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« L’égalité, un courage politique » de Marianne Brück

 

« Ce que nous pouvons constater, tant pour les libertés, que l’égalité, que la démocratie, que l’état de droit, c’est qu’ils constituent des idéaux universels dont la perfection ne pourra sans doute jamais être atteinte mais qu’ils doivent rester des étoiles qui guident et orientent le chemin de nos civilisations vers un progrès pour l’humanité. » Marianne Brück

L’égalité, un courage politique. Déjà, il y a le titre de cet essai qui interpelle. Tenter de mettre en place l’égalité impliquerait donc un courage politique alors que pour beaucoup, il s’agit d’un idéal à atteindre. On entend habituellement par courage une prise de décision qui vise à suivre une voie que beaucoup craignent de prendre. Pour cela, il faut d’abord préciser le type d’égalité que l’on vise et ensuite déterminer le chemin et les différentes étapes qui permettent de l’atteindre.

L’égalité politique et sociale a toujours été un bel objectif à atteindre, depuis l’antiquité grecque, mais, pour y arriver, il fallait procéder avec méthode. L’effet de tous les mécanismes des relations sociales, ici et avant, ailleurs et maintenant, est la domination et l’exploitation. Les personnes qui les subissent sont rendues passives par leur ignorance des lois qui les gouvernent. Elles doivent apprendre à combattre l’inégalité. Ce savoir doit être mis en action, il faut passer de la passiveté à l’action.

Or, c’est précisément la tâche la plus difficile de savoir ce qu’il faut faire, dans quelles conditions et sous quelles formes on peut transformer cela en action. La plupart du temps, les individus qui s’opposent à la législation des dominants ne sont pas en mesure de faire preuve de bonnes qualités, en raison de leur manque de compréhension de la structure globale du système et de leur manque d’expérience concrète de l’exploitation de classe ou de genre.

La science de l’égalité fournit ainsi une leçon à double tranchant : d’un côté elle explique que les dominés sont écrasés parce qu’ils ignorent la loi de la domination ; de l’autre elle explique que cette ignorance est elle-même le produit du système de domination qui se présente à ses sujets sous une forme inversée dans le miroir de l’idéologie. Voilà donc la quadrature du cercle parfait. D’un côté, elle accrédite le fait que les individus ne sont pas conscients des lois de la domination et sont fixés à leur place dans le système de la domination. D’autre part, elle affirme que ces lois sont ignorées car la place où ces personnes se trouvent leur interdit de voir la structure qui les met à cet emplacement précis.

Bref, l’argument allègue qu’ils se trouvent là parce qu’ils ne savent pas pourquoi. Et réciproquement, c’est parce qu’ils sont là où ils sont qu’ils ne savent pas pourquoi ils y sont. Ce cercle théorique engendre une spirale pratique à l’infini : les possesseurs de la science sociale sont toujours un peu en avant sur les autres dans la découverte de nouvelles formes de sujétion et d’inégalité.

Ils n’arrêtent pas de trouver de nouvelles illusions dans les formes de conscience de ceux qui croient acquérir la science, ainsi que de nouvelles formes d’inégalité pour soutenir ceux qui croient avancer sur la voie de l’égalité.

Les gens qui adhèrent à ces notions de savoir, passivité, soumission à l’exploitation causée par l’illusion de la liberté, etc., ont montré sans fin leur mépris. La méthode utilisée pour atteindre l’égalité dans un avenir indéterminé était une méthode qui différencie sans cesse. Il s’agit de réaffirmer sans fin l’inégalité et l’incapacité de ceux qui la subissent, à acquérir la connaissance qui en résulterait. C’est, à strictement parler, une méthode d’inégalité qui reproduit indéfiniment la séparation entre les savants et les ignorants. Marianne Brück met l’accent sur les femmes, les esclaves, les étrangers…

Ce cercle de la domination et de l’ignorance apparait alors comme la version moderne et « progressiste » d’une vieille histoire dont Clisthène avait donné à Athènes une version originale et crûment conservatrice de la démocratie de laquelle était exclue les femmes et les esclaves. Des siècles plus tard, les barons anglais arrivent à dépouiller Jean sans Terre de « son pouvoir attribué par Dieu » en promulguant le 15 juin 1215 la Grande Charte des Libertés d’Angleterre.

