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L’économie culturelle, atout pour le marché des œuvres ou un champ artistique planté de bornes politico-mnémoniques ?

Les participants de la FIAC 2024 photographiés devant le Palais de la Culture d'Alger.

Les participants de la FIAC 2024 devant le Palais de la Culture d'Alger.


Vitrine ampoulée de la monstration artistique, le Palais de la Culture Moufdi-Zakaria d’Alger accueillait du 05 au 12 mai 2018 près de 180 diplômés et autodidactes disposés à étaler, dans le cadre de la manifestation Le Printemps des arts, environ 500 toiles, sculptures et installations, soit l’éventail pléthorique de techniques, supports ou genres (modernes et contemporains) censés éblouir les publics de la capitale et séduire une pléiade d’acheteurs.

Aux commandes du quantitatif projet, le ministre de la Culture Azzeddine Mihoubi courtisa à l’époque des représentants d’ambassades et du Forum des chefs d’entreprises (FCE), des hommes d’affaires et banquiers, les ministres de l’environnement et des énergies renouvelables ou de l’Éducation nationale, le wali d’Alger et des délégués de la Sureté ou Défense nationales.

Malgré la complétude du panel, son louable investissement aboutira à un flop retentissant puisque seuls 10 % des médiums arborés trouveront preneurs. La cinquantaine de pastilles rouges collées en guise de retenues optionnelles démontrait que les chalands ne s’étaient pas bousculés au portillon de la foire aux vanités prévue pour dynamiser un marché de l’art fonctionnant depuis l’İndépendance en vase clos, au gré des sollicitations interlopes, sans codifications ou conventions établies. Tous les opérateurs concernés y naviguent à vue à cause d’un environnement juridico-administratif inadapté à la libre circulation des œuvres et à la consécration de leurs auteurs.

Or, le but admis de la vaste expo-vente était de consolider, au bout de seulement huit jours, «(…) les règles et bases qui détermineront la véritable valeur du produit artistique.» (Azzedine Mihoubi, in El Watan, 06 mars 2018) arguait alors pompeusement l’instructeur des lieux. Se décrétant par là-même le planificateur du « (…) haut niveau des arts plastiques », il suggérait, d’une part, que les VİP apostrophés pouvaient, par leur unique présence, se substituer à une instance de légitimation réellement fondée et que, d’autre part, les enveloppes des généreux argentiers et subsides des potentiels connaisseurs allaient garantir la juste cote boursière de tel ou tel protagoniste, à fortiori la réussite d’une artificielle kermesse printanière.

Le marché de l’art ne se consolidera pas en Algérie à partir de doxas et croyances naïves ou selon de bonnes dispositions officielles, tout simplement parce que son assise reste constitutive à un réseau de collectionneurs érudits, à un circuit de galeristes professionnels au profil clairement identifié, et appliquant durablement un code de conduite ou une déontologie tarifaire, à des salles de vente régulièrement fréquentées par des bienfaiteurs-tuteurs, mécènes et spéculateurs avisés, éventuellement par les factotums d’entreprises (nationales ou privées) et pouvoirs publics enclins à normaliser une politique d’acquisition. Ce paramétrage alternatif et variable indispensable au maillage fructifiant du marché de l’art n’est toujours pas ensemencé et articulé en Algérie.

Pour cela, il faudrait qu’un sursaut démocratique permette de lever les barrières ou obstacles bureaucratiques entravant l’échange concurrentiel des objets, la notoriété et les gratifications institutionnelles des créateurs. Celles-ci se cristallisent en simultané avec le processus de distinction (que renforce ordinairement la sécularisation des comportements humains), un inventaire d’ouvrages exhaustifs matérialisant une érudition artistique éprouvée théoriquement, dotée de sa cohérence et autonomie critiques puisque forcément déliée des logiques politiques et religieuses.

Effective depuis Juillet 1962, l’instrumentalisation de l’art et de la culture renvoie en Algérie aux blocages d’un régime prémoderne refusant la confrontation ouverte des idées, étapes en dehors de laquelle les prétentions à la reconnaissance égotiste des artistes se fracasseront encore sur le mur d’une légitimité historique dont le réquisit mnémonique incite à ériger les martyrs-héros sur le piédestal de la sacralité révolutionnaire.

