Mercredi 23 octobre 2019
Les bureaux de change : quelques clarifications
Les cambistes du marché noir ont imposé leur loi.
A écouter certains experts autoproclamés, l’ouverture des bureaux de change peut servir à juguler le trafic des devises ! La loi 90-10, pour ceux qui l’ont lue et surtout comprise, l’ouverture des bureaux de change existe et est régie par un certain nombre de textes subséquents.
D’ailleurs, le change de devises se pratique normalement à l’intérieur des banques nationales et étrangères lorsqu’elles le demandent expressément, il n’y a pas donc lieu à épiloguer sur cette activité normale de toute institution bancaire qui prélève, au passage souvent des commissions appréciables.
La loi dispose que l’activité de change de devises peut se réaliser à travers des agents agréés « hors banque », lorsque l’activité est suffisamment lucrative et qu’une demande la rend nécessaire. La question, dès lors pour notre pays, est de savoir s’il y a la place pour une pareille activité ? La confusion entretenue, pour beaucoup de citoyens, se concentre autour de la convertibilité de dinar et le bureau de change ! En effet, pour les non initiés l’activité du bureau de change est de convertir le dinar en devises, à l’instar des « bureaux informels » installés dans toutes nos villes, dont la place principale n’est autre que le non moins célèbre Square Port-Saïd.
Or, un bureau de change au sens professionnel du terme, est un opérateur qui change une devise étrangères contre une monnaie locale devise ou non est vice-versa, en prélevant au passage une commission, pour un service de proximité ou et à des horaires où les banques sont fermées.
C’est donc plus un « service » bancaire et une facilité de proximité et de disponibilité qui est rendu et non une réelle convertibilité dans un pays où elle n’est pas autorisée conformément à la loi et à la réglementation en vigueur. Cette mesure est également permise dans l’hôtellerie de luxe en général et dans les « grands magasins » et autres activités commerciales, pour faciliter les transactions. L’industrie touristique est l’une des plus grandes consommatrices de ces services, afin de permettre la fluidité transactionnelle notamment lorsque la densité des réseaux bancaires n’est pas toujours importante.
Il est donc parfaitement inutile d’autoriser l’ouverture de bureaux de changes, en Algérie, où le dinar n’est convertible que pour le commerce extérieur légal et certaines transactions réglementées (1) et obligatoirement à travers le réseau des bancaires commerciales, toutes les autres transactions étant interdites ou « tolérées » (2) ! Les transactions en devises, étant les prérogatives de la Banque d’Algérie uniquement, les banques commerciales sont considérées comme de simple « guichets » par lesquels transitent les transactions de commerce extérieur et un certain volume de devises apuré mensuellement, leur est attribué. Il est donc assez amusant de lire, que notre présentation nationale (les deux chambres) demande au Ministre des finances, lors du débat sur la PLF, l’ouverture de bureaux de changes !
Quelles transactions pourraient-ils servir ? Qui accepterait assurer un « service bancaire » qui est interdit par la réglementation des changes ? A moins de comprendre que la représentation nationale souhaite que le trafic des devises, sur le marché informel, ne soit légalisé, cette demande est ubuesque et nous informe sur le niveau de la culture économique et financière de nos représentants et notamment pour ceux qui siègent à la commission des finances des deux chambres. D’autant que la réponse du Ministre des finances aux membres du parlement n’en est pas moins délicieuse, en déclarant que « le projet d’ouverture des bureaux de change, qui permettraient une traçabilité des transactions, n’est pas à l’ordre du jour… car l’ouverture de bureaux de change en Algérie serait une démarche infructueuse, vu leur faible rendement en raison du manque d’activités touristiques en Algérie, ces bureaux ne pouvant pas de ce fait drainer les devises circulant sur le marché parallèle ».
Cette dernière partie de son explication entretient encore plus la confusion dans les attributions des bureaux de changes, dont ce n’est ni la vocation ni les prérogatives.
Reconnaissant que «le marché noir des devises est entre les mains des plus gros vendeurs… à savoir ceux qui s’adonnent à la surfacturation de l’importation… et les plus gros acheteurs, connus pour leur évasion fiscale », il avoue implicitement son incapacité à éradiquer le phénomène et que ces flux financiers sont, hors de la Banque d’Algérie dont il était pourtant le Gouverneur, il n’y a pas si longtemps !
Aucunes mesures, selon lui ne semblent pouvoir réduire l’ampleur des transactions sur le marché parallèle et la décision « d’importation sans paiement » des véhicules de moins de trois ans, qu’il a cautionné, va encore amplifier le volume voire tonifier le marché, contrôlé par des trafiquants notoires. C’est donc les propres décisions des pouvoirs publics qui viennent en aide aux trafiquants du marché informel des devises et qui le consolident, en lieu et place d’une politique qui tendrait à l’éradiquer. En effet, qui permet la surfacturation des biens et services importés, qui transitent par la Banque d’Algérie, via les banques commerciales ? Qui permet la fraude et l’évasion fiscale, pratiquée par les opérateurs économiques ?
Qui permet la vente des devises sur le marché parallèle, dans toutes les villes de notre pays ? C’est sur ces questions que la représentation nationale aurait dû interpeller le ministre des finances pour l’obliger à mettre en œuvre une politique, à moyen et long terme, d’éradication du phénomène et non pas l’ouverture de bureaux de changes, qui n’a rien à voir avec ce dossier. Entre temps, deux Algérie semblent se côtoyer, celle qui possède des devises et celle qui n’en a pas et le gouffre ne fait que s’élargir, jusqu’au grand égard final… qui ne saurait tarder.
M.G.
Notes
(1) Il s’agit à cet endroit des transactions liées aux pèlerinages (Hadj et Omra), frais de missions et autres prises en charge sanitaires et spécifiques. Il faut ajouter le droit de changes annuel servi aux résidents à leur départ sur une destination étrangère (160 Euro /an).
(2) Le terme tolérance dans ce cas est impropre car il s’agit bien d’un trafic que les pouvoirs publics acceptent de voir, dans toutes les villes, est qui ressemble à une dévaluation déguisée, de facto, avec toutes ces conséquences négatives en terme de circuits mafieux, de contrefaçon, de taux prohibitifs, de bénéfices non fiscalisés et de contrebandes multiples, dans un marché florissant qui pèse plusieurs milliards de DA.
(3) Ministre des finances estime à quelques 2,5 Milliards d’Euros, les transferts des Algériens établis à l’étranger, dans une déclaration à l’agence officielle APS.