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«L’émail de mes maux » de Leïla Elmahi : l’alchimie des maux en lumière

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Dans L’émail de mes maux, Leïla Elmahi nous livre un recueil d’une rare intensité, où chaque mot semble poli à la douleur comme à la lumière. À travers une poésie à la fois mystique et engagée, l’autrice explore les plis de l’âme humaine, les blessures de l’exil, la beauté des différences et la résistance par la culture.

Portée par une langue sensuelle et spirituelle, son écriture fait dialoguer la mémoire et le présent, la foi et la révolte, le silence et l’amour. Ce livre, à la frontière du poème et de la prière, s’impose comme un cri apaisé : celui d’une femme qui transforme ses maux en émail, c’est-à-dire en éclat d’humanité.

L’émail de mes maux de Leïla Elmahi, publié aux éditions Nombre7, est un recueil d’une intensité rare, à la croisée de la poésie spirituelle, de la méditation existentielle et du cri social. L’ouvrage se déploie comme un long souffle intérieur, un voyage de l’âme qui se cherche, s’éprouve et s’élève à travers les mots. Le titre, subtil jeu entre « émail » et « maux », évoque d’emblée cette idée de la douleur façonnée, polie par la parole, jusqu’à devenir éclat de lumière. C’est un livre qui guérit en même temps qu’il saigne.

Leïla Elmahi, autrice déjà remarquée pour L’envol du papillon et Mon “Je” de réflexion, s’affirme ici comme une voix singulière dans la poésie francophone contemporaine. D’origine maghrébine, elle tisse dans son écriture les fils multiples de ses héritages : la spiritualité soufie, la mémoire de l’exil, la culture arabe et la langue française. Son écriture, à la fois charnelle et métaphysique, se nourrit de cette double appartenance qu’elle ne cesse de transformer en puissance poétique. Chez elle, le poème n’est jamais simple ornement, mais acte de résistance, prière et manifeste à la fois.

Le recueil s’ouvre sur une quête : celle d’une conscience qui s’interroge sur le mystère de l’existence, sur la présence de l’âme dans le monde et sur la manière dont le temps modèle notre rapport à la vérité. Dès les premières pages, Leïla Elmahi pose les fondations d’une écriture de la traversée, traversée du moi, du monde, et de la mémoire collective. Sa poésie, oscillant entre vers libres et prose lyrique, épouse le mouvement même de la pensée : souple, fluide, parfois incantatoire, toujours habitée par la tension entre l’éveil intérieur et l’élan vers l’autre. Elle fait du poème un espace de réconciliation, une passerelle entre la blessure et la lumière.

Dans À ceux qui passent, à ceux qui restent, l’autrice rend un hommage vibrant à la lignée des penseurs et des créateurs qui ont façonné la conscience humaine. Le poème convoque Jeanne d’Arc, Montaigne, Rûmî, Marie Curie, Hugo ou encore Ibn al-Haytham, autant de figures qui deviennent des phares dans la nuit du présent. À travers eux, Leïla Elmahi tisse un chant de gratitude et d’espérance, rappelant que l’humanité se construit sur la mémoire des luttes et des rêves partagés. C’est une poésie de filiation, mais aussi d’héritage : l’écho des voix du passé y nourrit la promesse d’un futur plus juste.

Dans J’ai choisi la culture, l’écriture se fait manifeste. Ce texte puissant, à la fois poétique et politique, proclame le savoir, la création et la diversité comme remparts contre la haine et l’obscurantisme. Elmahi y affirme que la culture n’est pas un luxe, mais une nécessité vitale, une arme douce pour rassembler les peuples et préserver l’humanité dans un monde fragmenté. La plume y est militante, mais jamais sèche : elle respire l’amour et la foi dans la beauté comme force transformatrice.

Vient ensuite Les Larmes de l’exil, poème d’une sincérité poignante où la nostalgie se mêle à la douleur. Ici, l’autrice dit le déracinement, la perte, mais aussi la résilience de ceux qui ont dû partir sans cesser d’aimer leur terre. Le texte déploie la mémoire d’une enfance, d’une langue et d’une appartenance meurtrie, tout en rappelant que l’exil, loin de n’être qu’un arrachement, peut devenir un lieu de création et de résistance intérieure.

Mais au cœur de cette œuvre collective et universelle, s’entend aussi une voix profondément intime. Dans Ma fille, ma lumière, Leïla Elmahi se dévoile en mère, transmettant à l’enfant la force d’être libre, d’assumer sa singularité, de refuser les carcans. C’est une déclaration d’amour et un acte de foi en la transmission : la poésie y devient lien de génération, héritage d’âme plus que de sang.

Enfin, Les ombres du silence explore une dimension plus charnelle, plus secrète : celle du désir féminin, du corps contraint et de la liberté qu’il revendique. Ce poème, empreint d’une sensualité douloureuse, met à nu la lutte d’une femme contre les interdits et les injonctions sociales. La voix y tremble, mais ne cède pas : elle s’affirme comme un chant d’émancipation, un appel à vivre pleinement malgré les chaînes visibles ou invisibles.

Ainsi, tout au long du recueil, Leïla Elmahi tisse une tapisserie d’émotions et de réflexions où l’intime rejoint l’universel. Sa poésie oscille entre la ferveur mystique et la lucidité politique, entre la mémoire personnelle et la mémoire collective. Chaque poème devient une prière adressée à l’humanité, un appel à la lumière au cœur des ténèbres — un émail qui protège, éclaire et transfigure les maux du monde.

