Laboratoire d’expérimentations de toutes les idéologies et des théories venues d’ailleurs, l’Algérie peut s’enorgueillir d’avoir fait la preuve vivante de leur inefficacité et de leur perversité. Les idéologies nous font croire à la magie des mots pour « masquer » la réalité des faits.
« L’Etat de droit et des droits de l’homme sont d’abord une idéologie. Mais que celle-ci est d’autant plus dangereuse du fait que ses affidés ne la reconnaissent pas comme telle ; ils la perçoivent seulement comme l’expression du bien naturel » nous dit Eric Delacroix.
La démocratie, un miroir aux alouettes pour les uns et ce cheval de Troie pour les autres. Le peuple algérien s’est prêtée à toutes les manipulations. La démocratie suscite des convoitises sans les satisfaire. Quand on parle des droits de l’homme, il s’agit évidemment de l’homme occidental, les autres ne sont pas des êtres. Ce sont des bestioles qui polluent la méditerranée. Des corps inertes flottent en surface, le pétrole et le gaz coulent à flux continu sans interruption en profondeur. Des conduites qui ne souffrent d’aucune corrosion à l’abri des regards et des vents. Elles sont là pour « l’éternité ! ». En outre la plupart des télécommunications mondiales transitent par des câbles marins. Ces câbles sont un enjeu stratégique et géopolitique de premier plan.
L’information sur nous et sur les autres nous échappe. Derrière nos écrans, nous semblons être les maîtres du monde alors que nous en sommes que ses esclaves. Elle est belle la démocratie qui nous envoûte, nous ensorcelle, nous dénude. De l’occupation des espaces à l’occupation des esprits. de l’obscurité de la nuit à la lumière du jour, de l’économie de bazar à une économie bizarre, de l’exportation des hydrocarbures à des exportations des déchets, des importations tout azimut à des importations ciblées, d’un dépotoir du monde entier à l’importation de dépôts de stockage de des céréales.
« Le premier des droits de l’homme est celui de pouvoir manger à sa faim » note Franklin Roosevelt. Un ventre creux n’a point d’oreilles, un ventre plein a plusieurs « langues » … et… « longues ». Un peuple ne se nourrit d’amour (idéologies) et d’eau fraîche (théories). Un peuple qui a faim a besoin de pain, un peuple malade a besoin d’hôpitaux, un peuple ignorant a besoin d’une école performante, un adolescent a besoin d’un Smartphone de dernier cri, un jeune adulte désœuvré a besoin d’un emploi productif durable, un couple marié a besoin de logement décent, une famille nombreuse a besoin d’une voiture « potable » pour se déplacer.
Aucune idéologie, aucune théorie, aucune religion, ne remplit le couffin de la ménagère. Il est assuré par le travail de tous ses habitants sans distinction de race, de religion ou de langue. Que les uns et les autres nous dévoilent leur part de lumière et leur part d’ombre. La laïcité n’est pas un cache sexe et le hidjab n’est pas une ceinture de virginité.
La plupart des Algériens n’aiment pas aller au paradis le ventre creux, ils préfèrent partir à l’enfer le ventre plein pour se nourrir du contenu de leurs entrailles. Le ventre est l’épicentre de tous les courants politiques islamistes ou laïcs qu’ils agissent au nom de la religion, de l’Etat ou des droits de l’homme. Ils sont tous animés par la volonté de faire fortune ou de se remplir le ventre sans investir et sans produire.
L’appétit venant en mangeant et la réussite matérielle en rampant. C’est une politique dans laquelle on accepte toutes les compromissions, pourvu que le ventre soit plein. « Qui rentre fait ventre ». Qu’importe si plus tard on fera l’objet de chantage. Le chantage est une arme redoutable en politique.
Personne ne peut y échapper. Le feu n’épargne que les ventres vides. Faut-il faire la grève du ventre pour s’en prémunir ? Qui en a le désir ? Ou plutôt qui a intérêt ? Evidemment personne : « C’est le ventre qui porte les pieds et non le contraire ». C’est la poche saharienne qui finance la politique du ventre.
L’Etat postcolonial est né d’une contradiction externe et non interne d’où son autoritarisme foncier. Pour se légitimer aux yeux du peuple, il tente de promouvoir le développement économique, en réalité il étouffe la société civile. Cette vision des choses s’enracine dans la dichotomie société civile – société politique. Elle présente l’Etat comme source d’autoritarisme auxquelles s’opposent les aspirations démocratiques de l’ensemble des citoyens. Plus l’Etat est contre la société, moins il y a production, moins il y a adhésion et plus il y a frustration et humiliation.
Or l’humiliation est peu productive économiquement mais remplit un rôle politique majeur pour le maintien au pouvoir de l’équipe dirigeante dans la mesure où elle démontre l’arbitraire qu’elle contient. L’Etat en Algérie n’est pas encore un Etat au sens moderne du terme car il n’a pas les caractéristiques. Pour la science politique, l’Etat est un système politique lié à un univers culturel et spirituel occidental : la religion catholique et l’histoire du Moyen Age.
L’Etat est né de la conjugaison de toutes ces variables qui ont abouti au milieu du XIIIe siècle à la formation d’un Etat embryonnaire centralisé par la confiscation des ressources politico-juridiques dispersées à la périphérie aux mains des seigneurs féodaux, de façon autoritaire. L’Etat va alors défendre cet espace politique par un droit administratif, qui protège ses agents, lesquels sont recrutés sur des critères méritocratiques, formés dans des écoles spécifiques où ils intériorisent les valeurs de l’Etat : l’idéologie de l’intérêt général.
Un Etat omniprésent et omnipotent ; il dirige par des lois et des décrets ; ’il s’impose à la société d’en haut. Il oriente la société avec un Droit dont il est le seul maître. Cette logique centralisatrice s’oppose à la logique clanique et tribale des pays arabes et africains. En imposant donc au cours de la colonisation des institutions dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société africaine, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l’échec de la modernisation politique. D’autant plus qu’il manque aux institutions de cette dernière société la dimension mythologique, très conscientisée en occident, qui sert à les faire fonctionner. C’est pourquoi, ces institutions ressemblent à des outils rouillés, abandonnés sur le chantier d’une exploitation minière à ciel ouvert, et qui s’avèrent inadaptées pour mettre en œuvre le développement de l’Afrique et du monde arabe.
Dans ce contexte, on cherche un recours, un point d’appui, un espoir. Entre les valeurs traditionnelles perdues et les valeurs modernes mal assimilées, les sociétés arabes se recherchent, victimes du paradigme consumériste occidental et les pesanteurs sociologiques du passé. Elles n’arrivent ni à assumer leur passé glorieux ni à se frayer un chemin parmi les nations modernes.
Les désillusions du progrès gagnent de plus en plus les esprits. Le refuge dans la religion musulmane apparaît plus plausible que le consumérisme occidental. Des populations entières se trouvent désemparées, n’ont plus de repère. Les voici, de plus en plus nombreux, au milieu du gué menaçant de s’écrouler, ayant abandonné les acquis de la société traditionnelle sans avoir accédé aux promesses de la société occidentale.
On comprend mieux maintenant pourquoi plus personne ne se bouscule au portillon, c’est pour ne pas endosser la responsabilité d’un échec toujours recommencé. Alors on reporte le moment fatidique. On oublie qu’au crépuscule de notre vie « Si nous tuons le temps, le temps nous le rend bien ». La vie est une longue conversation qui semble toujours trop brève.
Dr A. Boumezrag