Déployé du 09 au 11 décembre 2024 en échos aux célébrations du 70e anniversaire du déclenchement de la Guerre de Libération nationale, le colloque international « Le cinéma et la mémoire » donna justement l’opportunité à l’actuel ministre de la Culture et des Arts, Zouhir Ballalou, de rappeler, pendant la cérémonie ouverte à l’hôtel El-Aurassi, « L’intérêt personnel et l’attention particulière » que porte le président Abdelmadjid Tebboune à la production cinématographique, spécialement celle immortalisant « Les batailles menées par le peuple algérien pour sa liberté et son indépendance ».

Accompagné du président de l’Assemblée populaire nationale, du ministre des Moudjahidine et Ayants droit, du président de l’Observatoire national de la société civile, de la vice-présidente du Conseil de la nation, des députés des deux chambres, des membres de la famille révolutionnaire, d’un émissaire du ministère de la Défense nationale et de plusieurs accrédités du corps diplomatique, le nouveau coopté du Palais Moufdi-Zakaria louera donc le rôle central d’un cinéma de résistance agissant efficacement « dans la formation de l’identité et de la mémoire collective » pour réinterpréter le récit des événements« manipulés par les colonisateurs à leur avantage».

Devenant à ce titre un « des remparts solides pour la sécurité culturelle des peuples, il ne se limite pas à un simple divertissement, mais véhicule des messages forts ».

Sur la même longueur d’ondes, le critique Ahmed Bedjaoui s’appliqua à sublimer le parcours d’un 7ème art d’emblée occupé à défendre la cause algérienne. Avertissant, via sa conférence introductive « Le cinéma au service de la lutte armée entre le passé et le présent », du danger « qui se poursuit aujourd’hui, car la puissance coloniale continue d’utiliser l’image comme outil dans une guerre de communication», l’ex-animateur de « Télé Ciné-club » désirait voir les cinéastes « reprendre le flambeau des responsables du GPRA avec M’hamed Yazid, Chanderli et Mahieddine Moussaoui, pour poursuivre la bataille des images».

Sous-titré « Fenêtre sur le passé et vision d’avenir », le séminaire se conclura sur une série de recommandations portant sur les valeurs mémorielles d’un cinéma de combat humecté des principes de justice à mettre en exergue face aux monopoles et à l’interventionnisme outrancier d’un Occident promouvant des discours néocolonialistes. Pierre angulaire de l’art engagé, le cinéma de la mémoire immuniserait par conséquent contre les pernicieuses tentatives de lobbies cherchant à déformer et manipuler l’Histoire. Consacrer celle de la décolonisation pour mieux préserver les repères de la culture nationale, telle est la tâche que Zouhir Ballalou confie au cinéma de la résilience et du souvenir.

Dix jours plutôt, il interpellait tous les artistes travaillant en Algérie et à l’étranger, les invitait fraternellement à « contribuer à la renaissance culturelle et artistique, par l’instauration d’un marché de l’art qui puisse garantir un climat favorable à la création de richesses ».

Annoncé lors de la huitième édition du Festival d’art contemporain (İFCA), ce vœu pieux a pour corolaire le symposium international « Mécanismes d’activation de l’économie de la culture » du mercredi 08 novembre 2023.

Appuyé par les commentaires éclairés de chercheurs et experts, le recteur de l’université d’Alger 3, Khaled Rouaski, y prônait en effet la rapide modélisation de ses développements structurels, d’investir au sein d’un secteur proclamé désormais en haut lieu « générateur de dividendes » et « catalyseur » pour les autres secteurs économiques.

Dès lors que des directives, émises par des proches conseillers d’El Mouradia (la Présidence), ou à partir d’officines propagandistes, insistaient sur l’intégration de la culture en tant que valeur essentielle dans l’essor de l’économie, les relais médiatiques s’agitaient via des agents-bateleurs métamorphosés en caisse de résonance. Parmi ces apprentis commissionnaires émergera l’opportuniste Hamza Bounoua.

Persuadé que « l’art contemporain contribue à consolider son identité et sert de repère identitaire dans les moments d’incertitude » (Hamza Bounoua, in El Moudjahid, 02 déc. 2024), il inaugurait en septembre 2020 à Chéraga (banlieue des hauteurs d’Alger) la « Diwaniya art Gallery » pour faire connaître des Algériens à l’international et les associer à des confrères arabo-musulmans.

