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L’effet Asch et l’immunité intellectuelle 

L’effet Asch et l’immunité intellectuelle

La psychologie sociale de Solomon Asch (1956) (1) a montré à quel point le comportement humain est conformiste et irrationnel.

En effet, dans l’expérience de Asch, les sujets testés devaient désigner avec d’autres qu’ils croyaient sujets tout comme eux, alors qu’ils n’étaient en fait que les complices de l’expérimentateur, le segment de droite parmi trois possibles qu’ils jugent identique à un quatrième situé à gauche. Le groupe était disposé de manière à ce que les sujets testés répondent toujours en dernier. A priori, la tâche est élémentaire. Mais la surprise fut grande ! Certains sujets testés se sont ralliés à la fausse réponse donnée par les complices.

Selon Chomsky (2002) (2), cette expérience peut recevoir une interprétation inverse. L’auteur s’est interrogé sur le degré de justesse de la décision des sujets testés en la renvoyant au droit de tout un chacun à exploiter toutes les informations dont il dispose. Au point même de faire des choix qui vont à l’encontre de l’évidence !

On comprend dès lors pourquoi afficher une constance dans les positions prises et qui sont contraires au conformisme radical, monnaie courante de nos jours, demande souvent un effort considérable. On comprend également pourquoi il est difficile de rester empereur en présence des avis contraires sinon conformistes. Il faut donc une sacrée dose de confiance en soi pour défendre son point de vue envers et contre tous.

Toutefois, on doit se garder de toute dévalorisation du conformisme, car celui-ci devient problématique à partir du moment où, tenant compte du temps et de l’évolution des choses, il n’est guère immuable aussi bien dans sa forme que dans son esprit. Cela fait admettre qu’un conformisme rationnel orienté peut constituer un facteur de cohésion sociale et vecteur même de reproduction intelligible des modèles et usages sociaux nécessaires à la durabilité du groupe.

Être conformiste rationnel signifie aussi se distinguer de par sa faculté de discernement entre le bien et le mal par rapport toujours à l’intérêt du groupe. Être conformiste rationnel veut dire dénoncer le suivisme aveugle susceptible de réduire la communauté à un simple conglomérat d’individus qui se disputent le terrain. Être conformiste rationnel, c’est être tantôt positif, tantôt négatif à l’égard des opinions autres que la sienne selon qu’elles observent ou pas les critères de la rationalité.

« Bref, je défends un conformisme dont l’essence relève du non-conformisme. »

On se comportant de la sorte, l’individu cultivera son immunité intellectuelle qui doit, si besoin est, renaître plusieurs fois, telle l’immunité naturelle face aux infections de nature virale ou bactérienne. Cette immunité intellectuelle aura pour tâche de sécréter les anticorps indispensables pour contrecarrer systématiquement un temps si capricieux ou rien n’est permanent, sauf le changement.

H. Belkacem, ENS de Sétif

1. Bond, R., & Smith, P. B. (1996). Culture and conformity: A meta-analysis of studies using Asch’s (1952b, 1956) line judgment task. Psychological bulletin, 119(1), 111.

2. Chomsky, N. (2010). Pour une éducation humaniste. Paris : L’Herne.

Auteur
H. Belkacem, ENS de Sétif
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