Depuis l’ouverture politique arrachée au prix du sang, chaque président s’est employé à une refonte complète du dispositif juridique encadrant cette ouverture et le pluralisme politique.
Mais loin de consolider la démocratie, ces réformes successives ont renforcé la mainmise autoritaire du pouvoir, resserrant davantage l’étau sur les libertés politiques, syndicales, d’expression et d’information. Par un durcissement du cadre législatif, le pouvoir cherche à colmater ce qu’il perçoit comme des « failles » dans le système par où pourraient surgir de nouvelles secousses politiques et sociales.
Par un enchaînement des réformes, accentuant le caractère répressif des lois, chaque dirigeant, à grand renfort rhétorique, prétend œuvrer pour la consolidation d’une démocratie « authentique ». Mais l’objectif inavoué demeure la neutralisation de toute opposition démocratique et l’écartement de toute perspective d’une alternative démocratique.
Dans la continuité de cette logique, le pouvoir pousse la dynamique à son paroxysme, allant jusqu’à asséner le coup fatal au pluralisme déjà résiduel et à une démocratie qui, jusque-là, n’existait que comme façade.
La stratégie de préservation du système repose sur un postulat suivant : face à un peuple réclamant des droits, il convient de restreindre davantage les espaces de liberté qui lui permettent d’exprimer ses revendications. Le procédé est de façonner, en surclassant la légitimité populaire par une légalité factice, un cadre juridique qui, sous ces apparences de légalité, entérine la confiscation du pouvoir
Ce processus qui va à l’encontre des aspirations démocratiques ne peut se déployer sans un usage systématique de la répression, laquelle joue un rôle central dans le maintien du système. L’instrumentalisation de la justice et des organes de coercition étatique est manifeste.
Le principe de la souveraineté nationale est brandi comme bouclier contre tout reproche à son outrance. Ce faisant, il ignore les engagements internationaux souscrits par l’Algérie, notamment les clauses politiques qui s’y rattachent à l’accords d’association avec l’Union européenne.
L’avant-projet de la loi sur les partis politiques illustre à lui seul toutes les dérives liberticides du régime. Présenté comme un instrument de consolidation du pluralisme, ce projet de loi poursuit en réalité des objectifs diamétralement opposés à ceux affichés dans l’exposé des motifs. Sous couvert de consolider la démocratie et d’élargir l’exercice des libertés politiques, il vise essentiellement à verrouiller davantage le champ politique et à réduire toute marge d’expression indépendante.
Tout d’abord, ce projet maintient la subordination de l’activité partisane à l’agrément préalable délivré par une administration inféodée au pouvoir, enterrant ainsi la promesse d’un régime déclaratif pour la création de partis politiques. Il prévoit même de durcir les conditions de création des partis, notamment en matière de représentativité, sous prétexte de limiter la prolifération de petites formations politiques et de garantir une représentation authentique des citoyens.
Or, dans une véritable démocratie, c’est plutôt le mode de scrutin, la loi électorale et le vote des électeurs qui doivent façonner le paysage politique. La réforme de ces deux textes favoriserait à la fois une meilleure intégration nationale et le rôle prépondérant du vote dans la structuration du champ partisan, laissant aux électeurs le soin de décider quels partis perdureraient et lesquels sont voués à disparaitre.
Le maintien du mode de scrutin actuel et d’une loi électorale biaisée, pendant que l’on révise tous les autres textes, traduit la volonté de maintenir l’existence des petits partis que le pouvoir a su plier à ses intérêts et à maintenir un équilibre politique soigneusement contrôlé. L’ambition de ces partis se limite à concourir pour une présence insignifiante dans les institutions ; ils ne représentent ainsi aucune menace pour le régime en place. Leur participation permet par contre d’entretenir l’illusion d’une compétition démocratique et l’apparence d’un pluralisme politique tout en consolidant le contrôle du régime qui veille à ce qu’aucune opposition significative ne puisse émerger.
Parmi les dispositions nombreuses qui viennent parachever cette fermeture, il y a l’interdiction du nomadisme politique, un concept qui a fait son entrée dans les mœurs politiques comme moyen de vilipender des députés du parti des travailleurs déterminés à faire valoir, dans leur parti, le droit à leurs indemnités de parlementaires. L’intention véritable de cette interdiction est d’imposer le caractère impératif du mandat de l’élu, en contradiction même avec le concept de citoyenneté, et de contribuer ainsi, concomitamment avec les conditions drastiques pour la création de parti et du maintien du mode de scrutin uninominal par wilaya, à figer le paysage politique dans une configuration rigide et immuable.
Si, par un improbable concours de circonstances, un parti de l’opposition démocratique parvient à franchir les multiples obstacles jalonnant la phase de sa constitution et à obtenir l’agrément du ministère de l’Intérieur, il se heurterait aussitôt à la cascade de restrictions limitant drastiquement son champ d’action et annihilant toute ambition de conquérir le pouvoir ou d’y exercer une influence significative.
Ainsi, il y a l’obligation de transmettre la liste nominative des militants, et de leurs fonctions, aux autorités nationale et locale.