Deux années plus tard, soit le 1er novembre 2022, l’ambassadeur François Gouyette lui rendait une visite de courtoisie.

Réitérant la volonté d’épauler la scène culturelle en général et le design en particulier, de se mettre « plus que jamais à l’écoute des artistes pour accompagner la scène artistique et culturelle en Algérie », le plénipotentiaire français voyait ce jour-là l’exposition Formes arabes (avec les Algériens Lazhar Hekkar, Kenza Bournane, Karim Sergoua, Rachid Djemaï, le Soudanais Rached Diab, le Syrien Khaled El Tekriti et l’Égyptien Mohamed İbrahim El Mesri) étrennée en marge de la célébration du déclenchement de la Guerre de libération (Toussaint 1954) et de la 31e session du « Sommet de la Ligue des États arabes » (1er et 2 novembre 2022).

La date du vernissage coïncidant avec deux importantes actualités, Hamza Bounoua mentionnait que « Nous croyons en l’importance d’accompagner la culture aux côtés de la politique, et notre croyance va vers le rôle de l’artiste envers son pays. Notre conviction réside dans la nécessité de jouer un rôle central dans notre domaine culturel basé sur le rôle politique joué par l’Algérie en rassemblant les Arabes autour d’un même mot, d’une même position et d’une vision unifiée » (Hamza Bounoua, in L’expression, 08 nov. 2022). Remémorant les assertions triomphalistes et envolées lyriques des décennies 60-70, son approche liminaire prorogeait celles des sherpas et apportait en cela sa « contribution au succès de cet événement politique (…) tourné vers l’union des pays arabes ». Par mimétisme idéologique, le flagorneur de l’heure rejoignait des intentions partisanes « que partage la galerie d’art depuis sa fondation » (İbidem).

Nommé mi-janvier 2023 à la Commission de lecture et de soutien aux projets artistiques et littéraires (installée le 17 janvier 2023), Hamza Bounoua devenait l’encarté introduit par les proches d’un président honorant de sa présence la 17e édition du « Prix Ali- Maâchi pour les jeunes créatifs ».

À l’occasion de la « Journée nationale de l’Artiste », préparée au Centre international des conférences Abdelatif-Rahal (CİC, Alger), Abdelmadjid Tebboune distinguait ce jeudi 08 juin 2023 les lauréats des filières cinéma, théâtre, littérature, arts plastiques, musique et danse, soit des comédiens, dramaturges, romanciers, poètes, peintres, sculpteurs, musiciens et chorégraphes.

L’ensemble de la « Famille des arts et de la culture » lui remettait alors en guise de remerciements, et comme « signe de reconnaissance de toute la communauté », une toile d’Hamza Bounoua, le thuriféraire ou caudataire zélé déjà (depuis le lundi 26 décembre 2022) membre du jury du Prix Ali-Maâchi.

Ce patronyme fut d’ailleurs attribué au Lycée national des Arts instauré à Alger le mardi 27 septembre 2022. Annoncé emblème de la relance culturelle globale, le bâtiment pilote d’El Biar (quartier des hauteurs d’Alger) « vise à former une génération d’artistes algériens imprégnés des composantes de l’identité nationale » (Soraya Mouloudji in Le Soir d’Algérie, 30 sept. 2022). Le 1er locataire d’El Mouradia précisait juste avant qu’il « a pour objectif de combler le vide artistique (…), de consolider nos fondements culturels et artistiques (…) en se basant sur nos références culturelles à l’instar du cinéma, le théâtre et la musique » (Abdelmadjid Tebboune, Conseil des ministres, 08 janv. 2023).

Arcbouté au sacro-saint mantra de « Devoir de mémoire », et manifestant un contentement croissant pour le cinéma qui « contribue à façonner l’esprit de l’individu algérien et de la société en général », le chef de l’État paraphait les doctrines propres à « la consolidation de l’identité nationale ancrée dans les profondeurs de cette terre glorieuse arrosée par le sang de nos ancêtres ».

La quadrature du cercle (quête originelle, patrimoine, histoire et mémoire) aiguisant le sens du patriotisme, elle sous-tend la « protection des valeurs culturelles de la nation » et enserre un discernement général prenant les tangentes de l’anti-France.

