Dimanche 16 février 2020
L’erreur stratégique de Massinissa…
« Massinissa participa à sa ruine (langue berbère, NDLR) en conservant comme seule langue officielle le punique. L’écriture punique puis néo-punique, élimina progressivement des villes, l’alphabet libyque qui se conserva dans le Nord pendant quelques siècles dans la campagne ». G. Camps
A lui tout seul, Massinissa représente un personnage incontournable dans l’histoire de la Numidie. On lui doit même partiellement l’unification de la Tamazgha. Il sut malgré le mode de vie diffractaire des tribus amazighes, unifier une partie d’entre elles jusqu’à les soumettre sous son autorité.Toujours est-il que ces aspects ont été bien analysés par les historiens de l’Afrique antique.
Indépendamment de l’historiographie gréco-latine qui nous a laissé une vision improbable des événements ou tout du moins idéologiquement recentrée autour de la romanité, il n’en demeure pas moins que la géopolitique des alliances de Syphax, roi des Massaesyles et de Massinissa, roi des Massyles, a largement contribué à la destruction de Carthage.
Les récits des guerres puniques rapportés par les auteurs grecs et latins en témoignent par l’ampleur de la désinvolture des chefs amazighs. Inégal a été la bravoure de Juba I, adversaire déclaré de Jules César alors que son fils élevé à la cour de Rome fait pâle figure face à la tutelle romaine. Hélas ! nous serions pas si quelques siècles plutôt Hierbas en s’amourachant d’Elissa et tout en lui offrant une parcelle de terre qui servira à cette dernière d’assiette foncière ne contribua pas volontairement à la fondation de Carthage. Cette malédiction servira beaucoup d’incrédules chefs de tribus qui iront jusqu’à renoncer à leur propre identité.
De tout part, la Tamazgha subira la trahison des chefs. La liste des traîtres est longue pour établir la sinistre frise chronologique de l’Afrique du Nord et du Sahara. Au plus profond de l’ethos amazigh, le recours à l’Autre toujours l’étranger enfantera aux premiers gémissements de la mère, le surgeon du « ventre maternel » signe d’une nouvelle alliance avec celui qui est venu d’ailleurs.
Faute de mieux pour définir la morphologie du Maghreb s’entrelacent les turpides des uns et des autres à l’incontournable « ventre maternel ». Ce nouvel Léviathan (au sens biblique) de la paternité comme système introduit une profusion généalogique en signe de compensation classificatoire des groupes tribaux nord-africains et sahariens.
Certes, le rugissement du ventre maternel comme facteur de l’étrangéité a peu influencé la composition sociologique de l’Afrique du Nord antique sauf peut-être l’entremêlement punique parce que la distinction ethnique était bien établie tout comme au temps de la colonisation française.
A des degrés divers, l’islam comme vecteur dissolvant sociologique entame dès son expansion au Maghreb la dissolution des ethniques pour maintenir en l’état le difformisme ethnologique qui subsiste jusqu’à à ce jour. N’en est-il que l’universalité islamique comme mode d’expression, sera utilisée par les groupes tribaux maghrébins pour acquérir le pouvoir de l’Etat.En ces temps médiévaux tardifs, l’appel à l’étranger au gré des aléas de l’histoire est de nature a brandir l’étendard de l’islam pour contrer les visées européennes en Méditerranée. Ainsi pour se départager, les chefs tribaux appelleront Barberousse au secours d’une patrie menacée par l’envahisseur européen.
Tout désignée la servitude aux puissants n’a rien d’exceptionnel en Afrique du Nord. Précisément c’est ce contexte approprié de la désignation par le grand Aguellid du Romain Scipion Emilien comme exécuteur testamentaire qui pose les jalons de l’ambivalence du personnage historique célébré comme l’unificateur des tribus amazighes de l’antiquité.
Au-delà de la rivalité tant politique que sentimentale au sujet de Sophonisbe avec Syphax, il suffit d’interpréter a posteriori cette mésalliance après la bataille de Zama pour saisir l’ampleur du désastre géopolitique qui scellera de devenir historique de l’Afrique du Nord. Ce désastre culminera avec la mise en place de toute une stratégie de domination de Rome sur l’Afrique du Nord. Cette domination s’étendra jusqu’au point où s’instaure une totale acculturation de l’élite berbère.
Au besoin, cette acculturation servira d’emblème à l’universalité de la culture romaine au point où les plus doués parmi cette élite des Berbères romanisés occultera volontairement la culture d’origine. Ces personnages sont nombreux qui ont choisi l’universalité à la particularité du terroir. Même parmi ces personnages célèbres issus du terroir local, Apulée l’un d’entre eux, n’échappera à la damnatio memorae.
Ainsi et de tout temps a été instaurée l’ambiguïté existentielle des personnalités berbères condamnées à suivre l’ordonnancement
du monde des puissants. De ce fait, l’acte désobligeant de Massinissa ouvrira l’ère de la domination intégrale au point que ce n’est plus l’entremêlement punique qui accentue la rivalité des entités politiques mais c’est la damnation de la mémoire qui servira de cheval de Troie au jeu politique comme simulacre de l’identité.
