale et économique du pays, les autorités se sont, par la suite, rendu compte de la faiblesse, voire de la « camisole de force », grevant le texte du code communal, particulièrement lorsqu’on considère le faible niveau d’autonomie accordé aux collectivités territoriales. Cela déteint immanquablement sur l’ensemble des autres structures, dussent-elles être issues des entrailles de la société et de la jeunesse, comme c’est censé être le cas pour les associations à caractère social, culturel ou professionnel.

Le département de l’Intérieur a sans doute fait preuve d’excès d’optimisme lorsqu’il évalue au tiers la partie active de toutes les associations agréées. Les officiels relativisent l’impact du travail associatif sur le reste du corps social. La preuve, semble-t-on soutenir, ce sont tous ces mouvements sociaux qui manquent d’encadrement afin des les « pacifier » et de les bien canaliser; ce sont ces violences urbaines et scolaires qui n’arrivent pas à trouver une « digue » sociale contre laquelle elles buteraient; ce sont, enfin, ces valeurs perdues du cadre de vie, aussi bien dans les périmètres urbains que dans les zones rurales, que l’on a tout le mal du monde à réhabiliter et à promouvoir.

Même si les dépenses qu’elles effectuent dans le cadre de leurs activités sont encadrées par le contrôle des commissaires aux comptes, il n’en demeure pas moins qu’un grand nombre d’associations ont dévié de leur vocation et consommé des subventions publiques sans incidence positive sur la dynamisation du champ culturel ou social visé par l’objet de la création de l’association.

Le jdanovisme sévit encore

Au lieu de jouer le rôle d’intermédiation sociale et de canal d’expression de la société civile, certaines associations sont des appendices de partis politiques qui font de l’ « infiltration » ou un travail de lobbying dans les universités ou dans d’autres instances stratégiques. D’autres, sont des appendices de l’administration qui n’ont aucune notion de combativité ou d’expression critique. On compte également des acteurs opportunistes qui ne créent d’associations que pour se rapprocher des milieux où se partagent des avantages matériels.

Restent les associations qui mettent la main à la poche pour prendre en charge des problèmes sociaux bien précis (environnement, animation culturelle locale, aide aux malades, assistance aux enfants orphelins, …) ou des créneaux de recherche scientifique ou académiques, lesquelles, paradoxalement, ne bénéficient que rarement des subventions publiques, lorsqu’elles ne pas carrément déclarées « indésirables ». L’expérience des cafés littéraires dans certaines régions de Kabylie- où ont été enregistrées des interdictions intempestives- nous édifie sur la vision étroite et jdanoviste que développent certains responsables administratifs zélés en matière d’organisation de la société civile et d’animation culturelle.

La Constitution offre, dans l’absolu, une place de choix pour le monde associatif. Reste la pratique sur le terrain où, ni la composition humaine, ni l’objectif, ni les pratiques n’arrivent à se mettre complètement au niveau des enjeux du moment: enjeux politiques, économiques, sociaux, environnementaux et culturels. Il semble que l’héritage mental et organique des anciennes organisations de masse- inspirées, adoubées et sustentées par l’ancien parti unique- n’ait pas encore cédé complètement la place à une vision moderne, consacrant l’autonomie de la société civile par rapport au pouvoir politique et par rapport aussi aux réseaux de l’argent corrupteur.

Auteur
Amar Naït Messaoud

 




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