Mardi 26 mars 2019
Lecture et perspectives des événements en cours en Algérie
Jusque-là, le mouvement qui est en marche, qu’on l’appelle révolte, révolution ou bien Hirak, a prouvé son efficacité et sa consistance, voir sa grandeur.
D’abord, c’est un mouvement pacifique, fermant les portes aux agitateurs et aux provocations qui agitent des emblèmes macabres, incitant à la violence, et qui peut être d’un péril dévastateur. Ce n’est pas les exemples qui manquent, à l’instar de la Libye ou bien de la Syrie, ni même les provocations des apprentis sorciers, à l’image des criminels sadiques qui nous gouvernent, et surtout pas les officines occultes qui n’ont de cesse que de comploter à l’ombre et d’innover mille et une recettes pour imposer la mainmise de la banque sur ce qui lui échappe encore de la richesse des peuples. Quitte à mettre à feu et à sang tout ce qui peut se dresser en travers de leur chemin. L’humour, l’art, les allures de célébration, de fête ou même de carnaval parfois, ont prémunis le mouvement contre les débordements pour le moment. Pourvu que ça dure.
Tout ce qu’on voit, dans la forme et dans le fond, nous permet de parler d’un mouvement qui n’est pas discriminatoire. Au contraire, voici une occasion pour ce peuple de fédérer par la base autour de revendications communes, et de pouvoir enfin envisager un vivre ensemble en commun, et qui va permettre à tout un chacun de ne pas se sentir lésé ou bien comme étant un citoyen de deuxième zone.
L’expression de la diversité du peuple, à travers ses actions, a permis de briser bien des murs dressés par ce pouvoir pendant toutes ces années. Un pouvoir paranoïaque et obsédé par sa pérennité, semant dans le peuple, les graines de la politique de diviser pour régner. Recrutant, au sein de ce même peuple, ses politicards et ses relais mercantiles pour semer la zizanie entre les citoyens. Favorisant les disparités, faisant feu de tout bois pour aiguiser les tensions afin de dresser les uns contre les autres. Alors que ce mouvement a pu transcender, par ses valeurs, beaucoup de divergences artificielles; différents drapeaux sont brandis dans les mêmes espaces.
Des messages sur des pancartes rédigés dans plusieurs langues, voir très osés dans bien des cas. Des messages, des slogans et des chants dans toutes les langues, mais aussi dans toutes les variantes des langues parlées en Algérie, scandés et chantés dans les mêmes endroits et aux mêmes moments. La présence massive des femmes dans la quasi-totalité des manifestations en est un exemple extraordinaire, mais aussi frappant, vu ce qu’elles subissent chaque jour dans notre société.
Et bien sûr la cerise sur le gâteau, c’est les images des enfants en marche. Des petits pas qui sèment un vent apaisant, tranquille, mais qui nous refuse toute rédemption pour se laver de notre grand péché; celui d’avoir trop attendu pour se réveiller de notre aliénation et sortir pour réclamer notre espace. Un vent qui parfois nous caresse par l’innocence de ces anges, mais qui nous fait frissonner aussi pour nous inciter à envisager l’avenir avec plus d’intérêt, plus de sérieux et plus de sérénité.
Voici un mouvement qui n’obéit pas à la tradition du leader qui ordonne, et des soldats qui exécutent; du zaïm qui prêche, et des adeptes qui se conforment; du gourou qui détient la vérité absolue, et des gourés qui s’aliènent, s’adonnant corps et âme pour satisfaire jusqu’à la dernière de ses volontés. Les gens vont marcher de leur propre gré. Ceux qui refusent d’y aller ne sont pas inquiétés par les autres.
L’un des plus vieux arguments de ce pouvoir pour se légitimer, est de prétendre n’être aux manettes que pour le bien du peuple ainsi que pour le protéger des dangers imminents qui le guettent, notamment celui de la main étrangère et celui de l’extrémisme islamiste. Il serait inconcevable de voir ce peuple lutter contre ces pratiques dictatoriales, d’un côté, et risquer de reproduire la même schéma, de l’autre côté, en donnant les règnes de ce mouvement à des personnes qui vont parler en son nom et qui vont s’octroyer une légitimité pour aboutir au même système tyrannique et totalitaire que celui de cette mafia qui gouverne aujourd’hui. D’autant plus qu’il n’y a personne en ce moment, entre tous les opposants et tous les chefs de partis, qui pourrait faire l’unanimité pour parler au nom de tout le monde.
