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Les collectivités locales et les interrogations sur la délégation de service public

Désengagement de l’Etat des services publics 

Les collectivités locales et les interrogations sur la délégation de service public

Depuis la loi n°62 -157 du 31/12/1962 qui reconduisait la législation antérieure en matière de réglementation des marchés publics et l’arrêté du 21 novembre 1964 portant approbation du cahier des clauses administratives générales (CCAG) qui a mis en même temps fin à la réglementation de la période coloniale de CCAG de 1958, en passant par une ordonnance et plusieurs décrets exécutifs pour arriver à une refonte totale de cette réglementation par un décret présidentiel N°10 -236 du 02 octobre 2010 portant réglementation des marchés publics, l’expérience sur le terrain de son application a contraint les pouvoir publics de procéder à plusieurs modifications pour l’y adapter :

  • Décret présidentiel N° 11-98 du 14/03/2011

  • Décret présidentiel N° 11-222 du 16/06/2011

  • Décret présidentiel N° 12-23 du 16/09/2012       

Si jusqu’à cette dernière modification, l’arsenal juridique se limitait à une adaptabilité de la réglementation des marchés publics en fonction d’un constat de visu sur son application sur le terrain touchant entre autres : l’élargissement des objectifs, celui du champ d’application, à la rapidité des décisions dans les marchés de l’importation des produits et des services, du seuil de passation, des cahiers des charges, de la compétence du contrôle etc., la dernière modification qui s’est opérée durant l’année 2015 devait introduire dans le titre même : la notion des délégations du service publics par le décret présidentiel N° 15-247 du 16/09/2015 portant réglementation des marchés publics auquel on a ajouté « et des délégations du service public. » 

De quoi s’agit-il exactement ?

Dans les faits, la délégation de service public (abrégé en DSP) est une notion juridique qui recouvre l’ensemble des contrats par lesquels une personne morale de droit public soumise au code général des collectivités territoriales confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un opérateur économique dont la rémunération est substantiellement liée au résultat d’exploitation du service. Elle est intégralement prise du droit Français et celui de la communauté européenne qui le pratique depuis longtemps La délégation de service public est un mode de gestion fréquemment utilisé pour les services publics, la collectivité pouvant également décider de gérer directement le service public (gestion en régie).  

Les délégations de service public sont soumises à des règles d’attribution dont la violation est sanctionnée par le délit de favoritisme d’où la présence de l’article 207 dans le décret cité plus haut qui stipule clairement : « La personne morale de droit public responsable d’un service public, peut, sauf disposition législative contraire, confier sa gestion à un délégataire. La rémunération du délégataire est assurée substantiellement par l’exploitation du service public. L’autorité délégante, agissant pour le compte de la personne morale de droit public, confie la gestion du service public par convention.  A ce titre, l’autorité délégante peut confier au délégataire la réalisation d’ouvrages ou l’acquisition de biens nécessaires au fonctionnement du service public », ce même article annonçait déjà à cette date que « les modalités d’application du présent titre sont précisées par décret exécutif »

1- Le ministère de l’Intérieur vient justement d’en proposer un

Le ministère de lIintérieur, des collectivités locales et de l’aménagement du territoire vient de diffuser une proposition d’un projet de décret exécutif pour observations et commentaires éventuels  par le biais du secrétariat du gouvernement à toutes les institutions publiques y compris les entités EPIC. Il est bien spécifié dans l’exposé des motifs que les collectivité locales sont parmi les institutions les plus concernées par la gestion du service public par cette forme de « délégation » Elle peuvent, lit-on faire recours à ce mode de gestion pour l’exécution des différentes missions de services publics qui leur sont dévolues notamment en matière : d’alimentation en eau potable, assainissement, la collecte et le traitement des déchets ménagers, les crèches, les marchés de proximité, les musées, les piscines, les parkings, les abattoirs et on y constate clairement l’abréviation « etc. » qui annonce d’autres activités. L’initiation de ce projet de décret est articulée sur six chapitres et 102 articles  qui définissent dispositions relatives notamment à :

  • La passation des DSP

  • L’exécution de  la convention de la DSP

  • Contrôle

  • L’organisation de la relation entre le délégataire et les usagers du service public.                              

Il se trouve justement à la lecture de ce projet que les juristes des différentes institutions qui vont débattre et donner leur avis, ne serait pas compris comme un désengagement des pouvoirs publics vis-à-vis des différentes prestations généralement destinées à un large public soit un prolongement de la levée des subventions à partir dit-on de 2019. Pourquoi ?

2- Le projet en question reste vague sur les formes des services à déléguer

L’une des questions majeures est de savoir quel est le statut des agents concernés : seront-ils  en régie autonomisée dans le cadre d’une entité publique industrielle et commerciale (EPIC), et donc salariés de droit privé, et dans ce cas, la question du changement de mode de gestion n’entraîne pas de changement de statut, même si, dans la pratique, beaucoup de salariés EPIC ont encore un statut de fonctionnaire, ce qui n’est pas normal.  

Lorsque les agents ont un statut de fonctionnaire, on peut envisager un système de transition vers le droit privé, notamment à travers le détachement au profit du délégataire. Lorsqu’un fonctionnaire devient titulaire de droit privé, se posent, en effet, les questions de la rémunération, de la retraite, de l’intégration dans une convention collective etc. : c’est une transformation importante qui ne s’improvise pas et qui doit être gérée, à la fois par la collectivité et par l’entreprise d’accueil, dans le cadre d’un travail commun entre les deux services ressources humaines. Cependant, un fonctionnaire détaché a également la possibilité de revenir dans son administration d’origine. En règle générale, ce qui est déterminant lors d’un passage d’une régie à une DSP, c’est la communication collective sur le projet, mais aussi la communication individuelle auprès de chaque agent concerné.  

A travers l’expérience européenne sur le sujet, il existe plusieurs formes de mobilité en dehors du détachement du public vers le privé qui sont la mise à disposition ou la disponibilité: la mise à disposition : proche du détachement, sachant que, dans cette situation, le fonctionnaire est réputé occuper son emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante mais effectue son service hors de son administration. La disponibilité quant à elle permet au fonctionnaire  d’être placé temporairement hors de son administration d’origine et cesse, durant cette période, d’exercer son activité professionnelle et de bénéficier de sa rémunération et de ses droits à l’avancement et à la retraite.

3- La question du service public n’est pas une affaire de décret

Bien que l’article 209 du décret présidentiel N°15-247 du 16 septembre 2015 portant réglementation des marchés publics garantit à la délégation du service public le principe d’équité, de continuité et d’adaptabilité, l’enjeu de sa délégation ne peut se faire sans un débat profond et donc passer par une loi. La défense du « service public à l’Algérienne », l’émergence du « patriotisme économique » dans le contexte d’après l’indépendance, la réflexion sur le modèle de société, autant de thématiques apparues juste après le début des années 80, période durant laquelle le pays a vécu une réorientation de son économie de l’industrie industrialisante à l’économie de Bazar qui a vu l’Etat se désengager sans explication du secteur public et des travailleurs en général. La dérive est toute prête et nous amènent à se poser une triple question : les modalités de régulation actuellement pratiquées sont-elles économiquement performantes ? Satisfont-elles l’objectif de moindre coût pour le consommateur final ? Comment la conciliation des mécanismes de marché et des missions de service public se traduit-elle dans la pratique ?                                                                                     

 

Auteur
Rabah Reghis

 




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