Cela constitue une forme de surveillance politique institutionnalisée, obligeant les partis à fliquer leurs propres adhérents. Dans ce climat de répression où l’engagement militant est une prise de risque majeure en soi, par une telle mesure, on ne peut que pousser les citoyens à renoncer à toute participation politique, et vider ainsi les partis de leurs substance humaine.
De surcroît, toute modification au sein du parti, qu’elle concerne ses textes programmatiques ou régissant son organisation et son fonctionnement, ses structures ou leur composante humaine, doit recevoir l’approbation préalable des autorités. Ce contrôle bureaucratisation permanent érige le ministère en instance de tutelle et en organe de surveillance omniprésent, contraignant les partis à évoluer sous le regard étroit des autorités.
La lourdeur administrative qui en découle, ajoutée à l’exigence d’authentification officielle de chaque document, contraindra chaque parti à mobiliser à plein temps un huissier de justice. Cette épreuve du certificat de conformité, qui s’ajoute ainsi aux péripéties de l’agrément, agirait en couperet pouvant, à tout moment, suspendre ou geler arbitrairement l’activité d’un parti.
Mais l’entrave la plus inédite est sans doute la limitation à deux mandats consécutifs dans les organes exécutifs et délibérants du parti. Bien qu’étonnante dans son principe, cette disposition ne surprend guère ceux qui sont familiers aux pratiques du régime. Dans la conception patrimoniale de l’État, la responsabilité politique n’est pas envisagée comme un engagement au service de la nation, mais comme un privilège auquel il convient donc de limiter l’accès afin de satisfaire d’autres prétendants.
Toutefois, l’objectif sous-jacent de cette mesure est d’empêcher tout responsable politique de disposer du temps nécessaire pour asseoir son charisme, bâtir sa crédibilité et pouvoir gagner durablement la confiance des citoyens.
En outre, contraindre les partis, sous peine de retrait d’agrément, à participer aux élections n’augure pas d’un avenir où les scrutins seraient libres et transparents. Bien au contraire, cela constitue un prélude à la perpétuation de simulacres électoraux, où le suffrage universel demeure une pure formalité, vidé de sa substance démocratique.
Mais également, fixer la composition et le champ d’activité des commissions internes des partis, en leur imposant, de manière explicite, les contours de leur action, revient à instituer une ingérence qui achève de priver les militants du peu de souveraineté qui leur restait.
Et enfin, l’interdiction aux partis de recevoir librement des personnalités extérieures dans leurs locaux constitue, quant à elle, une entrave supplémentaire à leur développement et à leur ancrage dans la société. Ce verrouillage illustre une fois de plus la volonté du régime d’étouffer toute dynamique unitaire susceptible de structurer une opposition crédible.
Ainsi, il serait vain de continuer à démonter point par point les dispositions de ce projet de loi, tant qu’une lecture d’ensemble suffit à en révéler le projet pernicieux du pouvoir.
Au lieu de desserrer l’étau sur les partis politiques déjà coincés dans le système autoritaire et piégés dans une quête vaine du pouvoir face à un régime retranché derrière un dispositif juridique et législative répressif, l’avant-projet vient renforcer encore davantage le carcan juridique qui les entrave.
Pire encore, loin de favoriser l’émergence d’une véritable médiation politique et remédier à la crise chronique de représentation, ce projet de loi entérine la volonté autocratique d’un pouvoir qui, à force d’étrangler les partis, il les vide de leurs militants et les transforme en instruments de dépolitisation.
Loin donc d’incarner une avancée démocratique, cette réforme s’inscrit dans une logique de fermeture du champ politique. En neutralisant toute velléités d’opposition et en institutionnalisant un contrôle étroit sur l’ensemble des acteurs politiques, elle ne fait que consolider le pouvoir en place et continuer à perpétuer un système où toute alternative démocratique devient impossible.
La consécration de cette absurdité juridique n’est qu’une manière de rendre possible l’accès à la magistrature suprême à l’illustre inconnu, c’est-à-dire à un candidat indépendant, sans attache partisane, sans parcours militant, et dont les opinions sont méconnues des électeurs.
Pour saisir toute la portée de ces lois, il convient de remonter à la genèse des réformes dites d’ouverture démocratiques. Contraint et forcé, à la faveur de circonstances historiques, d’ouvrir le champ politique à l’opposition, le pouvoir s’est, dès lors, employé à le stériliser méthodiquement. Sa stratégie consiste à combattre la légitimité populaire en lui opposant une légalité factice.
Par-dessus tout, la marge de manœuvre du pouvoir semble sans limites, quand on sait que les pouvoirs sont enchevêtrés.
Par le biais de cet arsenal législatif répressif, il ne s’agit plus de réguler la vie politique, mais bien de la contrôler dans ses moindres rouages, afin de perpétuer un système fermé où toute perspective de changement reste, par essence, illusoire. Dès lors, l’engagement militant semble trouver davantage de sens dans la clandestinité qu’en s’affichant au grand jour dans une pseudo-légalité qui ne sert qu’à légitimer l’oppression.
Hamid Ouazar, ancien député de l’opposition