Aussi, Hamza Bounoua remplaçait la trop francophile dénomination Festival international d’art contemporain (FİAC) par İnternational festival of contemporary pictoral art (İFCA), assurait dès juillet 2023 que sa médiation consistera à canaliser les regards vers des « valeurs identitaires inspirées des profondeurs de l’authentique culture algérienne, transmises depuis des siècles et que la nouvelle génération a le devoir de proroger » (Hamza Bounoua, in El Moudjahid, 22 juil. 2023).

Récitant ou colportant les accents ataviques et souverainistes chers au président algérien, il prévoyait d’amplifier un renouveau inspiré « des abysses de la culture algérienne qui doit être préservée » (Hamza Bounoua in Horizons, 07 août. 2023), faisait preuve d’une telle subordination intellectuelle que la huitième édition de l’ex-FİAC confirmera l’isolement de l’Algérie sur la scène artistique mondiale. İnterrogé le 2 décembre 2024 par un journaliste de l’incontournable El Moudjahid, le complaisant modérateur signalait que l’ « On parle beaucoup en Algérie ces dernières années de l’industrie, de l’économie et de la production du cinéma et des autres arts, mais pas du tout des arts plastiques.

Or, le forum international du dernier festival d’art contemporain a tenté d’asseoir un débat et une plateforme de discussion afin d’étudier la possibilité de développer le marché de l’art algérien pour arriver à une politique qui répond aux besoins du ministère de la Culture et des Arts, à l’économie nationale et aux attentes des artistes plasticiens ».

Communiquer et concrétiser les impératifs ou desiderata dictés au sommet de l’État semble bien être la préoccupation première d’un curateur inexpérimenté plaidant, par flagornerie, en faveur d’une économie culturelle génératrice de gains substantiels. Elle sera au bout du compte probablement moins tournée en direction d’un marché de l’art professionnel porteur de réussites privées que vers un tourisme culturel stimulé à travers la préservation tous azimuts du patrimoine.

Voilà, aux yeux des décideurs une priorité plus à même d’engendrer l’élan durable de revenus sonnants et trébuchants, de satisfaire aux objectifs et prescriptions de rentabilité. Apparu, sous les hospices d’un vieux slogan soviétique, au cœur des colonnes de journaux mainstreams, le leitmotiv « dynamisation de l’économie culturelle » sert de cataplasme à celles et ceux estimant que l’immatriculation au registre du commerce d’une start-up résoudra, d’un coup d’un seul, un passif anti-entrepreneurial occupé, pendant des décennies, à paralyser toute forme d’industries innovantes en mesure de faciliter l’émergence de nouveaux talents.

Parmi ces entreprises individuelles, les galeries d’art sont des espaces intimistes révélateurs ou conducteurs d’univers endocentriques. Selon Sophie Le Coq, ceux-ci résultent d’une coréalisation entre les regardeurs et les artistes, lesquels « revendiquent la paternité de cette production et (s)a transmission (…), participe à la création d’univers sociaux » (Sophie Le Coq, in Les raisons d’artistes : essai d’anthroposociologie sur la singularité artistique, thèse de doctorat, Rennes, 2000).

Autrement dit, jamais complètement neutre, une œuvre d’art concoure à des formulations réciproques socialement partagées (issues des contacts visuels entre spectateurs et plasticiens) que le régime autocratique algérien a constamment voulu brouiller en s’immiscent dans l’énoncé des jugements de goût, en taraudant le champ artistique de protectionnismes essentialistes, en hissant les bastions de la culture authentique menacée, en pervertissant le vocabulaire proprement pictural de mots d’ordre ou postulats lénifiants et exclusivistes, en préconisant la caution identito-ethnique plutôt que la porosité des confluences culturelles, en désacralisant très tôt le « Moi Je » de l’individu créateur, en refusant de l’installer au carrefour des accomplissements sociétaux, en exécrant la posture prophétique ou démiurgique du « prodige » hors du commun.

L’inhibition en Algérie de ce modèle, capable par ses seules facultés transgressives d’apporter de la plus-value à un déjà-là esthétique, de chambouler l’ordre existant, a eu pour incidence notoire l’inaccomplissement du régime vocationnel sous couvert duquel le travail de l’esprit est accepté en tant que pure émanation d’une personne mise en lumière via la récurrence de son nom, la protection juridique de sa signature, l’étalage de sa biographie et l’exploitation commerciale de ses œuvres.

