Vendredi 15 février 2019
L’école n’est pas l’annexe d’une zaouïa
Autant l’avouer d’emblée : il est assez ridicule, de nos jours, de vouloir réinventer le fil à couper le beurre pour trancher de la question de l’importance de l’enfance et de l’éducation.
Aussi, garder à l’esprit que « le plus dangereux intervalle de la vie humaine est celui de la naissance à l’âge de douze ans », comme l’annonce Rousseau dans son ouvrage Emile ou de l’Education est suffisant pour demeurer vigilant face à tout ce qui touche, de près ou de loin, les enfants du peuple.
Pourtant, des pratiques en vogues dans nos écoles ne manquent pas de susciter inquiétude et consternation, voire une farouche indignation. Maintenir les prières dans les enceintes scolaires est un chantage compulsif et éhonté qui chante dans les chaumières du pays comme un hibou, de mauvais aloi, déployant ses ailes au-dessus des toits qui abritent l’innocence même incarnée par cette frange dite espoir de la nation.
Repenser l’école, ses missions, sa composante humaine et les moyens de réussir objectivement les attentes de la nation est une équation pleine d’acuité. Avoir le culot de poser cette équation dans son versant intellectuel et politique, et s’entêter à y répondre de façon raisonnable et équitable est le début de la construction d’une école moderne qui s’attache à mettre l’élève en position de penseur.
Puis, en dehors des murs de l’enceinte, il a tout loisir de se consacrer à la méditation sur les mystères du monde en toute sérénité. Il s’agit, en somme, de libérer l’école et l’élève de l’emprise de l’intégrisme religieux et, accessoirement, le mettre aussi à l’abri de l’intégrisme athée.
Officiellement, à l’échelle nationale, aucune enceinte scolaire n’est pourvue de salles de prières. Mais le laisser aller, le clientélisme politique et les barbouzeries nées aux lendemains de l’indépendance, ont vite fait de plonger l’école entre les mains de mouvances islamistes, allant du primaire à l’université, une grave dérive dont le point d’orgue est cette maladive implosion connue lors des années 1980-1990, mettant à feu et à sang, nation et société.
En effet, des cerbères d’un ordre moyenâgeux se sont introduits dans les rouages de l’Etat pour faire de l’école le sanctuaire attitré de leur projection idéologique et sociétale.
Un mélange des genres qui fait désordre ! Effrayer, obliger, terrifier, sont autant d’effraction perpétrés par un corps enseignant croyant bien agir dont l’écho comportemental s’amplifie au fil des années conduisant, in fine, à des traumatismes, frustration, et embrigadement narcissique et amplement fanatique.
La continuité a été imposée par une brochette de clercs fanatisés rêvant de prolonger les programmes des zaouia qu’ils ont fréquentés du temps du colonat en des écoles pour tous. Où l’éducation islamique tient lieu de matière basique, où le respect de l’heure de la prière est assimilé au passage du train qui mène aux délices d’Eden.
Vouloir à tout prix doser les neurones des Algériens, en bas âge de surcroît, est loin d’être un atout pour la démocratie et le salut de toute une nation. Bien au contraire, c’est une erreur manifeste qui conduit, de facto, à embrasser des causes extrémistes, maintes fois condamnées par l’histoire. Mal partir est une réelle assurance de ne jamais atteindre le bon port, celui du progrès et de la prospérité.
A rebours de toute perte de confiance, sonner la relève devient imminent. Car, il est grand temps que l’école soit barricadée de la convoitise de l’intégrisme. Parangon des siècles des Lumières, l’Allemand Friedrich Kant avance, à bon escient, dans ses Réflexions sur l’éducation que « l’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Il n’est que ce que l’éducation fait de lui ». Et quoi de mieux et de plus juste, à l’école, que d’apprendre l’effort et s’y habituer au lieu de prier ou de se résigner… Susciter le désir d’avancer, la curiosité de voir davantage et de comprendre est le rôle dévolu à l’école pour devenir un véritable sanctuaire ou on célèbre le verbe, la découverte et l’altérité. Par respect à la maïeutique de Socrate, il s’agit pour l’enfant de découvrir la nature du monde telle qu’elle est, palpable, prometteuse et agressive. Par la relation de cause à effet, la science est émerveillement, une marche vers la liberté.
Pour l’heure, la liberté est un mot galvaudé, un concept assez combattu par les tenants d’une école très indigente. Pour l’heure, l’école est voulue comme un miroir idéologique par des saltimbanques en mal d’équilibre, toujours à la recherche d’une masse consentante pour conforter leur égo démesuré.
Tant d’aveuglement mérite bien plus qu’une piqûre de rappel, il faut une levée de boucliers des consciences de la République pour sauver, d’abord, la fine fleur du pays et, ensuite, leur avenir qui doit leur appartenir en toute autonomie, et à construire en toute liberté, avec une vraie égalité des chances, et égalité de droits entre les filles et les garçons.
Cessons de tourner en rond et leurrer nos enfants à longueur de saisons. Osons un remède : affranchir l’école de la tutelle religieuse implique rapidement une libération d’énergie créatrice, utile et finalement joyeuse. Osons une catharsis : seule la laïcité peut être un bouclier contre la haine que les doctrinaires religieux s’obstinent à semer dans des serres vivantes que représentent les salles de classe. Osons un défi perspicace : l’école ne doit pas être l’annexe d’une zaouïa, et l’enseignant n’a pas vocation à être sinon la doublure du moins l’obligé d’un imam.
Il faut décoloniser l’école algérienne de la peste intégriste ! Tant d’efforts en valent la peine, il y va de l’honneur d’un pays et du devenir de sa fine fleur.