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Les divagations du pouvoir et les délires du virus

REGARD

Les divagations du pouvoir et les délires du virus

«C’est la maladie qui rend la santé agréable ; le mal qui engendre le bien ; c’est la faim qui fait désirer la satiété, et la fatigue le repos.» Héraclite

Normalement, je dois focaliser mon attention sur les merveilleuses perspectives qui nous attendent. Il parait qu’à partir du lundi 11 mai, l’État-providence (France) nous libérera complètement de nos chaînes et nous serons assez adultes pour ne plus montrer patte blanche à travers cette attestation de déplacement qui sera mise au rebut. J’avoue que ça va faire une sacrée différence entre sortir quand je veux, comme je veux, et sortir trois fois en cinquante jours muni d’un certificat dûment rempli et signé.

Enfin, je vais être complètement libre. La liberté intégrale, mais l’a-t-elle été un jour ? D’abord cette liberté que l’on va nous accorder dépendra des couleurs rouge ou verte du lieu de résidence. Et surtout, elle sera divisée par ces fameux 100 km. Élève de 6ème, un devoir de philosophie adossé à un devoir de mathématiques s’il te plait. Munis-toi d’une feuille et d’un crayon, et au travail ! Si on prend des kilos de liberté retrouvée et qu’on les divise par 100 kms, quel en sera le résultat ? Les copies seront collectées dans deux heures moins le quart. 

Youpi ! On pourra sortir pour retrouver les amis qui n’auront pas été touchés, après le déconfinement, par la psychose du virus. Je fêterai, même avec beaucoup de retard, l’anniversaire de ma fille qui est née le 12 avril. Nous serons douze personnes autour de ce barbecue que nous attendons depuis si longtemps. Voilà que je saute de joie parce qu’un type, élu par défaut, a décidé de nous libérer un jour qu’il a choisi lui-même, avec ses sbires, en mettant l’index aléatoirement sur un calendrier qui était posé sur son bureau.

Comment ce peuple, qui s’est révolté il y a plus de deux siècles en guillotinant son roi et en sermonnant la planète entière quant à la soumission des masses populaires, comment en est-il arrivé à attendre le discours de Macron pour aménager sa façon de se comporter, s’il doit continuer à se confiner ou s’il doit exploser les frontières des logements, quel enthousiasme doit-il faire naître dans sa poitrine, quelle joue doit-il embrasser et quelle joue repousser ? 

De ratage en ratage, ce gouvernement a démontré l’étendue de son incapacité à gérer une crise. De la pénurie des masques, qui manquaient, même et surtout, pour les soignants jusqu’à celle du gel hydroalcoolique, quelle faillite et quelle incompétence de la part de ceux qui voulaient donner un nouveau visage à la politique ! Avant l’invasion de la planète par le coronavirus, nous avions pris l’habitude d’oublier jusqu’à l’existence de l’État sauf lorsque l’on devait payer impôts et amendes. Déjà que le service militaire obligatoire a été aboli et que la vignette automobile a été supprimée. Le principal est d’apparaître comme complètement à l’aise – et de nous sentir libres.

Le ressenti est très important. Se sentir libres, c’est le commencement d’être vraiment libres. Allez demander à ceux qui ne peuvent critiquer ni leur roi ni leur président, à quel point il est précieux de respirer le ressenti de la liberté. La majorité des peuples non-européens sont dans ce cas.  

En revanche, depuis le 16 mars, plus aucune liberté n’est accordée à quiconque pour les motifs que tout le monde connait et, éventuellement, peut comprendre. Il est vrai que la liberté première qui est touchée est la liberté de mouvement. On ne peut pas sortir sans raison valable. Mais perte de la liberté de mouvement ne veut pas dire perte de la vigilance. Il y a eu des gradations différentes depuis que nous sommes enfermés. —  La peur d’être touché par le virus et de constater que nos proches peuvent être infectés — l’exaspération devant tant de dissonances de la part des membres de ce gouvernement de charlots — la colère face à la porte-parole du chef de l’État qui sort tout droit d’un site de fake-news — puis l’absence de ceux que nous aimons, le besoin de les voir, de les embrasser, de les toucher, de garder leur main dans la nôtre — l’inoccupation enfin, l’inactivité, l’apathie, l’indolence…

Nous nous surprenons à attendre les discours de Macron pour savoir comment nous allons être déconfinés. Parce que la parole du Premier ministre ne suffit plus. Macron, qui se prend tantôt pour un maître d’école qui sermonne ses élèves et tantôt pour un agent de la circulation qui gère le passage des automobilistes autour d’un rond-point, essaie de nous humilier à chacun de ses discours. Cette suffisance d’un gamin qui croit tout savoir ! Ces brimades, ces affronts, cette façon de nous dicter comment nous comporter. Nous sommes les marmots d’un garde d’enfants qui se croit au-dessus des sciences. Même pas foutu de commander ou de faire fabriquer des masques pour la population, même pas foutu de savoir si les masques sont nécessaires ou pas pour se protéger du virus, même pas foutu de faire pratiquer des tests en nombre, même pas foutu d’assurer la sécurité des honnêtes gens qui habitent des endroits difficiles et qui subissent les lois des gangs de racailles, même pas foutu d’instaurer la continuité républicaine dans les cités du 9-3 et d’ailleurs…

    Je pense surtout à cette date miraculeuse du lundi 11 mai et aux mesures qui seraient, éventuellement, à prendre. Parce que rien n’est jamais sûr, rien n’est jamais définitif avec ces gens-là qui n’ont fait que tâtonner depuis qu’ils sont au pouvoir. Oui, peut-être, nous verrons bien le moment venu, le cas échéant, suivant les hypothèses, le hasard fera bien les choses, à l’occasion, probablement… Oui, les espoirs sont à cultiver, les déceptions à évacuer, les attentes… Nous voilà en train d’attendre de savoir si nous pouvons prendre sa fille dans ses bras, si nous arriverons un jour à nous déplacer jusqu’au bistro du coin pour siroter une bière en terrasse, si nous pouvons faire le trajet Paris-Lyon ou si nous devons nous contenter d’aller faire une marche dans la forêt de Fontainebleau pour ne pas dépasser le chiffre fatidique des 100 km.

Nous verrons bien comment nous nous comporterons dans deux ans avec nos bulletins de vote devant un pouvoir qui a décidé définitivement d’étaler à la face du monde son incapacité à réagir face aux urgences. Me voilà devenu, irrémédiablement, l’administré d’un État qui a décidé de louvoyer et de bégayer au lieu de maîtriser la situation qui s’impose à lui. Ma seule consolation, c’est de savoir que ceux qui ont voté pour ce candidat et qui l’ont porté au pouvoir, ceux-là sont aussi en souffrance que moi devant tant d’incurie.

Auteur
Kamel Bencheikh, écrivain

 




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