Transiter de l’attention pour celles-ci à l’admiration envers quelques élus triés sur le volet ressort d’un passage en objectivité indissociable du glissement taxinomique opéré à l’intérieur du champ de l’expression du sensible. La passion dévolue à une toile engendrant la presque automatique affection de ou à l’artiste, l’adoubement postcolonial de ce dernier sera occulté de manière à ne pas définir son activité comme hautement singulière, à minimiser l’historicisation de sa vie ou grandeur et, par extension, le cheminement et perspicacité de biens matériels dignes d’être cataloguer au panthéon du cabinet de curiosités.

Le sabordage de ces temporalités aidera à nier l’identité exemplaire et exclusive du producteur-innovateur, visage détaché de la notion d’individuation pour être confondu au sein de la Masse des prolétaires, enrôlé dans la feuille de route de pourfendeurs populistes lui affectant le soin d’animer des slogans, d’illustrer un langage volontariste pimenté d’unanimisme, de connotations tiers-mondistes et anticapitalistes.

C’est à fortiori bien la place centrale à admettre à l’artiste-créateur qui pose problème en Algérie. On lui accorde depuis peu un statut administratif (couverture santé et assurance retraite) mais pas celui affilié à sa faculté intrinsèque de provoquer du désordre mental, c’est- à-dire le soin de cultiver et thésauriser une éthique de singularité.

Dans un contexte dorénavant baigné d’incitations à l’investissement productif, il s’agit moins de subvertir le déjà-vu par du choc visuel et conceptuel que de renouer avec les aperceptions de l’authenticité révolutionnaire et patrimoniale, d’exécuter les mimiques du maquisard et les stéréotypies de l’exotisme de bazar, d’acclimater le tropisme de retour aux sources à ce post ou néo- orientalisme auquel une clientèle algéroise s’est éminemment convertie. Les galeries Mohamed Racim, Mohamed-Temmam et Aïcha Haddad (toutes étatiques puisque gérées par l’établissement Arts et Culture de la wilaya d’Alger) inondent à longueur d’année leurs cimaises de peintures pastichant celles dites pittoresques du début du XXème siècle.

Elles affectionnent entre autres les panoramas bucoliques ou champêtres des quatre coins du pays, les tenues traditionnelles des hommes et femmes du sud saharien, les bijoux artisanaux de musulmanes assises au milieu de leur architecture ou ruralité séculaires, des casbahs et citadelles revues sous tous les angles, autant de facettes symboliques auxquelles se mêlent parfois les portraits de moudjahidine ou les configurations du sanctuaire des martyrs.

La prégnance de cette imagerie idéologiquement promulguée via le paradigme de renouveau dans ou par l’authenticité révolutionnaire et patrimoniale formate les accoutumances de néophytes peu habitués à voir les œuvres expérimentales ou disruptives de performeurs et installateurs aujourd’hui en nombre très restreint au sein du paysage artistique algérien.

Hamza Bounoua leur certifie qu’il peut maintenant efficacement les y repositionner, combler parallèlement les destinataires de l’art moderne et contemporain en réussissant notamment à « bâtir le socle du marché de l’art en Algérie », en réclamant conjointement la dissipation des lourdeurs juridico-administratives qui bloquent le transfert économique des œuvres et l’exonération ou l’allègement des taxes imposées aux galeristes. À ses yeux, une des primautés de l’ İnternational festival of contemporary pictoral art (İFCA) a été de répertorier et divulguer les attentes légitimes des artistes par le biais d’un débat constructif, mais aucun acte ne synthétisera la série de conférences programmées à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d’Alger (ENSBA) autour des diffusions et enjeux du marché de l’art contemporain.

Sans contrats stables, les plasticiens algériens ne bénéficient pas encore vraiment d’un identifiant fiscal les autorisant à déclarer leurs revenus et à, concomitamment, s’émanciper des contraintes environnantes grâce à l’exportation à l’international d’œuvres susceptibles de leur rapporter une marge bénéficiaire.

À ce stade, une des latentes problématiques réside dans la difficulté à cerner la valeur marchande d’une création en l’absence de ces baromètres que sont les historiens et critiques d’art habilités à interroger ses soubassements affectifs, à enraciner les pertinences discursives et herméneutiques d’un dispositif mental, à affiner les séquences monographiques et grilles de lecture motivant l’élection citationnelle des têtes de gondoles de l’art contemporain, de surcroît de son marché.

