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Les États-Unis ont bien une constitution laïque

REGARD

Les États-Unis ont bien une constitution laïque

Depuis des décennies lorsque j’écris un article de presse puis, plus tard, sur les réseaux sociaux à propos de la laïcité, beaucoup d’Algériens me rétorquent  systématiquement par le contre-exemple des États-Unis. Je vais répondre à cette erreur grossière de personnes qui n’ont manifestement jamais lu la constitution américaine ni même ouvert le moindre livre sur le droit et l’histoire de ce pays. N’est pas Alexis de Tocqueville qui veut, en tout cas sans s’informer. 

Le développement qui suit n’a ni l’intention de s’ériger en défenseur de la démocratie américaine ni de quoi que ce soit d’autre sinon de s’en tenir au thème annoncé.

Il s’agit uniquement d’argumenter sur l’erreur faite par la quasi totalité de la population mondiale, hélas également par les journalistes, lorsqu’il s’agit de la relation entre l’État américain et la religion, dans sa constitution comme dans sa dérivation dans ses lois.

Car répéter une contre vérité en toutes occasions n’a jamais fait une vérité. Pourquoi vouloir absolument prétendre que la laïcité est le seul fait de la France ? Un mot intraduisible et que n’aurait  jamais suivi aucun autre des autres pays dans le monde y compris la première puissance mondiale.

Pour argumenter et prouver l’erreur manifeste un article de presse ne peut développer un traité d’histoire constitutionnelle, ce n’est ni le lieu ni le format adéquat. Mais il peut rappeler pédagogiquement, c’est son rôle, des éléments et faits que  devrait savoir tout lycéen quelles que soient sa haine ou son admiration pour les États-Unis.

Commençons par une explication concernant une disposition de forme dans la genèse de la constitution américaine en la comparant à celle de la France puisqu’il y a une concomitance et un lien historique et doctrinal incontestables.

Un éclairage préalable, juridique et historique

De nos jours un professeur de droit qui définirait une constitution dirait qu’il s’agit de la norme juridique suprême d’un pays contenant les principes fondamentaux et l’organisation des institutions publiques. Cependant au départ du processus constitutionnel, dans le cas américain comme français, les choses ne se sont pas passées d’une manière aussi confondue pour les deux parties du contenu.

Au lendemain de la guerre d’indépendance le nouvel État américain comptait parmi les fondateurs de la nouvelle nation des francophiles qui se sont nourris et inspirés des idéaux de la révolution française et de sa fameuse déclaration des droits de l’Homme.

Partant de cette paternité les États-Unis vont être curieusement les premiers au monde a adopter une constitution déclarant le peuple souverain, détenteur de la plus haute légitimité. Car si la France n’établira sa première constitution qu’en 1791, celle de la première république, c’est en 1789 que celle des États-Unis sera rédigée.

Il s’est donc tout simplement passé une inversion des démarches. La France avait ouvert le chemin avec la déclaration universelle, les États-Unis ont suivi par la constitution. Quelle est la différence ?

Ce sont les deux parties que nous annoncions en début de paragraphe et qui, aujourd’hui, se retrouvent regroupés dans un même corpus constitutionnel.

L’un des deux textes représente la déclaration des droits fondamentaux du citoyen alors que la constitution représentait à cette époque l’idée exclusive de l’organisation des institutions et de leurs pouvoirs respectifs (la fameuse séparation des pouvoirs théorisée par Montesquieu).

Les rédacteurs américains avaient négligé ou oublié d’introduire la déclaration des droits dans le texte initial de la constitution alors qu’ils ont en été imprégnés pour leur révolution et l’établissement du nouvel État fédéral.

Il en est résulté que les États de la confédération ainsi que certains leaders politiques ont déclaré leur inquiétude, en l’état des choses, pour leur indépendance future alors qu’elle fut arrachée si difficilement à la tutelle britannique.