La science sociale moderne considère l’inégalité comme une réalité tangible et l’égalité comme un but à atteindre. Cette mécanique est déjà en elle-même le principe d’une réaffirmation sans fin de l’inégalité. Depuis toujours, des femmes et des hommes se mettent debout pour apporter leur contribution à la mise en place de cette égalité tant attendue. Marianne Brück nous donne quelques exemples parlants : Henry David Thoreau, Ghandi, Rosa Parks, Martin Luther King, les 343 « Salopes »…

Puisque nous sommes au Matin d’Algérie, notons cette interview de Me Aouicha Bekhti, avocate au barreau d’Alger par le magazine Terriennes. En réponse à une question, elle répond que « la première violence envers les femmes en Algérie est institutionnelle. Le code de la famille, qui est inspiré directement de la charia, en fait une mineure à vie. (…) Mais la vie privée est gérée par le Code de la famille, que l’on a rebaptisé entre militantes le code de « l’infamie » ; car pour moi, c’est une infamie. »

Gardez vos friandises, les Algériennes exigent leurs droits à l’égalité devant la loi !

La méthode pour aboutir à l’égalité est toujours la vérification d’une présupposition et il n’y a que deux postulats : celle de l’égalité et celle de l’inégalité. La conjecture de l’égalité implique la rupture avec la croyance qui est un fondement de l’inégalité. L’émancipation est la conséquence de cette rupture avec toute croyance. Marianne Brück va jusqu’à poser une base : « La laïcité, condition nécessaire de la démocratie. »

Elle développe le concept en indiquant que le « démocratie fonde en dehors de tout système religieux toutes ses institutions, tout son droit politique et social, famille, patrie, propriété, souveraineté, si elle ne s’appuie que sur l’égale dignité des personnes humaines appelées aux mêmes droits et invitées à un respect réciproque, si elle se dirige sans aucune dogmatique et surnaturelle, par les seules lumières de la conscience et de la science (…), j’ai bien le droit de dire qu’elle est foncièrement laïque, laïque dans son essence comme dans ses formes, dans son principe comme dans ses institutions, et dans sa morale comme dans son économie. Ou plutôt, j’ai le droit de répéter que démocratie et laïcité dont identiques. »

Il n’y a pas deux sortes d’égalités ou deux sortes de démocratie. Cela signifie que l’une et l’autre sont imbriquées dans la laïcité. La laïcité est partout dans la liberté et la démocratie. La méthode pour atteindre l’égalité suppose que vous devez partir de tel point pour atteindre tel autre point en faisant tel pas après tel autre. La décision préalable qu’on peut prendre pour construire sa propre aventure intellectuelle est celle de n’importe qui. Il est primordial de prendre la décision de mettre en place et de vérifier cette capacité de n’importe qui pour s’émanciper. Chaque situation peut entraîner une vérification de l’égalité à partir de cette équation avec la démocratie et la laïcité qui jouent à la gémellité.

C’est en posant le livre après l’avoir ingurgité que l’on comprend que le courage politique est une condition pour atteindre l’égalité. Marianne Brück refuse la séparation entre les différents concepts qui différencient les êtres humains suivant le genre, la religion, les origines ou le métier. Elle promeut une pensée de l’indiscipline. Son discours est lié non pas à l’hypothèse mais au postulat égalitaire.

Elle affirme simplement qu’il y a une capacité à atteindre cette égalité qui n’est l’apanage d’aucun groupe particulier. Marianne Brück ne sépare aucun territoire du savoir humain de celui du voisin. Dans les pays du Nord, tous les individus prétendent avoir leurs propres chemins pour arriver à cet objectif en utilisant les méthodes qui s’y rapportent.

Les objets juridiques que les gouvernements mettent à la disposition de tous sont compatibles avec la poétique de l’égalité et donc de la liberté. Ils sont faits de récits et de descriptions énoncés dans le langage commun et d’arguments relevant d’une intelligence qui est celle de n’importe qui. Et en cela, l’essai de Marianne Brück est lumineux.

Kamel Bencheikh

L’égalité, un courage politique de Marianne Brück. 284 pages. 25 €. Février 2024. Éditions Code9, Paris.

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