L’exigence de particularité et de modernité oblige à davantage polariser les préférences sur les figures de l’excellence plastique, à se focaliser sur les hétérodoxies d’agitateurs décidés à s’affranchir durablement des pesanteurs hagiographiques écrasant les trames imaginaires et plombant les thématiques ampliatives réfléchissant autre chose que les prestiges du héros-pur mort au front ou les clichés polychromés de l’Algérie d’antan.

Lesdits profanateurs doivent pareillement comprendre que mettre à la direction d’une biennale un courtisan accaparé à répliquer machinalement les narratifs officiels et qui, malgré l’absence de diplôme (pas même celui de l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger), ambitionne de poser la cruciale « question des conditions et de la nécessité de l’art contemporain en Algérie » (Hamza Bounoua in Horizons, 07 août. 2023), demeure un choix antinomique ou incompatible avec les précieuses perspectives et sérieux ajustements à allouer au marché de l’art algérien.

Tentant de tarauder son marasme, le journaliste Salim Mesbah conviait le 23 novembre 2020, dans les locaux de « Radio M », la curatrice Myriam Amrous et Khaled Bouzidi, directeur de la plate-forme culturelle « Rhizome » située au 82 rue Didouche Mourad à Alger.

Filmée, la séquence de trente minutes posait l’épineuse problématique : « Une œuvre d’art est-elle un bien culturel ou une marchandise ? ». Tenue à bâtons rompus, la discussion aborda les points prépondérants touchant à la politique intrusive d’un ministère de la Culture incité « à revoir le taux d’imposition (20% et 80% avec les taxes) et à réguler une meilleure transparence du marché », à épauler la standardisation d’un syndicat de galeristes professionnels, à ce jour non opérationnel sur le marché des transactions internationales.

Aux questions sur les associations ou structures indépendantes suivront ensuite celles s’intéressant davantage à la cote d’œuvres à exhiber en Algérie et en dehors du territoire national, à leur format et achat par les institutions, entrepreneurs, professions libérales, retraités etc…, à la fidélisation de collectionneurs les appréhendant comme émotions intellectuelles, valeurs refuge ou investissements financiers.

Si le manque de papier de qualité freine leur vulgarisation, il sanctionne aussi la promotion évolutive d’un artiste-créateur en besoin de visibilités. Cette lancinante préoccupation fut à l’origine de la rencontre-débat organisée le samedi 19 octobre 2024 à la galerie Guessoum d’Alger, là où le débat se focalisera sur l’interrogation subsidiaire : « Existe-t-il un véritable marché de l’art en Algérie ? ».

Convaincu de son absence d’envergure et anarchie, Karim Sergoua, le chargé des expositions et projets à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d’Alger (ENSBA), implorait encore l’État, ce « Grand Tout Omniprésent » supposé accomplir les tenants et aboutissants « d’une véritable politique culturelle bien claire avec des lois précises » (Karim Sergoua, in El Watan, 21 oct. 2024).

Lui déléguer ce type de responsabilité, c’est méconnaître le processus dialectique et interactif qui, en dehors de ses prérogatives institutionnelles, instaure les maillons connexes d’une chaîne globale appelée le Monde de l’art. Concernant autant les créateurs, galeristes, conservateurs de musées que les collectionneurs avertis, il réunit un ensemble d’acteurs directement impliqués dans le système d’offre et de demande. Que l’État algérien soit, non le primordial, mais un des acquéreurs-protecteurs, présume que ses commissions d’achat convoquent les experts sachant argumenter l’importance de telle ou telle toile, sculpture, vidéo, photographie ou installation.

Seulement, il faudrait que ceux-ci puissent publier les histoires de l’art affranchies des coupes réglées d’un régime réductionniste. Ses cellules de communication perfusent les journaux satellites des entendements à retenir et à drainer, compactent les respirations cosmopolites d’artistes poussés à se retrancher sur les zones de confort de l’authenticité culturelle, cultuelle, patrimoniale ou révolutionnaire. Seule une véritable liberté d’expression, de création et de conscience délivrera l’embryonnaire marché de l’art des nœuds gordiens de l’inquisition politico-religieuse. Aborder ses problématiques en niant cet impératif majeur, c’est laisser le terrain appréciatif aux derwiches tourneurs de la pensée coercitive.

