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Les grands airs d’opéra expliqués aux jeunes algériens : Nabucco (3) 

REGARD

Les grands airs d’opéra expliqués aux jeunes algériens : Nabucco (3) 

Jamais une œuvre musicale ne fut autant appropriée par un peuple que ne le fut l’opéra de Giuseppe Verdi, Nabucco, créé en 1842. Une parfaire osmose entre le troisième acte, Va pensiero, dénommé aussi le « chœur des esclaves », et la fibre nationale montante du peuple italien, en route vers l’indépendance.

Dès le début de cette chronique, j’ai délibérément choisi les airs que tout le monde a en tête mais que très peu, surtout dans la jeunesse, connaissent l’importance et l’histoire chantée. C’est d’ailleurs la plupart du temps le cas pour ce qu’on dénomme « les grands airs de l’opéra ». 

Nous l’avons déjà précisé, ces grands airs transportent l’émotion des êtres humains sans qu’ils soient obligés d’être des érudits en matière d’opéra. La jeunesse doit toujours faire un effort pour s’élever dans l’art et la culture, essayer de comprendre les choses mais ne doit absolument pas avoir une réticence nourrie très souvent par le complexe d’infériorité envers ceux qui veulent leur montrer combien ils sont maîtres d’un art qu’ils considèrent leur être réservé dans sa compréhension.

Mais il est nécessaire de connaître la base des histoires écrites et chantées pour adhérer totalement à ce qui va donner davantage de sens au plaisir sensuel et de perception musicale. Les sens premiers ne sont honteux que lorsqu’ils ne s’élèvent pas vers un minimum de compréhension. Mais s’élever pour le simple but d’écraser les autres d’une supposée supériorité intellectuelle et artistique n’est franchement pas une raison pour cette jeunesse d’être refroidie par la difficulté apparente. Essayons, très modestement, d’entrer dans cette explication nécessaire. 

Bien des chants furent écrits pour galvaniser un mouvement de résistance nationale, comme Le chant des partisans ou La Marseillaise, cette dernière étant devenue l’hymne national français. Mais aucun n’eut l’accueil d’une passion nationale aussi fougueuse. Une véritable étincelle patriotique a embrasé l’Italie au moment de la création musicale de Giuseppe Verdi.

Pour expliquer cet air d’opéra dans ce qu’il a de plus reconnaissable, le IIIème acte, Va’pensiero, il faut d’abord comprendre l’histoire qui est racontée musicalement. L’action se déroule en même temps à Jérusalem et à Babylone en 586 av. JC. Le roi Nabucco (contraction de Nabuchodonosor) a vaincu le peuple hébreux et les a soumis à un effroyable esclavage.

Zaccaria, le grand prêtre hébreux, menace le tyran d’assassiner sa fille, Fenena, s’il ne renonce pas à son projet criminel. Nabucco ne tombe pas sous les menaces de Zaccaria mais sous la foudre de Dieu qui le terrasse pour avoir eu l’impudence de se proclamer son égal. Il se  retrouve emprisonné. 

Par ailleurs, Fenena est amoureuse du fils du roi de Jérusalem, Ismaël. L’esclave Abigaïlle, une femme persuadée d’être la fille légitime du tyran, également amoureuse d’Ismaël, tente de ravir la couronne au roi des Hébreux et l’emprisonne. 

Dans sa cellule, le roi Nabucco prie alors le Dieu des juifs. Il sera finalement libéré et pourra agir à temps pour que l’irréparable ne se produise. Il sauve sa fille Fenena et libère le peuple juif de son oppression.

Nous l’avons dit, l’air le plus connu de cet opéra est dans le troisième acte, lorsque le peuple hébreux pleure sa terre natale et son état de soumission. Zaccaria ne cessera d’ailleurs de le traiter de « pleureuse » et de manquer de courage pour se libérer.

La traduction des paroles est très facilement accessible sur Internet. La traduction du célèbre chœur est compréhensible de la signification du chant et des circonstances, soit une complainte nostalgique « Va, pensée, te poser sur les collines de la terre natale… ». 