Ils redoutaient le pouvoir centralisateur de la capitale fédérale qui remplacerait l’ancien régime colonial. Deux points forts se sont donc imposés, le fédéralisme et la nécessité de corseter les velléités du pouvoir fédéral par un texte proclamant les droits fondamentaux des citoyens.

Il s’en est suivi l’élaboration du Bill of Rights (charte des droits) avec les premiers amendements. Le Bill of Rights fut considéré comme faisant partie de la constitution. Ainsi les deux volets sont regroupés et valident ce que notre professeur de droit avait affirmé au début de notre propos à ses étudiants comme définition d’une constitution.                                                                                                             

Par la suite, toute modification de la constitution s’opère par des rajouts d’amendements portant une numérotation. Et c’est ainsi, par un nécessaire détour historique des faits, que nous en revenons à notre propos, la laïcité qui figure dans le Bill of Rights.  

Le premier amendement du Bill of Rights              

Le numéro d’un amendement ne préjuge pas de sa supériorité sur les autres, chacun ayant une valeur constitutionnelle identique. Mais comme les premiers furent édictés dans un même moment temporel, le premier amendement prouve que ce fut la première idée des rédacteurs. Ils voulaient que cela imprègne bien les esprits, dès la première lecture. Et que dit ce premier amendement ?

« Ni un État ni le gouvernement fédéral ne peuvent établir une religion officielle. Ni l’un ni l’autre ne peuvent adopter des lois aidant une religion, toutes les religions ou préférant l’une par rapport à l’autre. […] 

Si cela, en tête de tous les amendements, n’est pas la définition de la laïcité, je me demande quelle autre définition elle aurait. Mais, si cela ne suffit pas à mes contradicteurs, renforçons la preuve par une autre déclaration des plus significatives.                

Selon les paroles mêmes de Jefferson, l’amendement était destiné à ériger un “mur de séparation entre l’Église et l’État”. » Que faut-il de plus à ceux qui me répliquent par la constitution américaine pour me donner un contre exemple de la laïcité constitutionnelle ?

Je l’ai dit en préambule, il n’ont pas lu une seule ligne de la constitution américaine ni même un livre à ce sujet. Car l’évidence leur sauterait aux yeux dès le premier amendement. C’est pour cela que j’opte pour l’explication de la non lecture plutôt que celle de l’incapacité à lire par analphabétisme.

Mais comme il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre, comme dit l’expression populaire, allons encore plus loin.

Un texte constitutionnel, comme toute source de droit est confronté à des décisions de justice (la jurisprudence) qui vont conforter ou rejeter la légalité constitutionnelle d’un cas particulier. Ces arrêts sont rendus par la Cour suprême, juge de la constitution. Quelques uns sont particulièrement à retenir pour notre argumentation, il en existe bien d’autres :

L’instruction confessionnelle et les prières à l’initiative des enseignants ont été jugées inconstitutionnelles (McCollum v. Board of Education, 1948 ; Engel v. Vitale, 1962), de même que la lecture dévotionnelle de la Bible (Abington School District v. Schempp, 1963) et l’enseignement du créationnisme dans les cours de biologie (Epperson v. Arkansas, 1968 ; Edwards v. Aguillard, 1987). (2)

Mais pourquoi donc, devant cette évidence si flagrante, la croyance généralisée fait déclarer le contraire, c’est à dire la non existence de la laïcité dans la constitution américaine ?                                                                                                                          

Les premières raisons de la méprise

Comme toujours les raisons sont à rechercher dans l’histoire comparée des peuples. Si la constitution et la déclaration des droits des États-Unis sont directement issues des idéaux des Lumières et de la révolution française, l’histoire du rapport à la religion n’est absolument pas le même.

Les États-Unis sont un territoire nouveau et même si la massive immigration du pays provient du vieux continent américain (à l’exception de l’esclavage), les fondateurs n’en étaient pas autant imprégnés car leur histoire révolutionnaire était avant tout celle dirigée contre l’autorité de la puissance qu’ils estimaient être colonisatrice.