Le quatuor (Karim Sergoua, Mustapha Nedjai, Moncef Guita et Rachid Nacib) du 19 octobre 2024 n’a pas eu l’audace et la présence d’esprit de mettre les pieds dans le plat qui concentre tous les empêchements (cognitifs, éducatifs, herméneutiques, perceptifs etc…). Manquant également de clairvoyance ou sagacité philosophico-sociologique, la peintre Mounia Lazali s’en remettait, dans le quotidien El Moudjahid du 20 décembre 2024, aux raisonnements de l’État-bienfaiteur, fer de lance de l’enviée économie culturelle, et gratifiait la Foire d’art contemporain dont elle fut la commissaire principale.

Se déroulant pendant 48 heures au domicile de l’ambassadeur de l’Union européenne, Diego Mellado Pascua, elle regroupait, dès le jeudi 12 décembre 2024, une soixantaine d’œuvres variant entre plusieurs pratiques et compositions, affirmait une meilleure exploitation des atouts et diversités de l’art algérien, célébrait le talent et l’innovation tout en favorisant le dialogue entre professionnels et amateurs d’art, entre les mentors confirmés et les talents en devenir. Proposant d’autres conjectures aux plasticiens Ammar Bouras, Mehdi Djellil, Maya Benchikh Lefgoun, Yasser Amer, Abderrahmane Salah et Sadik alis Reda Harzalaoui, le court rendez-vous festif aspirait à « un véritable marché de l’art aligné sur les exigences internationales» (Mounia Lazali, in El Moudjahid, 13 déc. 2024) et initiait une table ronde regroupant au siège de l’Union européenne des critiques d’art et collectionneurs, les galeries « XBM Studio » et « Seen Art Galerie », tous sollicités pour discuter de « L’art contemporain en Algérie ».

Dans ce pays, la locution « art contemporain » n’implémente pas le mode conceptuel congédiant celui dit perceptif des avant-gardes de l’art moderne ; une peinture, sculpture, vidéo ou photographie rejoindra le registre ou genre « art contemporain » dès lors qu’elle commence et se termine au présent d’un aujourd’hui, qu’elle a comme durée intellective le hic et nunc (l’ici et maintenant) de l’acte créateur. Autrement dit, une toile parodiant celles des orientalistes de la fin du XIXème siècle ou du début du XXème siècle sera à saisir aussi contemporaine qu’une installation assimilée aux transgressions des Nouveaux-réalistes français ou réinitialisant le minimalisme des İtaliens de l’Arte povera.

Lorsqu’au début de la huitième édition de l’İnternational festival of contemporary pictoral art (İFCA), le ministre de la Culture et des Arts, Zouhir Ballalou, saluait « les artistes algériens (…) qui œuvrent à servir l’Algérie, à défendre sa culture et son authenticité », il incorporait paradoxalement ceux venus conjoncturellement de France et d’Allemagne à la temporalité algérienne puisque la manifestation du moment était appréhendée par lui comme une « (…) étape importante dans l’histoire de l’art, une renaissance culturelle et artistique (…) pour l’instauration d’un marché de l’art favorable à la création de richesses » (Zouhir Ballalou, in El Moudjahid, 27 nov.2024). Ayant pour thème porteur « Pour un nouvel héritage », elle n’a fait que prononcer à nouveau le faussé séparant ces décalés de la périphérie, que sont toujours les artistes locaux, de leurs homologues européens inscrits dans le continuum discursif d’historiens, chercheurs, universitaires ou analystes.

Directement impactés par l’entrisme politique de ministres de la Culture se consacrant à l’homologation des mémoires de la Révolution anticoloniale et à la sauvegarde du patrimoine, les intervenants de la contemporanéité augmentée souffrent des déficiences et défaillances d’intermédiaires démagogiques certains de détenir la clef qui les fera sortir des codex du figé.

En prorogeant les éléments de langage enjôleurs, Hamza Bounoua endossait moins l’habit du curateur aguerri voué à impulser les ressorts positifs du marché de l’art contemporain que celui du petit commissaire politique en mission pour galvauder le mémorandum médiatique et cathodique que les laboratoires idéologico-sécuritaires pilotent en sous-main et adressent périodiquement aux rédactions d’une presse servile contrainte de réactiver les réflexes anti-français.

