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vendredi 11 juillet 2025
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Les Aurès, plus vastes que le deuil : une mémoire confisquée

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En 2018, les éditions bretonnes Skol Vreizh publient Une embuscade dans les Aurès, un récit autobiographique d’Anne Guillou-Riou. L’autrice y retrace la courte vie de son fiancé, Raymond Messager, sous-lieutenant de l’armée française affecté en 1960 à T’kout, dans les Aurès, en pleine guerre d’Algérie. Il n’y arrivera jamais : le 12 septembre 1960, il tombe dans une embuscade tendue par des maquisards algériens. Il avait 22 ans.

Ce livre se veut un hommage intime, porté par une émotion sincère. Il mêle souvenirs personnels, extraits de lettres, coupures de presse et rappels du contexte militaire. L’écriture est pudique, sobre, empreinte de chagrin. Mais si le deuil est légitime, l’histoire racontée, elle, reste désespérément unilatérale. En tant que lecteur algérien, et journaliste attentif aux récits de mémoire, il est difficile de ne pas ressentir un profond malaise face à cette manière de relater le conflit.

Car Une embuscade dans les Aurès s’inscrit dans une longue tradition française de récits de guerre où l’Algérien n’existe que comme menace. Il n’est ni nommé, ni décrit, ni envisagé comme sujet historique. Il est réduit à l’état d’ennemi, flou, abstrait, parfois qualifié de « rebelle », jamais comme combattant d’une guerre de libération.

Le livre ne dit rien de l’Algérie coloniale, du système de domination, des injustices structurelles, des exactions, ni de ce que représentait cette guerre pour les populations locales.

La France pleure ses soldats tombés au combat. C’est son droit. Mais que fait-elle des centaines de milliers d’Algériens tués dans cette guerre ? Des villages brûlés ? Des corps suppliciés dans les caves ? Des mémoires fracturées ? Ce livre, comme tant d’autres, perpétue une vision mutilée de l’histoire, où l’émotion privée écrase la vérité collective.

Voilà où nous en sommes : la mémoire de nos montagnes, que des milliers de moudjahidines ont gravies les armes à la main, se voit réduite au souvenir d’un sous-lieutenant français. Voilà comment on retourne les récits, comment on anesthésie une nation, comment on livre le passé au plus offrant.

Et ces montagnes — fières, blessées, indomptées — méritent qu’on les écoute dans toute leur complexité. Car elles sont plus vastes que le deuil. Plus profondes que le silence. Et bien plus vivantes que les récits figés de la mémoire officielle.

En refusant de regarder l’autre côté du drame, en continuant à figer l’Algérie dans le rôle du décor ou du danger, Anne Guillou-Riou signe un livre refermé sur lui-même, incapable de faire œuvre de vérité. C’est le chagrin d’une femme, oui — mais c’est aussi l’aveuglement d’un récit colonial qui se perpétue.

Quant à l’éditeur, Skol Vreizh, on peut regretter qu’il publie un tel témoignage sans le moindre contrepoint, sans préface critique, sans mise en contexte historique digne de ce nom. Ce choix éditorial alimente une mémoire amputée, confortable pour la France, insupportable pour les Algériens.

Mais pendant que certains pleurent et se recueillent sur un passé figé, c’est nous — les enfants de cette terre, libres et debout — que l’on tente de réduire au silence.

Les Aurès n’oublient pas. Ils grondent. Ils veillent. Et ils parleront.

Djamal Guettala

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7 Commentaires

  1. Ce livre est un récit du vécu du coté de la fiancé qui a perdu son amour et qui se souvient ,ce n’est pas un récit sur la guerre d’Algérie

    • Je partage entièrement votre point de vue.
      M. Guettala tente de donner une dimension historique à ce qui reste le roman d’un vécu douloureux.
      Aucune générosité dans son commentaire.
      Dans mille ans on entendra encore reparler des méfaits du colonialisme et des exactions de l’armée française exactement comme les juifs cultivent la Shoah.
      Quant aux barbaries des algériens – ou des kabyles – elles sont pardonnées par avance au nom de la sainte croisade pour la liberté.
      Mais qu’avez vous fait de votre liberté si chèrement acquise ?
      Vous l’avez bradée à une clique de vieillards corrompus et à un système politique isolée sur le plan international.
      Pas de quoi être fiers en tant que « sujets historiques » qui s’empressent de fuir en occident s’ils peuvent obtenir un visa Schengen.

      • A vous lire, on s’aperçoit vite, que le miroir déformé de votre sdb vous renvoie encore et toujours la vision impériale éculée du XVIII ième. Sans nul doute, vous gagnerez à le rénover!
        Tout récit publié devient, légitimement, sujet à critiques.
        Sans rancune.

