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L’Égypte détourne des renseignements antiterroristes fournis par la France, selon Disclose

 

La France fournit des renseignements militaires à l’Égypte au nom de la lutte antiterroriste, mais Le Caire les a utilisés pour traquer et tuer des trafiquants présumés. Révélations embarrassantes du média d’investigation Disclose, d’autant que ce site d’information publie des documents tout à fait explicites de la Direction du renseignement militaire français (DRM). 

La journaliste Ariane Lavrilleux, à l’origine de révélations fin 2021 sur un possible détournement égyptien d’une opération de renseignement française dans le pays, a été perquisitionnée et placée en garde à vue mardi, a annoncé le média Disclose, qui a publié son article à l’époque. « Perquisition en cours au domicile de la journaliste de Disclose, Ariane Lavrilleux. Des policiers de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ont placé notre journaliste en garde à vue. Une nouvelle atteinte inadmissible au secret des sources », a dénoncé sur X (ex-Twitter) le média d’investigation Disclose.

Dans ces documents obtenus par Disclose, on découvre l’existence de la mission Sirli, qui a débuté en 2016. Dans cette mission française de renseignement en appui à l’Égypte, un avion léger de l’armée française surveille la frontière ouest du pays. Il s’agit de lutter contre d’éventuelles infiltrations de jihadistes en provenance de la Libye voisine.

Mais rapidement, les renseignements militaires français découvrent que les informations qu’ils transmettent aux forces égyptiennes permettent des frappes sur des véhicules, et cela sans vérification de la menace. Au moins 19 bombardements égyptiens de ce type ont eu lieu. Ils auraient principalement visé des pick-up servant à la contrebande frontalière, causant la mort d’un nombre indéterminé de civils.

L’échelon politique alerté

Les documents de la DRM publiés par Disclose montrent que les militaires français ont alerté l’échelon politique sur ce détournement d’une aide militaire : l’Élysée, par une note fin 2017 et, en 2019, le ministère des Armées est averti de « cas avérés de destructions d’objectifs détectés par l’aéronef français » dans une note qui demande de rappeler au partenaire égyptien que l’appareil n’est pas un outil de ciblage. Selon Disclose, dix militaires français sont toujours déployés en Égypte dans le cadre de cette mission.

« C’est très inquiétant, alerte Leslie Piquemal de l’Institut du Caire pour les études sur les droits humains. Si ces révélations sont confirmées par une enquête indépendante ou par les tribunaux, il s’agit de la part de la France de risquer sciemment de se rendre directement complice sur le terrain de violations graves et répétées des droits humains commises par les forces égyptiennes depuis plusieurs années. Donc ce serait particulièrement grave. Il est aussi important de rappeler que ce soutien français à l’Égypte continue à encourager les autorités égyptiennes dans des politiques qui ne sont pas efficaces dans la lutte anti-terroriste. »

Des bonnes relations au détriment des droits humains

Ces révélations interviennent alors que la France et l’Égypte entretiennent des liens étroits sur les plans stratégiques, militaires et économiques. Trente avions Rafale ont été achetés par l’Égypte cette année en plus des 24 acquis par le Caire en 2015. Le pays est l’un des principaux clients de l’industrie militaire française, avec 6,6 milliards d’euros sur la période 2011-2021, selon le rapport remis par le ministère des Armées au Parlement.

Mais le partenariat entre les deux pays va au-delà du carnet de chèques. Paris considère l’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi comme un pilier de stabilité régionale, qu’il s’agisse de lutte contre le terrorisme, du dossier libyen et plus généralement de la Méditerranée orientale, là où les gisements gaziers alimentent les tensions politiques.

Le Caire est régulièrement critiqué pour la répression qui frappe opposants et militants des droits humains. La France de son côté est non seulement interpellée pour ses silences, mais aussi pour son refus de conditionner la coopération avec l’Égypte au respect des droits humains.

En 2020, Abdel Fattah al-Sissi a été reçu à Paris avec tout le faste des visites d’État. Emmanuel Macron a alors évoqué en sa présence le sort de l’opposant Rami Shaath emprisonné en Égypte. Un an après, ce dernier est toujours derrière les barreaux. Le président égyptien, lui, est rentré au Caire décoré de la grand-croix de la Légion d’honneur.

Avec Rfi

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