Avec la géopolitique des Etats nationaux du Maghreb, on n’est pas toujours sortis de la malédiction de l’histoire qui a habité depuis fort longtemps l’esprit des ancêtres. A ce jour, la hantise des ancêtres nous poursuit au point que ni l’universalité d’un Saint Augustin, grand maître de la christologie ni celle d’Ibn Khaldoun l’inventeur du rationalisme socio-historique n’efface le trou de la mémoire. Tout au contraire, à eux deux, ils participent au désastre de l’histoire.
Si le premiers a su s’insérer dans l’orbe occidental grâce à ses méditations religieuses, le second palier la fin de l’empire musulman par l’insuffisance du conservatisme figé. Il faut reconnaître aux deux penseurs l’affrontement avec le temps du déclin de l’histoire de l’Afrique du Nord. Le premier a bien vécu la fin du temps de la romanité en restant impuissant face à l’envahissement de Bône, ville de son Magistère par les vandales.
Tandis que le deuxième, il sera pris dans le tourbillon de la décadence en prédisant la montée en puissance de l’Europe et l’affaiblissement du monde islamique. Toujours est-il que le temps historique s’inscrit dans le labyrinthe des considérations intempestives entrecoupées par le mal de l’histoire qui voit disparaître la grandeur de ces deux mondes, l’un d’essence oriental l’autre de posture nettement orientée vers le Nord de la Méditerranée. Tout ça pour dire que leurs deux témoignages s’inscrivent dans l’enveloppement de l’Afrique du Nord dont témoignent leur autobiographie.
Si l’un s’en remet totalement à la « Cité de Dieu « pour se débarrasser de sa propre concupiscence, l’autre de concert avec l’air de la décadence islamique nous offre un curriculim vitae de sa personne qui n’honore même pas ces ancêtres andalous ni la » Berbérie sous les Hafçides » où il est né et éduqué mais de lointains parents venus d’Arabie.
A tout voir s’enorgueillir comme le fait Saint Augustin d’une introspection de soi, Ibn Khaldoun préfère fabriquer sa propre « généalogie des origines » pour s’ennoblir un peu plus que les accommodements de la parentalité des tribus maghrébines.
Si la disparition de Saint Augustin est marquée par la fin de l’antiquité romaine en Afrique sous le joug des envahisseurs vandales, Ibn Khaldoun tente l’Orient comme ultime destinée pour se rapprocher du levant; au Caire loin des tumultueuses tribus maghrébines, où il résida jusqu’à la fin de sa vie. Il a été enterré dans le cimetière des Soufis du Caire en signe d’ultime étape d’un parcours semé de vicititudes politiques. Deux parcours qui témoignent de la pesanteur l’histoire de l’Afrique du Nord entre-nouée par le cynisme politique de l’un et de la grâce divine de l’autre.
En définitive, l’enchaînement de l’histoire totale ne peut gommer la hantise de la langue berbère comme mode d’expression d’une grande culture. La maltraitance du terroir tant linguistique que social par ces deux grands penseurs de l’universel ne peut cacher le dilemme linguistique auquel nous sommes toujours confrontés depuis les choix opérés par Massinissa en optant pour le punique et le « grec » comme langues de l’Etat numide.
Même Apulée de Madaure ne put s’empêcher de célébrer la culture gréco-latine en fustigeant l’entremêlement punique du pauvre Emilianus. A certains égards cela ressemble à l’outrecuidance affichée sans gêne par l’élite maghrébine actuelle qui se pourfend dans une calamiteuse aliénation culturelle.
Comme indue, l’acculturation n’est pas seulement un phénomène linguistique, elle est avant tout un système qui régit le comportement des individus pris dans un milieu social qui inventorie des signes de reconnaissance ou tout au plus l’adhésion à des archétypes communément admis. De ce fait, il semble que ce sont deux mondes qui se sont succédé depuis la bataille de Zama et peut-être un peu avant l’incommodant Hierbas.
Le mal est si profond et nous ne sommes pas sûrs que la sauvegarde de la langue berbère puisse remonter le temps de l’histoire. En signe d’optimisme restons vigilants tout en méditant sur la remarque suivante de G. Camps: « Le premier mérite du règne (de Massinissa) fut d’avoir effectivement participé à la défaite de Carthage, ce qui eut pour l’Afrique berbère des conséquences heureuses. Si syphax avait été vainqueur il serait un client de Carthage qui aurait plus que jamais étroitement contrôlé le
littoral de l’Afrique du Nord poursuivant cette oeuvre d’isolement qui avait écarté Grecs et Italiens de la Berbérie. » Hein! c’est un peu plus sérieux en matière de prospective géopolitique des Etats nationaux du Maghreb que les élucubrations idéologiques de quelques apprentis commentateurs.
F. H.
Références:
G. Camps, Aux orignes de la Berbérie. Massinissa ou le début de l’histoire, Libyca Tome VIII, Alger, 1960.
P. Corneille, Sophonisbe, TPR, la Chaux-de-Fonds, Suisse, 1981.
St. Gsell, l’histoire de l’Afrique du Nord, les royaumes indigènes, Tome V, Librairie Hachette, Paris, 1927.
E. Harrouch, Elitta et Iarba’l, Elissa et Ierbas, l’Hymen de la ruse et de la force, Editions l’Harmattan, Paris, 2006
Ibn Khaldoun, Autobiographie, Editions CNPARH, Alger, 2008.
Saint Augustin, La cité de Dieu, Editions Desclée de Brouwer, Paris, 1959.