Ils ont intégré beaucoup plus facilement la liberté de conscience et l’encadrent beaucoup moins fort pour les manifestations politiques et sociales qu’elle ne l’est dans la laïcité française qui est le résultat de siècles de luttes et de ressentiments contre l’Église.

Il n’y a eu pour les descendants des immigrés venus en Amérique aucun contentieux avec l’autorité religieuse ni le souvenir des millions de morts dans les guerres de religion pas plus que la dictature de l’église et de sa mainmise sur une richesse considérable.

Ainsi, l’affirmation des libertés confessionnelles est beaucoup plus libre aux États-Unis, ce qui donne cette impression d’une collusion entre l’État et la religion. En France, même si cette liberté est assurée, il y a à son égard une suspicion et une surveillance beaucoup plus fortes.

Et c’est comme cela que les États-Unis n’ont aucune gêne, même en ayant des institutions laïques, de voir leur président prêter serment devant la Bible, de mettre des représentations religieuses dans les endroits publics ou encore d’invoquer Dieu dans les discours des hommes politiques ou des inaugurations publiques.

Les symboles ne sont pas le droit

Si même des personnes instruites disent une bêtise en affirmant que la laïcité n’existe pas pour l’État américain, il devrait y avoir une raison pour laquelle cette étrange conviction perdure depuis si longtemps.

Il faut la retrouver dans les images fortes qui symbolisent la très grande religiosité du peuple américain. Donald Trump a juré sur la Bible lors de son investiture, c’est l’image la plus représentative de l’erreur commise.

Nous avons prouvé que la laïcité était bien affirmée dans la constitution américaine, nous n’avons pas dit que la foi disparaissait pour autant.

Mais comme nous venons de le préciser la liberté d’usage et de parole, y compris pour des actes publics, ne gênent pas les citoyens américains. C’est une chose que séparer la religion de l’État il en est une autre pour l’attachement d’une société au culte religieux.  Il faut ajouter qu’aux États-Unis ce sont majoritairement des populations pauvres qui sont venus chercher l’espoir dans un pays dont ils espéraient une chance de prospérité plus grande. Or ce sont ces populations qui avaient la plus grande dévotion dans la religion, c’est un fait incontestable.

Sans oublier que la majorité de cette immigration provient d’un pays pauvre de très grande religiosité, l’Irlande, dans sa composante catholique. Quant au protestantisme, c’est surtout le fait de pays germaniques et des pays du Nord, tout aussi pauvres et religieux.

L’association d’un catholicisme rigoureux et d’un protestantisme très puritain et moralisateur vont donner à l’Amérique cette image véhiculée à travers les décennies et le monde, celle d’un pays écartant la laïcité.

Rien n’est plus faux pour les institutions de l’État. Il est vrai que l’évolution des deux cultures va faire privilégier les libertés confessionnelles chez les uns lorsque la rigueur républicaine laïque va s’imposer chez les autres.

En conclusion voilà que toutes ces précisions devraient clore le débat en ce qui concernent leur inlassable contradiction basée sur une erreur, elle-même originaire d’une inculture évidente en ce qui concerne le droit et l’histoire des États-Unis.

Mais comme pour la laïcité au sujet de laquelle nous nous égosillons depuis notre jeunesse à rappeler que ce n’est pas l’athéisme, j’ai bien la certitude que cela n’arrêtera jamais pour le cas américain. Le faux contre exemple sera encore, encore et encore brandi par ceux qui ont cela gravé dans l’esprit à défaut d’en avoir la connaissance.

S.L B.

Revois

1- Nous connaissons tous par la filmographie, la littérature et les informations l’évocation d’un amendement numéroté. Les plus célèbres étant ceux de la libre expression (1er), du port des armes (2éme), de l’abolition de l’esclavage (13ème).

2- Énumération tirée de l’article « La laïcité en France et aux États-Unis : perspectives historiques et enjeux contemporains », Amandine Barb, www.vie-publique.fr, 3 novembre 2015.

                                                                                    

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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