Clôturée le 15 novembre 2022, son exposition Formes arabes fut logiquement annoncée en arabe mais aussi curieusement en anglais, une préférence dictée en amont par les influenceurs phosphorant la féroce volonté de limiter à une peau de chagrin le legs idiomatique de l’ancien envahisseur intrus. Commémorant à outrance les victoires vécues à ses dépens, l’armée recompose les phases glorieuses du roman national, pianote sur les touches de la fibre patriotique, de la non-récusable ou non blâmable lutte anticoloniale.

Elle en profitera dès lors pour réintroduire au sein de l’hymne national le couplet ranimant les rancunes anti-françaises, multiplier les diatribes à l’encontre de l’ennemi héréditaire, lui faire avaler ou ingurgiter, via les notions de contrition et repentance, les ressentis de son passé et passif dominateurs.

Dans le souci inavoué de mieux camoufler sa nature répressive, le pouvoir accuse du côté cour la France de tous les maux et enferme arbitrairement du côté coulisses les auteurs d’articles hostiles à ses raccourcis dictatoriaux. Ces prisonniers d’opinion sont aujourd’hui les victimes expiatoires de la vaste ablution orchestrée sous couvert de l’illusoire slogan de « Nouvelle Algérie » né en résonance à celui tout autant anesthésiant de « Hirak Béni ».

La pernicieuse récupération, par les appareils policiers interlopes, de l’ample mouvement de contestation apparu en février 2019 a eu, après celles de 1965, 1968, 1973, 1979, 1988, 1992, 2000 et 2010, pour conséquence directe l’énième vague de départ de 2020, et avec elle la fuite d’une élite plutôt francophone ou francophile, la plus adepte à succomber à l’achat salvateur des œuvres du marché de l’art contemporain. Chaque exil répété l’a, à chaque fois, considérablement affaibli et ce n’est certainement pas l’adoption de l’anglais comme langue d’enseignement privilégiée à l’université, ou chez les fonctionnaires des administrations et sociétés nationales, qui arrangera ses affaires.

Opter en faveur de l’idiome de Shakespeare en vertu de la mondialisation des échanges commerciaux et se dispenser corrélativement des apports de la culture française, jusqu’à la prohiber à celles et ceux fréquentant des collèges ou lycées privés, c’est délibérément nuire à l’apprentissage exhaustif de jeunes Algériennes et Algériens espérant pouvoir accroître leurs connaissances artistiques dans les instituts implantés de l’autre côté de la Méditerranée.

Le taux expansif de postulants qui la traversent, en avion ou en bateau, corrobore une soif accrue de capitaliser les bagages cognitifs remédiant aux lacunes avérées des enseignants de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d’Alger (ENSBA) ou de ses annexes régionales.

En prescrivant la mort idéologique de la prétendue tutelle culturelle et éducative de l’Hexagone, les dignitaires algériens empêchent insidieusement ces étudiants en art de profiter de l’accord du 27 décembre 1968 leur offrant de favorables conditions d’intégration en France. Une fois le visa de plus de trois mois en poche, ils bénéficient de facto d’un certificat de résidence puis, suivant l’automatique reconduction et prolongation juridiques, d’un titre de séjour effectif au bout de 12 mois. Obtenir le graal de la pérenne régularisation paraît être le but ultime et compréhensible après l’espoir de démocratisation du paysage politique qu’incarna momentanément le Hirak algérien.

La brutale reprise en main de la pseudo-révolution signifiait que, résolu à camper sur d’onéreux privilèges, à manœuvrer autant les fluctuations mémorielles que des patrons de journaux dépendants de la manne publicitaire, ou des magistrats en stand-by promotionnel, le système militaro-industriel clanique et affairiste allait faire des empêcheurs de tourner en rond les adversaires (endogènes et exogènes) à neutraliser ou à abattre.

Ses chimériques soupçons et paranoïas exacerbées ont conduit des dizaines de plasticiens en herbe à migrer vers un ailleurs plus propice tant il n’y a hélas plus rien à attendre des promesses de mandataires s’ingéniant à séquencer l’agenda d’une oligarchie autocratique contrôlant l’ensemble des circuits ou réseaux économiques, indéniablement ceux du marché des œuvres et d’un champ artistique balisé de préventions politico-mnésiques et patrimonialo-nationalistes.

Saadi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture

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