        • Ce n’est pas un sujet historique.
          C’est une histoire d’amour quel que soit le siècle.
          C’est votre vision qui est déformée sur le plan historiciste.
          Mais…que peut-on attendre de militants engagés ?

  2. 📌 Réponse à un lecteur : Entre mémoire et mépris

    À la suite de la publication de mon article sur le récit Une embuscade dans les Aurès, un lecteur a tenu à exprimer son désaccord, estimant que je cherchais à « donner une dimension historique à ce qui reste le roman d’un vécu douloureux ». Il déplore un manque de « générosité », puis glisse vers une comparaison douteuse entre la mémoire du colonialisme et celle de la Shoah, pour conclure sur un procès en indignité adressé aux Algériens d’aujourd’hui.

    Je tiens à lui répondre, non par polémique, mais par respect pour la mémoire, l’histoire et la responsabilité du discours.

    Non, rappeler les exactions de l’armée coloniale, ce n’est pas « cultiver » la douleur comme un héritage victimaire. C’est faire œuvre de vérité, à travers des récits personnels, souvent étouffés, qui sont les chaînons manquants d’une histoire collective encore incomplète. Le témoignage de René Rouby, professeur coopérant, raconte une Algérie des années 60 marquée par les séquelles visibles de la guerre. Il n’invente rien : il raconte ce qu’il a vu, vécu, perçu.

    Comparer cette mémoire à celle de la Shoah est non seulement injuste mais malsain. Il n’y a rien de comparable entre une extermination industrielle et coloniale d’un peuple et les violences de la conquête ou de la guerre d’Algérie, aussi terribles soient-elles. Il y a en revanche, dans les deux cas, un même besoin de reconnaissance historique — et une même résistance face à l’oubli ou au déni.

    Quant aux violences commises du côté algérien, elles existent, nul ne les nie. Mais les brandir pour effacer les crimes d’un système d’oppression est une rhétorique usée. De nombreux Algériens, écrivains, historiens, intellectuels ou simples citoyens, interrogent aussi leur propre histoire, y compris dans ce qu’elle a de plus sombre.

    Enfin, reprocher aux Algériens d’avoir « bradé leur liberté » à un régime corrompu et de « fuir en Occident » n’est ni une analyse politique ni un débat de fond : c’est une humiliation gratuite, un jugement globalisant qui passe sous silence l’effort quotidien, la dignité, le courage de millions de personnes qui, malgré tout, restent debout.

    Le travail de mémoire n’est pas un règlement de comptes. Il est un devoir de lucidité, de transmission, et parfois, oui, un acte de réparation. Ce n’est pas l’Histoire qui menace la paix des esprits, c’est l’oubli.

    Djamal Guettala
    Le Matin d’Algérie

    • J’ai pris contact avec Anne GUILLOU-RIOU.
      Elle m’a fait une promesse, celle de ne plus rien écrire de ses sentiments personnels et, en dépit du « deuil », de consacrer toute son énergie à l’exaltation de la glorieuse guerre de libération du peuple algérien.
      Cet engagement devrait être de nature à apaiser votre profond malaise en même temps qu’il contribuerait à l’oeuvre de la seule vérité qui compte : la vôtre.

      • Je prends acte, non sans tristesse, de la tonalité méprisante de votre réponse. En convoquant une certaine Anne Guillou-Riou et en prêtant à mon « profond malaise » des origines idéologiques, vous tentez de détourner la discussion du fond. C’est un procédé connu : disqualifier l’autre plutôt que d’affronter ce qu’il dit.

        Ce que je défends, ce n’est pas « ma vérité », mais une pluralité de voix, une exigence de transmission, une attention aux récits minorés ou oubliés. Que vous y voyiez une exaltation univoque de la guerre de libération est révélateur d’un malaise qui n’est pas le mien, mais le vôtre : celui qui surgit dès qu’on interroge sérieusement les violences systémiques de la colonisation.

        Le témoignage sur l’embuscade dans les Aurès n’est ni un pamphlet ni une œuvre de propagande. Il est un fragment de mémoire. Il n’impose rien. Il propose. Et il ouvre à d’autres récits, d’autres regards — y compris ceux que vous souhaiteriez voir davantage représentés. Encore faut-il les exprimer dans un cadre respectueux, sans sarcasmes ni sous-entendus.

        Enfin, si vous tenez tant à ridiculiser la douleur, la mémoire, le deuil ou les tentatives de compréhension, libre à vous. Mais ne vous étonnez pas qu’on vous réponde avec des mots plus solides que des moqueries.

        Djamal Guettala
        Le Matin d’Algérie

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