Le pouvoir algérien légalise l’importation « du cabas » sous couvert d’intégrer l’informel. Mais au même moment, il renforce les blocages bureaucratiques et bancaires pour les véritables opérateurs économiques. Une stratégie du contournement érigée en politique économique, révélatrice d’un pouvoir à court d’ambition.
Le 29 juin 2025, la légalisation du commerce dit « du cabas » est devenue effective, avec la publication du décret exécutif fixant les modalités d’exercice de cette activité par les auto-entrepreneurs.
Lors d’un entretien diffusé samedi soir avec trois journalistes, le chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune a affirmé que cette mesure visait à intégrer l’économie informelle dans l’économie réelle et à contenir l’importation parallèle. Selon lui, “l’importateur du cabas devient un agent économique reconnu”, désormais autorisé à exercer sans crainte, tout en contribuant, par le paiement des taxes et des droits de douane, aux recettes nationales.
Présentée comme une avancée stratégique, cette décision s’inscrit en réalité dans une logique d’accompagnement de ce que le pouvoir ne maîtrise plus. Ce n’est pas une réforme économique : c’est une légalisation de l’impuissance. Ce que l’on nomme désormais « micro-importateur » n’est pas soutenu pour produire, innover ou exporter. Il est simplement toléré, puis intégré, pour mieux encadrer ce qui lui échappe.
Le cabas, symbole d’une économie de survie, devient ainsi une ligne officielle de la politique économique. Cette reconnaissance n’est pas une revalorisation, mais une gestion du désordre. On ne transforme pas l’informel : on s’y adapte. On n’en sort pas : on l’institutionnalise.
Et pendant qu’on habille le cabas de légalité, les véritables opérateurs économiques, eux, se heurtent à de nouveaux obstacles. Le 9 juillet, une note de l’Association des banques impose aux entreprises un “programme prévisionnel d’importation” validé par le ministère du Commerce avant toute domiciliation bancaire. Autrement dit : plus de paperasse, plus de barrières, plus de découragement pour ceux qui veulent produire ou investir légalement.
Ce déséquilibre est le cœur du problème. À défaut de créer, on autorise à ramener. À défaut de bâtir un tissu productif, on simplifie l’importation à l’échelle individuelle. Le pouvoir fabrique un modèle économique paradoxal : il encourage l’économie du cabas tout en verrouillant celle de l’entreprise.
Cette politique à double vitesse n’est pas un accident. Elle reflète une volonté plus profonde : maintenir un équilibre précaire entre un discours de régularisation et une pratique de contrôle. Offrir un débouché légal à une économie de survie permet d’acheter, à bas coût, une forme de paix sociale.
Mais dans le même temps, le verrouillage de l’entreprise par des barrières administratives toujours plus opaques n’obéit à aucune rationalité économique. Il relève d’un réflexe autoritaire : garder le contrôle, empêcher l’autonomie, brider toute initiative qui échapperait à la tutelle de l’État.
Le chef de l’État parle de transparence et de régularité. Mais aucune régularité ne peut reposer sur un système qui étouffe les producteurs, décourage les entrepreneurs, et encadre les petits importateurs sans stratégie industrielle. Ce n’est pas l’intégration de l’informel dans l’économie réelle que l’on observe, mais sa normalisation comme horizon politique.
Le cabas, devenu légal, incarne cette contradiction : il raconte l’ingéniosité des citoyens autant que le vide des politiques publiques. Il devient un substitut à la stratégie industrielle, un palliatif déguisé, un cache-misère économique. Et c’est cette tentation de faire du provisoire une politique durable qui doit nous alarmer.
L’Algérie mérite mieux qu’un bricolage légal de sa précarité. Elle mérite un pouvoir qui ose investir dans la production, soutenir la création de valeur, et donner aux jeunes autre chose qu’une frontière à franchir et un sac à remplir.
Mohcine Belabbas, ancien président du RCD
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