Le mythe est important pour rendre fortes les sociétés. Partout dans le monde, l’on en trouve des exemples : le mythe gaulois, le mythe d’Anatolie, le mythe persan, le mythe latin, le mythe grec, le mythe arabe, etc.
En revanche, il n’y a plus de « mythe berbère », abstraction faite du mythe Shashnoq remis au goût du jour par l’Académie berbère durant les années 1970! Cette absence de mythe veut dire absence d’élément culturel fédérateur. Autrement dit, on ne prospecte plus sur nous-mêmes.
On est tombé dans ce que l’Iranien Daryush Shaygan appelle à juste titre : « le syndrome de l’éphémère » : des peuples qui, incapables de se projeter dans l’Histoire, sont voués à la disparition.
Or, pour survivre, il faut transformer toute absence civilisationnelle en « temps de présence », c’est-à-dire en temps de création littéraire, culturelle, historique, sociale, politique, etc. L’erreur, notre erreur je veux dire, est historique : on croit aux autres et on se renie nous-mêmes , on croit à la culture, au savoir, à l’histoire des autres et on renie les nôtres, peu dignes d’intérêt.
Notre existence comme peuple, culture ou civilisation dépend de la domination/influence des autres. Ce syndrome remonte tres loin dans le temps, à vrai dire. Les Romains ont occupé la Numide pendant quatre siècles et pendant cette période, ils ont condamné la Berbérie à vivre sous le système tribal.
La tribu, perçue comme solution de sauvegarde selon le Marocain Abdallah Laroui, n’était autre, en vérité, qu’un ghetto d’enfermement. Beaucoup d’autres Berbères auraient préféré le nomadisme par contrainte, parce qu’ils ont compris que, face à un ennemi invaincu -les Romains-, le désert reste l’unique recours possible pour leur survie.
En revanche, si la naissance de la tribu devrait être considéré comme un « retour à soi », à ses us et coutumes, à ses valeurs, elle avait bloqué l’histoire de la Berbérie, et l’avait coupé de l’évolution de bien d’autres civilisations. Ainsi notre culture était-elle devenue une culture de résistance et non pas d’invasion. Elle a créé des héros qui se sacrifient pour la défense de leur pays, et non pas des guerriers qui envahissent des pays et aspirent à la domination d’autres peuples et civilisations.
Elle a conservé son oralité et son identité, mais a perdu tout lien avec « la mémoire matérielle » de ce qui a constitué plus tard la modernité. Et pour combler cette faille, d’aucuns parlent de l’hospitalité nord-africaine. Une hospitalité qui cachait en effet, en arrière-plan, une faiblesse historique : l’incapacité de construire des Etats.
La première carte des tribus fut créée en 1846 par Ernest Carette et Auguste Warnier. Le premier fut capitaine du génie de l’armée et le second un médecin et préfet d’Alger.
En 1847, plus de 516 tribus furent recensées pour une population de 3 millions d’habitants. Ce qui prouve que la tribu était vue, chez les Berbères, non seulement comme un rempart contre l’invasion étrangère, mais aussi, et c’était là le problème, comme un mode de vie séculaire.
Bien qu’elle (la tribu) ne donne pas toutes les raisons du retard civilisationnel accumulé par les Berbères au fil des siècles, cette dernière reflète l’image de tout un peuple replié sur lui-même, incapable d’unité et surtout « ingouvernable ». C’était d’ailleurs le constat établi par Ibn Khaldun dans ses Prolégomènes. Et comme par hasard, ce rejet de l’étranger s’est accompagné d’une certaine adoration de tout ce qui vient de lui.
L’auto-dénigrement s’est incrusté dans les esprits et, au fil des siècles, l’Amazigh, le Nord-Africain, le Maghrébin, peu importent les dénominations au demeurant, croit évoluer en se rabaissant devant les autres – les étrangers-, plutôt qu’en les concurrençant. L’image d’Épinal de l’Européen blanc, évolué, instruit, a pris le dessus sur la réalité historique de l’Européen barbare, colonisateur et destructeur des civilisations.
L’absence de mythe national a beaucoup nuit au processus de construction étatique en Algérie, et partout dans l’Afrique du Nord.
Kamal Guerroua