Ce livre a la force rare de ces voix qui refusent de renoncer à l’humain, qui persistent à croire que la parole peut encore sauver, relier, apaiser. Dans un monde saturé de bruit et de violence, Leïla Elmahi choisit la douceur des mots comme un acte de résistance. Sa poésie n’est pas fuite, mais engagement profond, engagement envers la beauté, envers la justice, envers l’amour. Elle écrit avec la conviction que la poésie peut encore redonner un sens au monde, qu’elle peut être cet espace de vérité où la blessure devient lumière.

Dans ses pages, Rûmî et Hugo, Darwich et Baudelaire se côtoient comme des compagnons d’âme. Le premier apporte la ferveur mystique et la foi en la transcendance de l’amour ; le second, l’élan humaniste et la défense des opprimés ; le troisième, la mémoire des peuples et la douleur des exils ; le dernier, la profondeur du désenchantement et la beauté du verbe. Elmahi ne les imite pas : elle les convoque, les mêle, les fait dialoguer dans un souffle poétique qui transcende les époques et les frontières. Sa poésie devient ainsi une agora de l’esprit, un lieu où se rencontrent les grands héritages de la littérature et de la pensée, réinterprétés à travers la sensibilité d’une femme d’aujourd’hui.

Sa langue, d’une fluidité organique, respire la vie. Elle éclate dans les poèmes de colère, pleure dans ceux de l’absence, embrasse dans les textes d’amour et de transmission. C’est une langue en mouvement, à la fois charnelle et spirituelle, qui ne cherche pas l’effet mais la justesse. Elmahi ose la simplicité là où d’autres se réfugient dans l’abstraction, et c’est dans cette clarté qu’elle touche au sublime. Elle abolit les frontières : entre les peuples, en revendiquant la fraternité des différences ; entre les genres, en donnant voix à une féminité libre et pensante ; entre les blessures, en les unissant dans une même humanité partagée.

L’apport de ce livre est immense : il rappelle que la poésie n’est pas un art élitiste ou décoratif, mais un lieu de réparation et de réconciliation. Leïla Elmahi y réunit le spirituel et le social, le mystique et le concret, le cri et la prière. Elle réconcilie la transcendance avec la réalité du monde, offrant un espace où les âmes dispersées peuvent se reconnaître et se rassembler. Dans ses vers, l’amour devient acte politique, la mémoire devient avenir, et la douleur devient un tremplin vers la lumière.

L’émail de mes maux est donc bien plus qu’un recueil : c’est un acte de foi en l’humain, un manifeste de tendresse et de résistance, un chant de guérison qui rappelle que, malgré tout, la beauté demeure possible, et que la parole, lorsqu’elle est juste, peut encore nous sauver.

L’impact de L’émail de mes maux se mesure avant tout dans la résonance intime qu’il provoque : ce n’est pas un livre que l’on lit, mais un souffle que l’on reçoit, une vibration qui se prolonge bien au-delà des mots. Chaque poème agit comme une onde, réveillant ce qu’il y a de plus enfoui en nous, la mémoire, la compassion, la conscience d’appartenir à un tout plus vaste. En redonnant à la poésie sa fonction première, celle de relier les êtres et d’éveiller les consciences, Leïla Elmahi s’inscrit dans la lignée des voix qui refusent la résignation. Sa parole se dresse, non pour accuser, mais pour réunir ; non pour blesser, mais pour réparer. Elle réhabilite l’idée que la poésie, loin d’être un refuge solitaire, peut être un acte social, une forme de résistance douce, un geste d’amour adressé au monde.

Dans un temps où les fractures identitaires, culturelles et spirituelles s’approfondissent, Elmahi rappelle que la culture n’est pas un divertissement, mais un souffle vital. Elle la conçoit comme un acte d’amour, un engagement envers la beauté du vivant et la dignité de l’humain. Sa poésie se fait alors arme pacifique, forgée dans la tendresse et la vérité. Par la force tranquille de ses vers, elle oppose à la brutalité de l’époque la délicatesse du verbe, à l’oubli la mémoire, à la haine la lumière du dialogue. C’est une forme de révolte, mais une révolte apaisée, portée par la certitude que la douceur peut être plus subversive que la colère.

En refermant L’émail de mes maux, le lecteur a le sentiment d’avoir traversé un espace sacré, un sanctuaire intérieur où l’âme, après avoir affronté ses ombres, retrouve sa clarté. Chaque poème devient un rite de passage : on y entre blessé, on en sort réconcilié, allégé, comme après une prière silencieuse. L’autrice nous guide dans ce territoire de l’être avec une main à la fois ferme et bienveillante, nous invitant à accepter nos fêlures comme les preuves mêmes de notre humanité.

L’émail de mes maux n’est pas un simple recueil : c’est une offrande, une expérience de l’intime partagé. En transformant la douleur en éclat, Leïla Elmahi nous tend un miroir où chacun peut contempler sa propre fragilité, ses luttes, ses espoirs. Et dans ce reflet, au creux du silence et de la lumière mêlés, on perçoit une promesse : celle que, malgré les blessures, quelque chose en nous demeure pur, vivant, inaltérable. Ce livre nous rappelle que l’art, quand il est sincère, n’a pas pour but de fuir le réel, mais de le transfigurer, et qu’au cœur du chaos, la poésie reste l’un des derniers refuges de la beauté humaine.

Brahim Saci

L’émail de mes maux, éditions Nombre7

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