Jeudi 9 novembre 2017
L’Ecole d’Alger et ses avatars
« En matière d’auto-analyse, les archéologues accusent un certain retard, observaient des spécialistes du domaine voici déjà dix ans. Le constat semble toujours d’actualité: crispation et rétivité ou, au contraire, effusion et agressivité ont été les principales réactions de mes interlocuteurs. Que pouvait donc avoir à dire un non-archéologue de l’archéologie ? Ma démarche leur semblait incongrue et illégitime ». Clémentine Gutron
L’article de M. Betrouni consacré à Mouloud Mammeri pose d’énormes problèmes tant du point de vue de l’histoire et que du point de vue épistémologique. Nous retenons tout d’abord que le préhistorien algérien récuse l’idée d’une continuité institutionnelle du Crape lorsque Gabriel Camps et Mouloud Mammeri assumaient respectivement la direction du centre de recherche alors qu’il admet à contrario une rupture épistémologique par l’école algérienne lorsqu’elle introduisit le paradigme de l’aridité à la place de la glaciation pour rythmer l’ordre chronologique de la préhistoire nord-africaine et saharienne. Certes, cette option paradigmatique peut être d’un point de vue heuristique, prometteuse pour la recherche en préhistoire. Mais, les choses ne sont pas aussi simples en Préhistoire, nous avons énormément lu sur l’histoire de la production préhistorique depuis les premiers pionniers jusqu’à ceux aujourd’hui sans être convaincu par la moindre idée d’une création ex nihilo. C’est tout le contraire qui s’est produit en la matière. Les historiens de la préhistoire admettent tous que les sciences sont co-pénétrées et qu’à leur début, elles empruntent à d’autres disciplines, aussi bien la méthode que les techniques avant de forger leurs propres instruments d’analyse ou d’intervention. A tel effet que l’accréditation de la science préhistorique par G. de Mortillet au sein de la société d’anthropologie de Paris est un événement institutionnalisé autant que la reconnaissance de l’ethnologie par les anthropologistes qui sont restés fidèles à la raciologie.
Bref, d’un point de vue purement épistémologique, il est de plus en plus difficile d’agencer les concepts sans leur donner une valeur heuristique qui est elle-même mise à l’épreuve par la vérificabilité. C’est un des canons de l’épistémologie cognitive sinon, il n’y a point de science. En l’occurrence pour qu’une théorie soit considérée de scientifique, il faut qu’elle soit soumise au test de la falsifiabilté sinon on tombe dans l’idéologie. Par ailleurs, d’un point de vue de l’histoire, il n’est pas certain que M. Betrouni soit impartial. Il n’est pas du tout objectif lorsqu’il limite la construction du savoir préhistorique algérianisé à la seule génération qui est la sienne. Nous suivons attentivement le cours des faits du musée du Bardo pour dire qu’il y a bien eu avant cette génération, des Algériens qui ont été formés à la préhistoire par leurs maîtres français. Nous nous référons à la thèse de M. Sahnouni portant sur « l’industrie des galets aménagés du gisement villafranchien supérieur de Ain Hanech » (1983), et par-dessus tout encadré par des français. La liste des personnalités françaises citées dans l’avant-propos est éloquente. Donc, il faut rendre à César ce qui appartient à César. La plupart des historiens admettent que la préhistoire est une création française dont les fouilles commencent dans l’Hexagone bien avant celles qui ont été faites en Algérie.
De plus, l’historique formulé par M. Bétrouni n’évoquent pas les moments décisifs en terme d’innovation des techniques de fouilles (P. Pallary) ni le passage de l’analogie au synchronisme comme mode opératoire de la pensée préhistorique nord-africaine. Ce sont des signes tangibles de la nette démarcation épistémologique qui n’intéressent pas beaucoup le préhistorien algérien. Du coup, le personnage controversé de Gabriel Camps considéré abusivement par J. M Lassère d’historien des Berbères, tient le haut du pavé intellectuel et qu’il faut bien reconnaître qu’il est l’un des plus importants contributeurs à la connaissance de la population nord-africaine et saharienne. Il y a certes des éléments de son travail qui sont devenus obsolètes comme par exemple l’orientalisation par les Pro-Méditerranéens des Capsiens ou l’idée paralysante de la permanence des Berbères. Il va s’en dire que ses travaux sont toujours utiles et ils servent énormément les chercheurs. Il n’y a qu’à voir le nombre de citations le concernant.
Lorsque M. Bétrouni évoque les prouesses académiques de Mouloud Mammeri qui était en tant que directeur du CRAPE dans son rôle d’éducateur, il faut bien admettre que les importantes contributions de M. Mammeri relèvent de l’ethnologie. La consultation des numéros de Libyca parus entre 1968 et 1979 ne donne aucune indication sur des travaux de Mouloud Mammeri en préhistoire mais seulement des comptes rendus des activités du centre cosignés avec des préhistoriens professionnels (Aummasip et Brahimi). Nous admettons volontiers qu’il a été moins prétentieux en tant que successeur de Gabriel Camps que Salem Chaker l’autre Algérien qui a pris la direction de l’encyclopédie berbère fondée par le préhistorien natif d’Algérie. Dans ces conditions et à tour de rôle, la responsabilité acquise ou octroyée aux Algériens, ne permet aucunement d’affirmer que l’algérianisation est un gage de probité intellectuelle.
Nous le savons depuis Gaston Bachelard les énoncés scientifiques tiennent leur vérité de l’accord- toujours provisoire parce que toute théorie est vouée à devenir obsolète- des Savants. Enfin, nous terminons par la question de l’école algérienne de préhistoire. Dans un précédent article, nous avons tacitement admis l’existence d’une continuité entre la fondation par L. Balout de l’Ecole d’Alger et l’actuelle non pas seulement que Mouloud Mammeri a su relever le défi pour maintenir les activités du centre après le départ des préhistoriens français et surtout des dommages subis à la suite de la calamiteuse déclaration du ministre de l’Enseignement supérieur lors du fameux congrès international de sociologie tenu à Alger en 1974 mais que le cadre chronologique formulé par Le doyen Balout est toujours valable. Plus que ça, la plupart des sites préhistoriques ont été découverts par les Français et que toute la terminologie qui leur est afférente a été formulée par ces derniers. Mis à part la dénomination « oldowayen » du site de Ain Hanech par M. Sahnouni, tous les autres restent à l’identique même si quelques découvertes majeurs ont considérablement fait vieillir l’homo sapiens nord-africain ou rapprocher phylogénétiquement le Capsien de l’Ibéromaurisien
F. H.
Bibliographie sommaire
1 – Voir bibliographie utilisée dans notre « Epistémologie de la paléoanthropologie, les revues d’anthropologie et le regard sur l’homme nord-africain et saharien », texte destiné au colloque de Tautavel, 2014.
– Dépouillement des articles de M. Mammeri parus dans La revue Libyca entre 1968 à 1980/81.
2 – Bibliographie G. Camps, www.tabbourt.com
– L’homme méditerranéen, Mélanges offerts à G. Camps, LAPMO, Aix en Provence, 1995.
3- Actes du premier colloque international de la préhistoire maghrébine, CNRPAH,Tamanrasset, 2007.
4 – N. Richard « L’invention de la préhistoire », presse pocket, 1992.
– inventer la préhistoire, Les débuts de l’archéologie préhistorique en France, Vuibert, 2008.