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 Les deux morts d’Ouyahia

TRIBUNE

 Les deux morts d’Ouyahia

L’ex-premier ministre Ahmed Ouyahia serait entre la vie et la mort. 

Pendant des décennies il piaffait de l’envie de « rencontrer son destin », c’est-à-dire devenir président de la République.  Il chérissait cette formule parce qu’elle avait une double fonction : recouvrir son ambition d’une certaine pudeur et constituer une offre de service au « système » : lui à la tête de l’Algérie, c’était la garantie d’une longue vie au «système» avec la génération de l’indépendance. 

Le destin et le peuple algérien n’étaient en rien concernés par son ambition et son offre de service. Il croyait de toutes ses forces que l’un et l’autre étaient des fictions et que l’unique réalité politique algérienne s’appelait le « système », comme Dieu s’appelle pour les musulmans « Allah ».

A la fin des fins, il n’a pas gravi les marches menant à la tête de l’Algérie, mais s’est retrouvé sous les pieds vengeurs des marcheurs du Hirak après une incroyable mêlée. Qui s’est trompé ? Lui ou le destin ? A mon avis c’est lui car le destin ne promet pas de carrières ni n’annonce ses projets. Il se contente de décider. Comme Dieu, et comme le « système ». 

En tout cas c’est, de mon point de vue, du Hirak qu’il est mort de sa première mort : mort morale, psychologique et politique. A l’heure qu’il est, il serait entre la vie et la seconde mort : la mort physique à laquelle nul organisme vivant n’échappe. La médecine pense que c’est un cancer qui est en train de le dévorer à petit feu, mais qu’aurait dit l’intéressé si on lui avait posé la question ? C’est peut-être encore possible.

Je parie qu’il aurait souri à la mise en cause du Hirak dans sa première mort car l’idée que le peuple puisse renverser le régime ne lui a jamais traversé l’esprit. Il aurait aussi corrigé l’explication médicale en précisant que selon son ressenti ce n’est pas le cancer qui aurait précipité sa seconde mort. Surtout après la cruelle exhibition à laquelle il a été soumis lors de la mise en terre de son frère tombé en le défendant devant les tribunaux. 

Il n’y a pas mieux placé qu’Ouyahia pour connaître la vérité sur lui-même : les affres de la mort ont commencé à le dévorer de l’intérieur dès sa première nuit à la prison d’El-Harrach et étaient directement liés à la décision de Gaïd Salah de le jeter en pâture, alors qu’il s’était immédiatement rangé de son côté en demandant le départ de Bouteflika. Il s’était comporté comme il l’avait toujours fait : en parfait « commis de l’Etat », en fidèle « Assas dalia », en imperturbable croyant qu’il n’existe ni Etat, ni peuple, ni justice immanente au-dessus du « système ». Alors il aurait lâché dans un dernier râle : « Le système m’a tué ». 

Il y a moins de trois ans Ouyahia évoquait ma mort du haut de la tribune de l’Assemblée nationale comme une possibilité entre les mains du « système » qu’il défendait alors que j’étais en plein affrontement avec le général Gaïd Salah qui soutenait le 5e mandat. J’avais appelé par écrit et publiquement à une « révolution citoyenne » pour empêcher ce mandat et changer le cours de l’histoire algérienne. C’était en septembre 2017, et le Hirak s’est déclenché en février 2019. 

Je n’ai pas écrit ce billet pour me délecter de ce qu’il lui arrive, sans savoir exactement ce que je lui souhaite : de se rétablir de son cancer et continuer à souffrir des affres de la première mort, ou d’être délivré des deux en concentrant ses ultimes pensées sur le « ghayb » (l’inconnaissable) divin et non sur le « khobt » (perfidie) du « système ». 

Finalement son destin – sur lequel je lui avais dit plusieurs fois par écrit qu’il se trompait – c’était de vivre une fois et de mourir deux fois sans comprendre qu’on ne peut pas prétendre à un destin quand on est fier d’être « l’exécuteur des basses œuvres » du système » selon sa propre expression. 

Il a eu droit à une vie avec ses hauts et ses bas, mais avait tort de croire à un destin pour lui. Le destin ne naît pas dans la fange, l’ignorance, la corruption et le djouhaisme. Comme tous ceux qui se sont faufilés en Algérie depuis son indépendance jusqu’au poste de président de la République sans savoir ce qu’est un destin ni en avoir un. On a eu l’aventurier, la brute épaisse, l’idiot bonhomme et Djouha le truand, mais pas encore l’homme de destin, le visionnaire ou le grand manager. 

D’où l’incertitude qui pèse de plus en plus lourdement sur les pauvres et problématiques destinées de l’Algérie.

Auteur
Nour-Edddine Boukrouh

 




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