D’autre part, ce pouvoir est corrupteur, et d’éventuels portes paroles n’y seront pas à l’abri, ni d’ailleurs à l’abri des compagnes d’intoxe et de discréditation que mènent les services de ce pouvoir à travers les médias et sur internet. Par conséquent, il est indispensable de tout faire pour que le mouvement ne soit pas détourné de ses objectifs et ne s’effrite pas pour devenir des petits ensembles disparates avec des risques d’une guerre fratricide.
Il y a un dicton en Kabyle qui dit ceci: “Aveugle, qu’est ce qui te manque? La lumière », répondit-il. Le but est de faire tomber le pouvoir, le régime, le système; je ne vois aucune force, aucune organisation qui pourrait faire mieux que ce que ce mouvement est entrain de faire.
On ne doit parler de transition, qu’une fois que tout ces gens qui détiennent le pouvoir seront mis à l’écart et hors d’état de nuire, pour ne pas porter préjudice à la nouvelle organisation qui devra se mettre en place.
Les mesures à prendre à partir de là, devraient commencer par la désignation d’un gouvernement de technocrate pour faire marcher les affaires courantes du pays.
Création d’une assemblée constituante où toutes les franges de la société dans toute sa diversité, seront représentées d’une manière équitable. Les débats devront êtres retransmis en direct par les journalistes et notamment par la chaîne de télévision publique. La principale question à discuter, au premier lieu, doit être la refondation de l’etat algérien. Pour ne pas reproduire ce système totalitaire qui a gouverné avec une main de fer depuis l’indépendance pour imposer une pensée unique, Il faudra trancher dès le départ sur le type de l’état et de l’organisation administrative qui pourront garantir une nouvelle Algérie apaisée, épanouie, et en accord avec son histoire et ses composantes socioculturelles.
Une Algérie qui sera sans doute, plurielle, multiculturelle, démocratique, populaire, et qui sera représentative de ses citoyens sans distinction aucune, ni par le sexe, ni par la croyance, ni par la langue, ni par l’origine ou bien la couleur de la peau. Garantissant les libertés individuelles notamment, la liberté d’expression, la liberté de culte et préservant aussi les éléments qui fédèrent les Algériens en interdisant qu’ils soient employés à des fins politiques, que cela soit la religion, l’identité, la langue, ainsi que notre histoire en commun et ses symboles. Il faudra aussi déterminer le rôle des contres-pouvoir ainsi que la séparation des pouvoirs: législatif, exécutif et judiciaire.
Une fois que cette constituante aura tranché sur ses grandes orientations, il sera très aisé de rédiger une constitution ainsi que les différentes lois organiques notamment, celles qui doivent réglementer des élections libres et transparentes.
Ceci dit, il est encore précoce pour crier victoire et parler de transition. Ce système, même s’il paraît déstabilisé et en difficulté, est loin d’avoir dit son dernier mot. Il est encore bien ancré et prêt à tout pour demeurer sur place et ce n’est pas les soutiens à l’étranger qui lui manquent.
Cependant, il est certainement important de commencer à faire valoir et à valoriser les acquis actuels de ce mouvement. Tout laisse à croire qu’on a aboutit à un point de non retour en arrière. Les langues se sont déliées, beaucoup d’espaces ont été reconquis et libérés. La presse peut parler plus librement enfin, et le peuple commence à retrouver ses marques en se réappropriant ce qui lui appartient.
L’éruption de ce volcan populaire déversant ses laves tant refoulées pendant de longues années saura permettre au peuple de s’exorciser des ses démons pour faire évacuer les traumatismes des tragédies passées. Une énergie de renouveau alors, pourra prendre place, et si elle est bien canalisée, elle pourra aboutir à la construction d’un avenir radieu pour l’Algérie.
Il nous appartient tous, désormais, de préserver ces acquis et de les investir pour arracher encore plus de droits et pouvoir enfin se libérer du joug de ces oppresseurs. Il nous faudra rester mobilisés et intensifier le mouvement dans la même dynamique, pacifique, joyeuse et dans l’unité. Il faudra aussi se préparer à avoir le souffle long car il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Il serait peut-être aussi judicieux de faire recours à des actions ciblées, en parallèle avec les manifestations de rue, qui pourraient mettre plus en difficulté ces parias qui gouvernent, par exemple commencer à instruire des affaires de corruption et de détournement avérées en justice.