C’est ce passage que toutes les oreilles de la jeunesse ont entendu, au moins une fois dans leur vie. Il est un moment sublime, débarrassé de la mise en scène, souvent ennuyeuse pour la jeunesse, et même pour la majorité des adultes. Nous n’insisterons jamais sur ce que j’ai déjà pointé du doigt, l’accaparement de l’opéra par un milieu de privilégiés, avec des prix exorbitants et une condescendance ridicule qui n’a jamais réussi à attirer une jeunesse, pourtant capable de tous les sentiments et perceptions de la beauté musicale.

Ce sont les grands concerts et les adaptations « grand public » qui ont permis le partage de cette richesse culturelle, sous les accusations des prêtres du temple de l’orthodoxie musicale qui se voient dépossédés de leur privilège et de leur monopole.

Ce passage du « chant des esclaves » est tout simplement sublime. Dans les deux premiers opus de cette chronique, j’avais choisi des moments merveilleux de solistes qui montraient combien la voix humaine peut arriver au sommet de la performance. Dans « Va pensiero », c’est une beauté surmultipliée que connaît l’humanité, celle des chœurs qui font chanter une multitude dans une coordination parfaite pour ne faire qu’un. C’est pour cela que les chœurs sont propices aux chants qui inspirent et fondent les liens sociaux et/ou politiques, comme les hymnes nationaux.

Et c’est justement cela qui est la seconde explication de la célébrité de « va pensiero », le chant des esclaves. Car en ce début début du 19è siècle, il faut rappeler à la jeunesse que l’Italie n’existait pas en tant qu’entité souveraine. Mais le sentiment d’appartenance à une nation commune était déjà présent et fort lors de la venue de l’œuvre de Giuseppe Verdi.

La péninsule italienne, depuis des siècles n’était en fait qu’un morcellement de petits États, des principautés et des duchés, souvent antagonistes mais dont la puissance culturelle est la cause de la naissance du quattrocento (15ème siècle italien) qui fut à l’origine, un siècle plus tard, du bouleversement européen vers la sortie du Moyen âge, ce qu’on dénommera la Renaissance.

Or, cette Italie de l’art resplendissant et de la culture phénoménale était dominée politiquement, dans toutes ses fragmentations régionales, par l’empire autrichien, particulièrement en Lombardie, centre économique le plus avancé.

Tout d’un coup, le « chant des esclaves », par une étincelle dont on ne peut jamais anticiper sa survenue,  fut le support d’un nationalisme naissant, le peuple italien, se reconnaissant dans cette complainte chantée du peuple hébreux, prisonnière de la dictature féroce d’un tyran.

Voilà comment se fait l’histoire et pourquoi la jeunesse doit écouter ce chant avec un peu plus de plaisir que la seule émotion peut déjà produire par elle-même.

Ce chœur du troisième acte était pressenti pour être l’hymne national de la nouvelle Italie, unifiée lors de l’indépendance du 17 mars 1861. Mais certains ont du convaincre la majorité qu’un peuple libre ne pouvait s’identifier à des esclaves et le projet fut abandonné.

Cliquez sur le lien proposé au bas de l’article et, contrairement aux deux premières propositions, les jeunes ne reconnaîtront pas forcément l’air dès la première mesure mais au moment où le chœur démarre sa puissante montée. Des voix devenues une seule parole, un bruit assourdissant qui donne la chair de poule aux être humains doués d’une sensibilité. Et c’est le cas de chacun d’entre nous.

Bien évidemment, hélas, ce sentiment d’unité que peuvent provoquer les chœurs, lorsque l’unité de ressenti se fait par un chant, une idée ou un message, peut provoquer l’inverse soit la sourde haine, la violence et la montée d’un nationalisme déviant.

Le chœur que je présente aujourd’hui aux jeunes algériens ne peut être de cette nature mais, au contraire, bâtit ce qui fait en partie la force de conviction et de beauté de l’être humain, soit l’art et les belles œuvres.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar

 




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